Le professeur

Avec son petit chapeau délavé, son dos de vieillard voûté, sa gabardine mastic, un dossier miteux sous le bras, son parapluie rétractable et son accent rocailleux, le " professeur", comme tout le monde l’appelait, entrait dans le café d’un pas nonchalant.

Avec tout son attirail, il posait ses fesses en plein centre de la longue banquette rouge.

Là, telle une araignée qui attend sa proie, il attendait fébrilement qu’une jeune fille, étudiante ou autre, en tout cas jamais une rombière, s’installe non loin de lui.

Il attendait quelques minutes, faisait semblant de lire un journal puis, avec son air bon enfant, il se penchait et demandait à quel signe appartenait la donzelle. Les réponses bien sûr étaient variées, mais sans plus.

Magnifique, le" professeur-araignée" tenait sa "mouche-lycéenne". Il proposait de faire le thème astrologique pour mieux approfondir avenir et caractère de la curieuse.

Depuis des années cela mordait. Les filles revenaient quelques jours après, frétillantes, avides de connaître leur fabuleuse destinée.

Sous des fronts plissés et des regards étonnés le "professeur" se lançait dans des explications à n’en plus finir, le thème compliqué entre les mains. Il s’était au fil des années constitué un réseau de tendrons avides " d’ego-astrologie".

Tout le monde était sidéré de la facilité de la manœuvre, le patron laissait faire tant que la respectabilité de l’établissement n’était pas compromise.

Entre nous, bonne idée pour engager une conversation. Seulement il faut être vieux, voûté, avoir un petit chapeau, une gabardine mastic, un parapluie rétractable, un accent rocailleux et se faire appeler "professeur", mais, surtout, faire de l’astrologie.
Un jour, le"professeur"ne vint plus au café, il était parti dans un autre monde.

Le va-et-vient des jeunettes s’arrêta.

Le patron nous fit la confidence que le "professeur", dans un terrible accident de voiture, avait perdu trois enfants, de jeunes adolescentes. Lui et sa femme avait survécu.

Lui rappelant de nombreux souvenirs afin de ne pas devenir fou, il avait trouvé le moyen à travers les thèmes de ces jeunes filles de rechercher les similitudes de caractères de ses tendres disparues.

M.T