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samedi 5 février 2022

L'éternel tableau


L'éternel tableau


Afin de satisfaire une commande du maire de son village, avec tout son matériel, toile
, coffret de gouache fine, huile, essence térébenthine, palette, Gaspard peintre de profession s'installa au milieu d'une vaste prairie. Au loin des montagnes, un village, des forêts, une rivière.

Arrivé à soixante-dix ans, veuf, l'arthrose ayant pris possession de son corps et plus particulièrement de ses mains, il ne pouvait plus comme dans sa jeunesse parcourir villes et campagnes avec autant d'énergie. Cette commande serait son ultime chef-d’œuvre.

Nous étions en mars, le printemps commençait à faire bourgeonner la nature.

Les arbres à bout de fleurs exaltaient la vie du printemps, le soleil brillait faisait ressortir chaque pierre, maison, insecte. La terre et le ciel s'harmonisaient. La rivière serpentait joyeusement au milieu du champ, le village sommeillait sur la droite, au loin, la montagne se dressait fièrement recouverte d'une abondante chevelure de sapins verts. Un chemin caillouteux passait devant les premières maisons grises construites avec de grosses pierres meulières.

Installé sur son petit pliant il commença à tracer au fusain les contours de ce qu'il voyait. Il tapota quelques touches de couleur par-ci par-là, traduisant le futur tableau.

Une semaine s'écoula, le travail commençait à prendre réalité.

Le travail avançant, fin de l’après-midi, notre peintre se releva, recula de quelques pas, étudia son œuvre. Satisfait, il commença à ranger tranquillement ses affaires. Soudain, une voix derrière lui.

- Oh ! c'est joli ce que tu as fait monsieur .

Se retournant il vit une fillette d'environ une dizaine d'années.

- Oui, merci, bien sûr, enfin je crois.

- Et tu as terminé ?

- Quelle question, bien entendu.

-Ah ? je croyais... pourtant...

La fillette s'enfuit en riant.

Au moment de se coucher, sa tisane avalée, il se remémora la scène.

-Tiens se dit-il, un détail m'a-t-il échappé ? la semaine prochaine je retournerai voir ce que j'ai oublié.

La semaine passa.

Au même endroit, il posa son chevalet, sorti tubes, pinceaux, posa la toile devant lui éleva son regard simultanément entre le paysage et la toile. De longues heures s'égrenèrent. Il pensait en avoir terminé, le spectacle lui fit reconsidérer son travail.

Quelques fleurs avaient augmenté leurs couleurs, d'autres sur les effets des rayons ardents du soleil commençaient à défraîchir. Des buissons de roses embaumaient l’atmosphère

Au loin, des sapins avaient un vert plus foncé, la rivière en décrue par la chaleur avait un débit plus lent. Un autre décor s'était amorcé, le déroutant. L'été approchait.

Gaspard changea certaines teintes, modifia quelques détails, ajouta quelques silhouettes.

Satisfait, il rangea son matériel. Il sentit une présence, la fillette de la semaine passée fixait la scène.

- Tu sais, sans te fâcher, je préfère celui-ci.

- Merci, tu as l'air de t'y connaître en peinture ?

- Un peu, oui, à bientôt, quand reviens-tu pour le finir ?

- Mais... il est fini.

La fillette s'enfuit en riant puis, se retournant :

- À la semaine prochaine alors !

Troublé par ces paroles, il revint sur le lieu de son travail. Le calvaire de notre gentil peintre commença.

À chaque fois qu'il reprenait son travail, il trouvait des herbes plus hautes, des fruits plus mûrs, des chemins plus poussiéreux, de multiples papillons voletaient dans l'air. La forêt, à cause des bûcherons, avaient perdu de son abondante chevelure, faisant d'horribles tonsures. Parfois le temps se refroidissait, les cheminées laissaient échapper des fumées blanches ou grises selon le bois brûlé dans les âtres.

Têtu mais naïf, Gaspard continuait son chemin de croix pensant à chaque fois avoir parachevé sa toile.

Et toujours présente, la blonde fillette qui le taquinait.

Au fur et à mesure que les semaines passaient, il devint une star dans la contrée. Les gens, intrigués, venaient des villages environnants pour lui rendre visite et admiraient la patience de cet homme qui, avec courage, modifiait constamment toutes les valeurs de cette impétueuse nature. Des paris circulaient avec un enjeu, savoir la date de la finalité du tableau.

Un soir il pensa mettre la dernière touche.

Seulement, les fruits se cueillent, les blés sont fauchés, le soleil diminue d'intensité, de petits vignobles sont en effervescences, une autre saison pointe son nez. C'était l'automne.

Des vents accumulent de gros nuages, les feuilles tombent, le roux remplace le doré, le gris succède au bleu, les jours s'amenuisent.

La nature mystérieuse le força à mettre sur la toile d'autres touches de couleurs.

Un midi, après avoir dégusté son casse-croûte, il sommeillait. Il entendit la voix de la fillette.

- Alors, tu es satisfait ?

La fillette, les mains sur les hanches le narguait.

Gêné:

- J'avoue que ma tâche est complexe, mais je crois quand même pouvoir y arriver.

Un grand rire

- Bon, je reviendrai dans quelques semaines.

Gaspard commença à se tourmenter.

Il continua à peindre. Après de longues semaines, l'arthrose de ses mains le faisant souffrir, il s'arrêta afin de prendre du repos.

Un matin, il sentit comme une curieuse atmosphère, il se leva et ouvrit la fenêtre. De gros flocons de neige tombaient. L'hiver était là.

Bien couvert, Gaspard se dirigea vers l'emplacement des premiers jours. Emmitouflé dans une longue cape, un cache-col sous le nez, les pieds dans de grosses chaussures moelleuses, ganté de mitaines, un bonnet sur la tête, notre peintre continua inlassablement son œuvre. Le blanc, le gris, des tons plus neutres commencèrent à remplacer sur la toile les couleurs vives de l'automne.

De nouveau la vie changeait de visage. Sous l'épaisse couche neigeuse, plus de chemin, plus de prairie, la rivière par endroits, était prise par des glaces et des enfants téméraires s'amusaient à glisser, bravant l'élément liquide qui coulait, invisible sous le froid miroir.

Gaspard, de loin, sous les flocons qui tombaient ressemblait à un gros bonhomme de neige. La fillette revenue, mutine, lui lançait des boules de neige. Un jeu qui échauffe les enfants mais qui agace fortement les adultes.

Au bout de quelques semaines de touches et de retouches, Gaspard fut à nouveau réjoui de son travail.

On pouvait, maintenant, admirer sur la toile un paysage hivernal agrémenté de taches sombres qui laissaient deviner des enfants en mouvement. Des cheminées plus nombreuses laissaient échapper de la fumée plus épaisse. Le chemin déblayé par endroits par les villageois, serpentait au milieu d' une couverture blanche. La montagne vieillissait sous sa chevelure poivre et sel. Le tableau, au charme différent, devenait plus austère.

Notre naïf paysagiste avait oublié que la terre tournerait, qu'elle se redresserait, qu'elle danserait comme une toupie autour du soleil. À un moment, la neige fondrait, les courants reprendraient de la vigueur, que les arbres respireraient à nouveau, débarrassés du poids des couches neigeuses, que quelques merles commenceraient à siffler le matin, qu'il y aurait de la boue partout.

Assis, accablé, débarrassé de ses gros vêtements d'hiver, Gaspard laissa couler des larmes de désespoir.

Tenace, il se remit au travail. À partir de ce moment il souffrit le martyre. La nature qui jusqu'à présent semblait sommeiller, avait accéléré son rythme de vie.

De jour en jour des éléments étranges se succédèrent. L'eau s'évaporait, la boue séchait, l'astre jaune prenait une courbe différente dans l'azur. Une douce chaleur envahissait insectes, oiseaux, grand-mères, enfants et amoureux. Les arbres bourgeonnaient, les enfants aussi. De tendres feuilles apparaissaient, des fleurs s'ouvraient, des fruits mûrissaient. Un nouveau spectacle faisait tourner la tête de Gaspard.

Angoissé, il cherchait à chaque moment de trouver d'autres couleurs, d'autres tons, il découvrait et retraçait constamment d'autres formes, d'autres sujets. Il devenait fou et pensait que dame nature lui jouait la comédie.

Et puis, et puis, soudain, avec son œil expérimenté d'artiste, il s'aperçut que le tableau qui se figeait sur la toile avait la même allure qu' à la même date de l'année précédente.

Les arbres à bout de fleurs exaltaient la vie du printemps, le soleil brillait faisait ressortir chaque pierre, maison, insectes. La terre et le ciel s'harmonisaient. La rivière serpentait joyeusement au milieu du champ, le village sommeillait sur la droite, au loin, la montagne se dressait fièrement recouverte d'une abondante chevelure de sapins verts. Un chemin caillouteux passait devant les premières maisons grises construites avec de grosses pierres meulières.

- Alors toujours là?

La fillette, grandit, lui souriait.

- Tu le vois bien.

- Et... tu vas rester encore longtemps ?

- Non, je suis très fatigué et je n'ai plus envie de peindre, au revoir.

- Adieu monsieur.

Le tableau fut accroché dans la salle des mariages de la mairie du petit village.

À certaines heures, un gardien fut spécialement chargé de le surveiller et raconter aux visiteurs son histoire. Il parle, parle, parle.

Gaspard fini ses jours dans une maison de retraite.

Souvent, espiègle, incognito, il se mélangeait à la foule des visiteurs incrédules


Ps: Le tableau représente  "Claude Monet peint par Sisley "



FIN

dimanche 4 octobre 2020






Michel Turquin


Cheminements



Les personnages

Valérie, qui tient un institut beauté

Laurent, mari de Valérie

Georges, l’amant de Valérie

Roxane, l’associée de Valérie

Léa,18 ans

Liliane Péral, la maman de Léa

Oncle Vladimir, Tonton, frère de Liliane

*****

La rencontre

Le paysage Ariégeois défile rapidement, malgré l’éclatante beauté de la campagne, l’attention de Laurent n’est fixée que sur le long ruban qui serpente parmi l’air déjà chaud du printemps.

Il ressent un impressionnant vide au creux de l’estomac et ne se rend pas compte de la vitesse excessive de sa puissante voiture.

À plusieurs reprises, il a dû freiner prestement pour éviter de rentrer dans le décor.

Un double sentiment taraude son esprit, celui, par la rage, de mourir, et un autre, plus fort, celui de la vengeance qui le pousse à rester encore en vie.

Des images accélérées traversent et hantent son esprit, celles de sa femme dans les bras de celui qui fut son soi-disant meilleur ami. Il imagine l’admirable corps qu’il a tant caressé avec douceur, ce corps sous des mains d’un traître, des mains qu’il a serré amicalement depuis la maternelle.

Georges, son ami d’enfance, culbute, quelque part dans des draps souillés par la sueur, sa chère Valérie, celle qu’il a épousée voici deux ans.

Ce matin, en sortant à peine éveillé de sa chambre, sur la table de la cuisine, posé à côté d’un bol de café fraîchement bu, il a trouvé un mot:

«Laurent, malgré la grande affection que j’ai pour toi, nous ne pouvons pas continuer à vivre en hypocrite. J’ai trouvé en Georges un équilibre sentimental, mais surtout sexuel, équilibre, hélas, que tu ne peux me donner. Nous partons pour quelques jours. J’espérais, avec toi m’épanouir en tant que femme, fonder une famille, avoir un enfant. Mon rêve depuis notre mariage s’est transformé en cauchemar.

Je te donnerai de mes nouvelles dans peu de temps afin que nous trouvions, à l’amiable, je l’espère, un terrain d’entente pour le divorce.

Je t’embrasse, Valérie»

-À l’amiable, tu vas voir si je suis un type à être laissé en plan comme ça et ne rien faire. Salaud de Georges, moi qui te considérais comme un frère.

Il avait bien eu quelques doutes, connaissant l’assiduité de Georges à l’institut de beauté tenu par sa femme, mais, le sachant plus attiré par l’associée de sa femme, Roxane, il avait chassé l’idée d’une tromperie.

-Salaud…

Sans s’en rendre compte, Laurent parlait fort, les mains crispées sur le volant. La route défilait comme dans un jeu vidéo au milieu d’une myriade de scènes invisibles mais néanmoins bruyantes et colorées.

Soudain, au bout d’une longue ligne droite, juste avant un petit village, une jeune femme, les bras en croix, au milieu de la chaussée, força Laurent à piler sec. La voiture lancée à vive allure, tangua plusieurs fois. Une odeur de caoutchouc brûlé. Le bolide, stoppé, se trouva à un mètre, face à l’être suicidaire. Laurent se précipita hors de l’habitacle.

-Vous êtes folle, hurla t-il, en s’approchant de l’épouvantail vivant.

La jeune femme ne bougeait pas.

Près d’elle, il s’aperçut qu’elle ne devait pas avoir plus de dix-huit, dix-neuf ans. Des larmes coulaient abondement le long d’un visage aux contours harmonieux. À l’extrémité des bras tendus, telle une crucifiée, les mains tremblaient violemment.

- Que faites-vous là cria Laurent énervé ?

Aucune réponse ne sortait des lèvres sèches de la jeune fille. Laurent se radoucit percevant chez l’inconnue un grand désarroi. Un rideau descendit soudain dans sa tête, mettant de côté sa rage première.

-Allez, ne restez pas là, vous risquez de vous faire aplatir par le premier camion venu.

La jeune fille ne bougeait pas. Doucement, Laurent lui prit les mains, lui mit les bras le long du corps et, avec délicatesse, la fit asseoir sur le talus le plus proche. Il gara sa voiture, revint près d’elle.

- Comment vous appelez vous ?

La jeune fille semblait comme dans état second et ne répondait toujours pas.

-Vous habitez le village ?

Toujours le silence. Devant le mutisme affiché, Laurent commença à trouver la situation ennuyeuse. La jeune personne ne portait sur elle qu’une simple robe à fleurs, aucun sac, pas de portefeuille, pas de papier.

-«Que faire» ?

Il essaya de joindre Valérie sur son portable. Un message sec incitait à laisser des coordonnées pour être rappelé.

*

Les amants

Valérie et Georges se sont installés dans un joli mas, au cœur de la haute Provence. En avance sur les concertos des torrides étés, le chant incessant des cigales mettait un fond musical à l’atmosphère. Les fenêtres sont fermées pour éviter une lumière froide et aveuglante de pénétrer. Sur un lit défait, Valérie et Georges sont enlacés dans une moiteur nouvelle, celle de deux amants en liberté qui découvrent les joies d’une sexualité débridée.

De temps en temps, pour une raison inconnue, les cigales se taisent, perturbant par le silence, la stridente sonorité coutumière.

Valérie soupire.

-Je n’arrive pas à le croire, enfin, j’ai réussi à prendre la décision de quitter Laurent.

Elle se redresse, s’appuie sur un coude, laissant tomber sur l’épaule de l’amant son admirable poitrine.

-Bien sûr, humainement, je n’avais rien à lui reprocher, mais tu vois, je ne pouvais plus, à vingt-cinq ans, me résoudre à vivre cette situation infernale d’une femme abandonnée charnellement.

Valérie se retourne et enfonce sa tête dans un oreiller, Georges se penche sur elle, la retourne, l’embrasse sur le ventre.

-Tu te culpabilises ?

-Un peu.

Pourquoi ?

-Peut-être aurais-je dû le forcer à trouver quelques grands spécialistes qui l’auraient soigné ?

-Mais tu sais bien qu’à chaque fois que tu abordais son cas, il se refermait comme une huître, claquant portes et fenêtres.

-Oui… c’est vrai, et puis…

-Quoi ?

-... et puis, surtout, de partir avec toi, son meilleur ami, j’ai l’impression de l’avoir trahi, pas toi ?

Georges ricane doucement.

-Tu sais, trahi, pas trahi, je m’en fiche royalement, tu plaisantes ou quoi, j’aime bien Laurent, mais je trouve son attitude extrêmement curieuse.

Silence

-Ma douce, tu sais, je t’ai toujours désiré.

-Que désirée ?

Valérie se blottit au creux de Georges.

-Si Laurent ne t’avait pas épousé, depuis longtemps, tu serais ma femme.

-Georges ?

-Oui ?

-Quel gâchis, et dire qu’enfants, nous nous moquions de son infirmité!

-Qui aurait pu penser que ce nous trouvions amusant, voire banal, se transforme en une dramatique anomalie.

-Comme quoi, nous aurions mieux fait d’en pleurer.

-Georges...

-Oui ?

- Serre-moi fort.

Les cigales qui s’étaient tues, reprirent leur symphonie. Orchestration peut-être voulue comme pour mieux couvrir, par pudeur, les sensuels halètements des amants.

                           * 

Sur le bord de la route, Laurent s’était assis à côté de la jeune fille, toujours muette. Sa pensée à nouveau s’était focalisée sur cette séparation qu’il avait inconsciemment prévue par une douloureuse intuition.

Il se souvenait du jour de son mariage, lui vingt-cinq ans, elle vingt-trois. La fête avec les copains, le rire des enfants, les copains plus ou moins éméchés, les proches parents aux anges, mais surtout, il se remémorait cette intense appréhension de la nuit de noces.

En effet, Valérie, issue d’une famille profondément catholique n’avait pas voulu, comme on dit, consommer avant le mariage. Elle avait eu, jeune fille, quelques gentils flirts sans que cela engage sa virginité. Avec Laurent, son ami d’enfance, les flirts s’affichèrent d’une manière plus osée, acceptant de sa part des caresses très poussées, mais, sans plus.

Situation baroque dans un siècle où, maintenant la moindre adolescente connaît presque tout des attitudes secrètes de l’amour. Laurent, pas croyant pour deux ronds, amoureux transis accepta cette situation qui, du reste l’arrangeait un peu. Son désir d’avoir comme épouse Valérie lui avait fait accepter n’importe quoi.

À part ses parents et un vieux médecin de famille, sa malformation, depuis tout petit, seuls ses amis, comme Georges et Valérie, la connaissaient. Avec eux le sujet portait plus à la rigolade qu’au côté pratique, et Valérie, pourtant intelligente, était loin de se douter du drame à venir.

Laurent n’était pas puceau, non, il avait souvent connu des femmes, mais uniquement des créatures qui faisaient commerce de leurs charmes, donc faciles, même si hélas, le résultat souvent, n’était pas à la hauteur de ses intentions.

*

Près de lui, la jeune fille bougea, ce qui le ramena à la réalité.

La voiture, sur le bas côté de la route, semblait être comme un gros scarabée sous le ciel qui commençait à se couvrir. Laurent se dit qu’il devait rapidement la déplacer, un accident pouvant être provoqué.

Le petit village dormait. Une cloche sonna, un chien aboya. Quelques gouttes tombèrent. Il se leva, apostropha la jeune fille.

-Bon, maintenant, ça suffit, que faites vous là ? Quel est votre nom ?

La fille qui s’était calmée, se raidit, ses mains se remirent à trembler. Sa mâchoire se serra. Laurent s’aperçut qu’il l’avait rudoyée inutilement. Il prit un ton plus aimable.

-Calmez vous, je ne vous veux pas de mal.

Il posa sa main sur sa fine main tremblante.

-Ne me touchez pas.

C’était comme un cri, violent, aigu, qui semblait sortir d’un étang de douleur. Laurent stoppa vivement son geste, gêné et surpris de cette réaction. Que faire ? Le temps lui, ne s’arrête pas. Il fallait prendre une décision. En premier, revenir à Toulouse, rejoindre son appartement du quai de Tounis, appartement donnant sur la Garonne qu’il avait choisi et acheté spécialement pour Valérie, la sachant sensible à la qualité unique de l’environnement.

Représentant en gros de matériels médicaux auprès d’établissements du sud-ouest, il lui fallait impérativement mettre de l’ordre dans ses commandes ainsi que dans différentes paperasses ennuyeuses.

Habitué aux ruses de la négociation, Laurent opta pour une stratégie que l’on emploie surtout pour les enfants. Il se leva.

-Au revoir dit-il .

Puis il se dirigea vers la voiture, s’installa, mit le contact, laissa ronronner le moteur un moment, tout en observant dans le rétroviseur la jeune fille.

Celle ci porta les mains devant la bouche, regarda à droite, à gauche.

Avec la rapidité d’une biche apeurée elle se précipita dans la voiture. Méfiante elle se cala contre la portière. Laurent démarra rapidement.

*

C’est le soir, des jardins alentours s’exhalent des senteurs de romarin, de thym. Le soleil qui intensifie ses rayons mordorés en prévision de l’été, donne une teinte particulièrement douce à tout ce qu’il touche. Devant une salade de tomates et un melon frais les deux amants sirotent un verre de rosé de Provence.

-Georges.

-Oui ?

-Tu sais, demain, je dois retourner à l’institut.

-Mon amour, nous avons le temps, cela fait à peine quinze jours que nous sommes ici, tu n’es pas bien, admire ce paysage, respire toutes ces bonnes odeurs… tu es lasse de moi ?

- Que tu es bête, non, seulement je ne peux laisser Roxane toute seule plus longtemps.

- Ton associée se débrouille sûrement très bien. En cette saison, toutes les femmes commencent à se prélasser aux terrasses des cafés dans le but de se noircir la couenne.

-Comment tu parles.

-Ta boutique doit marcher au ralenti.

-Au contraire, en ce moment, le salon des U.V ne doit pas désemplir, il faut que je rentre.

-La belle Roxane doit être désespérée.

-Dis donc toi, tu trouves Roxane belle ?

-Et bien... elle a du charme.

-Attention, Georges, je t’ai à l’œil.

-Madame est jalouse, j’adore.

Valérie se lève, prend un morceau de pain, tape la tête de Georges. Ils se chamaillent, se coursent durant quelques minutes puis s’affalent sur la pelouse. Valérie se love dans les bras puissants de Georges. La nuit permet d’entrevoir les nombreux systèmes de l’univers.

- Dis-moi Valérie, en parlant de Roxane ?

-Oui ?

-Tu lui as donné les motifs exacts de ta rupture ?

-Tu la connais, pas vraiment, j’ai juste abordé un problème grave de santé, sans lui donner de détails, sinon, tout le quartier serait au courant en un rien de temps

-Elle n’a pas cherché à en savoir plus ? Étonnant.

-Non, avec elle, ce qui compte, c’est le présent, et surtout que je sois heureuse, le reste, elle s’en moque royalement.

-Bon, je tiendrai ma langue.

-Pourquoi dis-tu ça ?

-Pour rien, pour rien.

-Georges ?

-Oui.

-Tu es toujours d’accord ?

-Quoi ?

-Je viens habiter chez toi, n’est ce pas ?

-Mais… oui.

-Ouiiii… ou vraiment oui ?

-Oui ma jolie.

-J’ai un peu peur de la réaction de Laurent, va t-il accepter facilement de divorcer… et puis…

-Oui?

-... nous allons demeurer dans la même ville, c’est gênant quand même.

-Valérie, il y a des centaines de couples qui se séparent sans pour cela se faire la guerre. Bien sûr, le choc pour lui est brutal, mais n’a t-il pas une grande part de responsabilité, même si le pauvre n’en est pas directement fautif.

-C’est vrai, mais vis à vis de toi, tu ne crains pas sa colère?

Georges se lève, fait quelques pas, reprend son verre de rosé qu’il sirote lentement.

-Tu rigoles ou quoi, Laurent est un faible, tu verras, il acceptera rapidement les faits, nous ne sommes plus au moyen-âge quand même.

À son tour Valérie se lève, minaude, elle vient s’appuyer contre Georges.

-Heureusement, je t’ai.

La nuit maintenant recouvre la nature, des sons nouveaux font leur apparition, des parfums nouveaux s’exhalent.

Les draps blancs accueillent deux corps qui, rapidement, oubliant le reste du monde, s’enlacent avec passion.

*

L’oncle

La première fois que Tonton tout en lui offrant une poupée, lui caressa tendrement, longuement le genou, Léa avait à peine cinq ans. Elle l’aimait bien son Tonton, car à chaque fois qu’il venait à la maison, il lui apportait toujours une petite surprise: un album à colorier, un bracelet avec des perles aux couleurs vives, une brioche bien chaude qu’elle dévorait avec une telle rapidité, qu’elle manquait à chaque fois de s’étouffer.

Tonton riait, elle aussi. Sa maman qui vivait seule les grondait un peu, mais finissait par rire également.

Léa ne connaissait pas son papa, dans son entourage on faisait silence sur un personnage qui, paraît-il, n’en valait pas la peine. Un personnage qui avait abandonné mère et enfant, qui, pour de petits larcins, avait fait de la prison. Enfin... il paraît !

Inconsciemment, sa petite âme, en quête d’affection s’était donc machinalement reportée sur un homme extrêmement gentil, souvent présent, Vladimir, le frère de sa maman.

Quand on est une fillette on se meut dans un univers où les fées, les princesses, les princes charmants, les pères Noël sont des personnages importants. Personnages qui, souvent, se mêlent aux images des adultes environnant. Tout est pur, aucune malice n’entrave chaque moment de leur naïve vie.

Parfois Liliane, sa maman, que la solitude du célibat pesait, s’absentait le soir pour des raisons mystérieuses, inconnues. Le travail lui disait-elle, ou bien garder une amie malade qui se trouvait dans le besoin.

Léa, malgré son jeune âge, constatait toujours que sa maman passait beaucoup de temps pour se faire belle. Habituellement, quand Liliane s’occupait des milles tâches ménagères, la tenue était terriblement quelconque, parfois un survêtement chiffonné ou une miteuse robe de chambre.

Ces soirs là, après tout, Léa était fière que sa maman soit si jolie, une princesse quoi.

Maman partie, Tonton venait lui raconter des histoires où des fées, des ogres, des lutins, se partageaient des territoires immenses avec des géants, des nains, des loups et des biches. Il y avait des luttes, des mariages souvent très curieux entre les différents protagonistes. Léa frissonnait, elle s’endormait avec dans la tête un carnaval d’images plus étranges les unes que les autres.

Quand elle se réveillait secouée par un mauvais rêve, quelques heures plus tard, son Tonton, tout près d’elle, avec amour, la réchauffait en lui murmurant des paroles apaisantes. Léa se rendormait. Tonton quittait le lit. Un peu moins élégante, au petit matin, sa maman rentrait, le côté princesse légèrement écorné.

Tout le monde prenait le petit déjeuner avec, chacun avec dans la tête des rêves, des pensées, des souvenirs bien différents.

N’importe quelle personne censée devant un comportement bizarre , se serait, de suite, rendue dans un commissariat ou à la gendarmerie, mais avec un si attentionné oncle, pas de doute.

*

En l’installant chez lui, Laurent, trop perturbé lui-même par la fuite de sa femme et surtout ne désirant pas brusquer la jeune fille, se comporta avec légèreté et imprudence, ne réfléchissant pas immédiatement aux éventuelles conséquences négatives.

Quand même, pas totalement innocent, il surveilla la jeune fille, qui, après s’être faite prié, prit une douche, accepta après hésitation quelques affaires de Valérie, les siennes ayant une odeur qui laissait à imaginer une hygiène provisoirement délaissée. Elle grignota du bout des lèvres quelques biscottes beurrées et un yaourt.

Ensuite, elle se coucha. Laurent laissa la porte de sa chambre entrouverte, prit rapidement un bain. Avant de plonger dans ses paperasses, il vint auprès de la jeune fille.

-Bonsoir.

Surprise la jeune fille, d’une voix timide répondit.

-Bonsoir… merci.

Sentant une légère détente, Laurent se présenta.

-Je m’appelle Laurent, à demain, dormez bien mademoiselle ?

-Léa, moi, c’est Léa.

-Bonsoir Léa.

Il s’approcha du lit, se pencha pour lui faire une bise. La jeune Léa se dressa violemment, avec la rapidité d’un éclair lui griffa le visage. Secouée de sanglots, nerveusement elle se réfugia sous les couvertures. Confus, désagréablement surpris, Laurent, se trouva extrêmement gêné.

-Pardon Léa, calmez-vous, à demain.

Il quitta prestement la chambre

«Que vais-je faire?»Pensa- t- il.

La nuit du sud-ouest enveloppa Toulouse.

*

Vers deux heures du matin, le cerveau encombré de pensées contradictoires, incapable de s’endormir, Valérie, sous le ciel étoilé de la Provence, se souvenait de ses noces.

Les noces

Tard dans la nuit, après la longue journée de fête, après avoir pris une douche bienfaisante, elle s’était mise au lit avec émotion.

Elle ne s’attendait pas à une bien étrange surprise. Elle connaissait Laurent depuis tout petit. En grandissant elle l’avait considéré comme un garçon plein de qualités susceptibles de fonder un foyer, celui d’une grande famille avec des valeurs chrétiennes comme celles que lui avait inculquées ses propres parents. Avec le temps, Laurent avait acquis une certaine maturité, il était sportif, agréable dans les discussions, instruit.

Une bonne situation vint couronner le personnage, ce qui ne gâchait rien. Parfois, durant un repas, une réunion entre amis, avec son ami Georges, il se vantait d’avoir des conquêtes, ce qui la rendait un peu jalouse tout en la troublant.

Sans pour cela offrir sa virginité, elle accepta avant le mariage de flirter, parfois même en poussant les caresses au delà du raisonnable. Seul le mariage pouvait ouvrir le sésame du fruit défendu, on est catholique ou on ne l’est pas. En fait, c’était déjà pas mal.

Elle n’avait connu, disons très intimement Laurent, que gamine. Avec Georges, les trois compères, en vacances, durant des escapades à la campagne, innocemment nus, ils prenaient des bains dans les lacs et rivières de la région.

Puis, d’une manière plus osée, c’est à travers l’étoffe de ses vêtements, qu’elle avait caressé son fiancé. Une parcelle de bonheur, pour ainsi dire.

Une légère appréhension lui faisait battre le cœur, car il lui tardait de découvrir pour la première fois les joies de l’amour physique.

Étrangement, Laurent tardait à la rejoindre au milieu de l’immense lit conjugal. Quand, enfin, il parut, drapé d’une large serviette de toilette, elle ressentit une émotion pareille à celle d’une enfant qui va découvrir le mécanisme d’un jouet nouveau.

Laurent se glissa dans les draps sans dévoiler sa nudité, ce qui étonna Valérie qui, prestement, riant comme une gamine, d’un geste brusque, repoussa le drap.

Elle resta sidérée devant le spectacle qui s’offrait à ses yeux. Bien sûr, avec Georges, enfants puis adolescents, ils avaient quelques fois abordé le cas de Laurent, mais jamais elle n’aurait imaginé une telle disproportion entre les drôleries, les sarcasmes et la terrible réalité.

Elle poussa un gémissement comme un enfant qui découvre enfin le jouet attendu et c’est un vilain jouet.

La surprise passée, Laurent calma Valérie.

-Mon amour, tu sais ce n’est qu’un léger défaut.

Avec tendresse, elle se colla contre son jeune mari,quelques caresses, quelques baisers, de vilain, le jouet devint hideux.

-Mais… que t’arrive t-il Laurent ? Gémit à nouveau Valérie

-C’est rien, c’est rien… viens.

-Mais…

-Je t’en prie Valérie, cela ne m’empêche nullement de faire l’amour.

C’était presque vrai. Laurent, dans la douleur, après de nombreux efforts, plusieurs tentatives, réussi à honorer sa jeune épouse.

Valérie, se mordait les lèvres par le supplice imposé. Ce qu’elle avait espéré, comme dans un film à l’eau de rose, se transformait en un horrible scénario.

Elle eut la pénible et lucide prémonition que son bonheur se terminerait en une glauque impasse. Elle pleura longuement, ne parla à personne de ce douloureux incident.

Laurent, honteux, connaissait depuis longtemps son infirmité. Par lâcheté, pour posséder la fille qu’il convoitait, il s’était tu.

*

Quai de Tounis

Le lendemain matin, Laurent dans la cuisine disposait le petit déjeuner pendant que Léa se préparait dans la salle de bains.

En cachette, il avait mis dans le chocolat de Léa un puissant calmant qui la mis dans un état second.

Afin d’éviter toute complication judiciaire, entre de longs silence et des paroles qu’il choisit les plus apaisantes possibles, Laurent réussit à convaincre Léa de l’accompagner à l’hôpital de Rangueil. Durant le trajet, Léa ne posa aucune question.

De par son métier, connaissant un médecin avec qui il était en affaire, il lui confia Léa en lui demandant, en tant qu’ami de longue date, d’essayer de savoir d’où elle venait et, surtout, le pourquoi de son instabilité.

Léa, sous l’effet des calmants, accepta sans se rebeller de rester en observation. Dans son regard il y avait comme une soumission à une situation sur un avenir inéluctable.

Pendant que le médecin s’occupait de Léa, Laurent appela Valérie, mais le téléphone portable de sa femme se trouvait toujours sur la messagerie, tout comme le matin où il avait trouvé l’infâme mot posé sur la table de la cuisine.

*

Conscience

À huit ans, Léa commença à se rendre compte que son Tonton chéri, alias Vladimir, prenait de plus en plus de plaisir à la mettre sur ses genoux. De même, quand elle sortait de son bain, après avoir joué avec ses canards flottants, il l’essuyait longuement, puis la frictionnait minutieusement avec de l’eau de Cologne.

Au début, elle trouvait plaisantes toutes ses paternelles attentions, puis instinctivement, sa petite âme en alerte, elle commença à repousser les genoux, les essuyages et frictions appuyés. Gênée, elle sentait bien qu’il y avait comme une anomalie.

L’oncle Vladimir, souvent, insistait, mettant Léa dans une colère froide. Comme il était grand, fort et puissant, elle subissait plus qu’elle n’acceptait.

Un commencement d’incompréhension et de haine germa dans son corps de fillette.

*

Laurent rejoignit le centre ville, non sans avoir essayé à nouveau de téléphoner à Valérie. Il laissa plusieurs messages lui spécifiant qu’il comprenait la situation et qu’il ne s’opposerait, en aucun cas, à une séparation à l’amiable.

Bien entendu, ses propos n’avaient pour objectif, qu’amadouer les deux traîtres et de préparer une éventuelle vengeance. Mais... laquelle? Il ne se sentait pas l’âme d’un procédurier ni d’un placide tueur à gages. Il lui faudrait trouver quelque chose de plus tortueux, de plus mesquin. Utiliser le point faible du traître.

-Oui… il faudrait !

Des têtes se levèrent dans le café où il s’était installé pour siroter un alcool.

Laurent avait parlé tout haut, il se tassa sur la banquette, pour se donner une contenance. Il demanda le journal du jour.

Il parcouru d’un œil distrait les faits divers les plus farfelus afin de s’en inspirer, aucun ne parvint à lui donner une idée.

Sa pensée se brouilla, des images anciennes vinrent se substituer aux faits divers du journal, le décor du café s’estompa, il ferma les yeux.

« C’était il y a une huitaine d’années, Valérie venait, suite à une longue absence due aux études, de réapparaître dans sa vie. Ce n’était plus la gamine des jeux farfelus, mais une ravissante jeune femme. Pensant la conquérir comme épouse et donc pouvoir assumer correctement sa fonction de mari, il prit rendez-vous avec un médecin réputé, spécialiste en urologie, afin d’en savoir un peu plus sur cette infirmité, qui jusqu’à présent, s’était porté plus sur de gentilles moqueries que sur une sérieuse compréhension fraternelle. »

Un rendez-vous fut pris.

*

Chez le spécialiste

Laurent remonta son pantalon, remit en ordre chemise et cravate.

- Asseyez-vous, monsieur Mazer.

Laurent savait très bien que le diagnostique du spécialiste ne serait pas des plus réjouissant. Devant un homme de science, la confiance est nécessaire. Il appréhendait le verdict.

L’homme en blouse blanche, s’appuya sur son bureau, respira profondément.

-Cher monsieur, actuellement aucun traitement médical n’est vraiment efficace, seule la chirurgie permet, et encore... d’améliorer cet épouvantable handicap.

-La chirurgie ?

-Oui, c’est assez spectaculaire, mais c’est le seul moyen d’atténuer votre souffrance physique, et aussi, j’en conviens, psychologique.

- Avez-vous une brochure sur ces méthodes d’intervention ?

Le médecin sortit une brochure assez épaisse, la présenta à Laurent qui en eut le souffle coupé tellement les croquis et photographies étaient d’une réalité difficile à supporter.

Il déglutit.

- C’est horrible docteur .

-De la chirurgie monsieur Mazer, de la chirurgie.

Laurent tournait les pages de la brochure.

-On dirait…

-Oui, vous ne vous trompez pas, après une intervention, le patient, peut avoir une modification importante de l’organe.

Un long silence suivit. Laurent qui pensait pouvoir résoudre facilement son handicap se trouva bouleversé, décontenancé.

-Que faire docteur ?

-Je sais que cette situation touche ce qu’il y a de plus profond dans la virilité d’un mâle. C’est aliénant pour un homme, comme vous, si jeune, mais, cher monsieur, il vous appartient, après réflexion, de prendre seul, une décision. N’oubliez pas que l’harmonie de votre futur couple en dépend. J’ai cru comprendre que vous envisagiez de vous marier, n’est ce pas ?

-Oui… oui...

Laurent était sonné, faudrait-il tenter l’opération, ne rien dire, il ne savait plus que penser.

Quelques instants, le médecin, avec tact, laissa Laurent dans ses pensées.

Laurent sortit de chez l’urologue complètement abattu, perturbé. Résonnait encore dans sa tête la phrase du spécialiste:«-De la chirurgie, monsieur Mazer, de la chirurgie.»

Arrivé chez lui, il fonça sur son ordinateur, chercha sur Internet des explications sur les différents aspects de son anomalie. Il découvrit des découpes anatomiques comme on en voit quelquefois chez des bouchers. Le front en sueur, proche de la nausée, il éteignit l’ordinateur.

Jamais, non jamais, il ne se laisserait charcuter dans son intimité.

*

L’escapade des amants touchait à sa fin. Ils voulurent avant de partir, intensifier des moments de passion, de respirer à pleins poumons l’atmosphère de cette Provence aux parfums subtils, aux multiples couleurs, aux sons particuliers.

Quand Georges avait commencé gentiment à faire la cour à Valérie, il lui donnait rendez-vous dans des jardins, à des terrasses de cafés, tout comme de bons amis qui, au cours d’une promenade se rencontrent au hasard des circonstances.

Sans trop sans rendre compte, Valérie, insidieusement se laissa aller aux confidences. Comme Georges se prêtait volontiers à ce jeu, Valérie commença par lui confier de petites anecdotes assez banales, comme l’irrégularité des attentions sentimentales de Laurent, puis elle dévoila cette pénible vérité: Laurent ne pouvait plus être un époux parfait, sa quasi-impossibilité d’assumer l’acte sexuel que dans une souffrance physique qui, impitoyablement, les éloignait.

Georges, sournoisement, enregistrait ces intimes confidences, certain qu’il en profiterait à un moment donné.

Cela la soulageait de pouvoir parler à un ami, ses parents n’ayant pas la largesse d’esprit de comprendre sa pitoyable situation.

- J’accepte que Laurent me caresse afin qu’il puisse trouver un peu de joie, également pour lui faire plaisir. Pensant trouver aussi un peu d’émotion, prenant sur moi, je le cajole, le câline. J’espérais qu’il prenne sérieusement la décision de se faire examiner par un spécialiste, mais il restait sourd à mes suppliques. Ces déviations de tendresses, limite maternelles, devenaient insupportables.

-Valérie arrête, tu me l’as déjà expliqué...

-Rapidement, malgré ma bonne volonté, frustrée de ne pouvoir m’épanouir, je ne pouvais plus le toucher sans que cela me procure une immense répulsion.

-Je te comprends.

-Alors nous nous sommes éloignés, écartés physiquement, malgré ses sollicitations, je fis chambre à part et pleurais toutes les nuits

-Quand même, c’est un salaud, il aurait pu, avant votre mariage, te prévenir.

-Me prévenir... il m’a bien eu, je lui en veux terriblement, ma vie est gâchée.

-Il n’a jamais essayé de se soigner, en tous les cas, gamins, nous n’aurions jamais imaginé que ce nous considérions comme rigolade, soit si important, je te plains sincèrement, c’est pourtant facile d‘aller voir un toubib.

-Voir un médecin ? se soigner ? Rien à faire, il est têtu comme une bourrique, je ne pense pas qu’il soit allé consulter un spécialiste.

-C’est dégueulasse.

Mais dans l’esprit de Georges, la situation de Valérie l’arrangeait, lui qui depuis toujours la désirait, lui qui s’était, comme on dit, s’était fait souffler la mise par son ami Laurent.

Enfin il put la consoler, une Valérie tourmentée, prête à offrir son jeune corps frustré à d’autres bras consentants, les siens. Et c’est ainsi que Georges et Valérie devinrent amants.

Au début elle se senti gênée de tromper son mari avec son meilleur ami, mais rapidement Georges lui fit comprendre que l’amour qu’il portait ne datait pas d’hier et, qu’après tout, Laurent ayant agi très misérablement, il ne méritait qu’un juste retour des choses.

Valérie, convaincue, s’abandonna et trouva dans les bras de Georges, ce dont elle attendait de Laurent, être une femme comblée.

*

Menaces

Liliane Péral, la maman de Léa, sortait de plus en plus souvent. Léa, alors, livrée à elle-même, devait jouer au chat et à la souris avec son oncle Vladimir qui, plus directement, profitait de la moindre occasion pour lui tourner autour.

Léa, devenue une ravissante adolescente de quinze ans suscitait le désir parmi ses camarades de classe. Mais la convoitise la plus sulfureuse se nichait dans les entrailles du gentil oncle.

Elle devait à chaque fois que son oncle l’embrassait, éviter prestement les lèvres au sale goût de tabac qui venaient se poser insidieusement sur ses propres lèvres.

Avec dégoût, elle avait beau tourner le tête, il arrivait toujours à toucher avec sa langue, cet endroit si sensible que même certaines prostituées ne veulent pas que l’on touche.

Léa commença à se rebeller. Un jour, brusquement, elle lui donna une violente gifle, faisant saigner les horribles lèvres prédatrices.

Vladimir, sur le coup, voulu à son tour la gifler, mais il se retint, vexé et décidé à le lui faire payer.

Quelques quinze jours après, Léa, ayant bien vérifié si toutes les portes de la maison étaient fermées, avec minutie, prenait sa douche matinale.

Enduit d’une crème parfumée, elle met son joli corps sous l’eau bienfaisante. Un bruit de porte lui fit interrompre le jet pour prêter l’oreille. Silence. Elle entend comme un bruit de vêtement qui tombe à terre. À nouveau silence, le cœur battant, elle ouvre le robinet pour se rincer.

Brusquement, Vladimir, nu, pénètre avec elle sous le jet la douche.

-Léa, ma petite Léa, attends, je vais te laver tout comme je le faisais quand tu étais gamine.

Léa, tétanisée, ne bougeait plus, sa mémoire, tout à coup, avec lucidité entrevoyait des images de sa petite enfance, les gestes précis dont jadis, elle ne comprenait pas la signification diabolique.

-Voilà, ma belle, c’est parfait, ne bouge plus.

Vladimir, désir affiché, se plaque au jeune corps devenu femme et savonne méthodiquement l’adolescente. Les doigts inquisiteurs, comme de diaboliques minuscules serpents, mélangés à la mousse du savon, parcourent le corps de Léa toujours immobile, pétrifiée. Cela semble durer une éternité. Léa s’évanouit.

Quand elle se réveille, elle se trouve allongée sur le divan du salon, enveloppée d’une couverture.

Au-dessus d’elle, son oncle, le regard noir, la fixe.

-Léa, si tu parles, je te tue.

Puis il se redresse et d’un pas lourd sort. Dans la tête de Léa un craquement se fait. Hébétée, elle prend une éponge en maille de fer et se frictionne durant de longues minutes. La tendre peau, écorchée, ensanglantée, prend rapidement la couleur rouge du commencement de la folie.

Quand sa mère, le soir trouve Léa dans ce pitoyable état, rapidement, elle l’hospitalise.

*

Durant les quelques jours, où, dans un mutisme total, elle resta sous observation, ni les médecins, ni les psychologues ne purent savoir les motifs de ces stigmates.

Elle sortit, réintégra le lycée, mais son comportement devint de plus en plus incontrôlable. Quand un de ses camarades de classe, pour une raison ou une autre l’attrapait par le cou, lui touchait la cuisse, elle hurlait, parfois même se jetait sur le pauvre garçon qui ne trouvait grâce que dans la fuite.

Les professeurs, ainsi que l’infirmière de service, furent dans l’obligation plusieurs fois de renvoyer Léa de l’établissement.

On ne revit pas l’oncle Vladimir durant plusieurs semaines, ce qui n’étonna qu’à moitié, la mère de Léa.

L’oncle était habitué à s’absenter sans prévenir quiconque de son entourage. «Les affaires», disait-il.

*

Obligée par Georges à fréquenter des hôtels de passages, Valérie n’était jamais venu chez lui. Elle découvrit une charmante maison en briques roses, dite Toulousaine, située au cœur du quartier Saint Cyprien. Elle s’installa.

Elle attendit quelques jours pour contacter Laurent en prévision d’un divorce à l’amiable.

Rendez-vous fut pris dans le spacieux hall d’accueil d’un luxueux hôtel de la place Wilson, en plein centre ville.

Ce premier contact après qu’elle eut quitté le domicile conjugal, fut assez courtois. Valérie, malgré la certitude que son geste ne devait pas la culpabiliser, ne se sentait pas très à l’aise, surtout par rapport à Georges, l’ami d’enfance de Laurent.

Elle fut étonnée de l’attitude décontractée de Laurent qui, à aucun moment n’aborda, ni l’ami félon, ni le problème de son handicap, pourtant facteur de la séparation.

Avec doigté, il lui posa quelques questions qui le renseignèrent rapidement sur son nouveau domicile, chez Georges, bien entendu. Il promit que, dans quelques temps, il ferait le nécessaire pour le divorce.

-Laisse-moi le temps de souffler, proposât-il.

Valérie accepta, toute heureuse de voir la facilité avec laquelle Laurent prenait avec philosophie ce déchirement.

Elle le quitta, presque joyeuse, se dirigeât vers des magasins de vêtements pour s’offrir une babiole quelconque.

De son côté, Laurent, perfide, se demandait par quelle ruse, il allait se venger.

*

Prédation

Cela faisait un moment que Vladimir n’était apparu. Léa après un court séjour de repos et quelques tranquillisants, commençait à s’apaiser. Hélas, durant certaines nuits de nombreux cauchemars venaient hanter son sommeil. Elle se réveillait en sursaut, le front perlé d’une sueur âcre, ce qui tourmentait sa mère qui, trop occupée à fréquenter des lieux insolites, ne se doutait pas des véritables causes des perturbations de sa fille.

Liliane continuait de s’absenter régulièrement.

Un soir, presque joyeusement, chantonnant, Léa préparait le dîner, s’affairant avec livres de recettes et casseroles. Dans la minuscule cuisine, malgré le désordre, elle arrivait à s’y retrouver. L’heure avancée laissait prévoir un retard de sa mère. Un coup d’œil à la pendulette. «Comme d’habitude.. .» pensât- telles.

Elle entendit la porte d’entée s’ouvrir.

-C’est toi maman ?

Pas de réponse. Inquiète elle réitéra sa demande.

-Maman… c’est toi ?

Deux énormes mains, avec violence, enserrèrent sa poitrine, malaxant les tendres globes arrondis libérés d’un inutile soutien-gorge sous un léger chemisier. Puis, collé à son dos, elle sentit à la hauteur de ses reins la fougue de l’homme.

Immédiatement, l’image de son oncle déchira son esprit. Un éclair fulgura son cerveau.

Une odeur de vinasse.

L’homme, ivre, rugit.

-À moi, enfin… tu vas être à moi.

Imbibée d’alcool, c’était bien la triste voix de Vladimir. Comme un ouragan la violence tourbillonna dans la cuisine, le cerveau de Léa se vida de toutes réflexions. Avec rage, elle attrapa le premier couteau qui se trouvait sous la main, se retourna et le planta dans le ventre de l’agresseur.

Vladimir hurla, se courba en sang, s’écroula sur le carrelage. Léa s’enferma dans sa chambre. Une coulée de feu dans la poitrine, hébétée, elle s’assomma en se tapant la tête contre le mur.

Quand Liliane arriva, le spectacle qui s’offrait à elle lui permit d’ouvrir les yeux sur le comportement de son frère et du pourquoi des perturbations de sa fille.

Le SAMU emporta Vladimir à l’hôpital. Il mit plusieurs semaines à se rétablir.

Faible, Liliane ne porta pas plainte de peur du scandale, mais demanda instamment à son frère de ne plus approcher Léa sous peine de représailles judiciaires.

Léa fut conduite dans une clinique à quelques kilomètres de Toulouse, où, là, sous les regards bienveillants des médecins, infirmières et éducateurs spécialisés, elle passa plusieurs mois.

Elle pouvait aller et venir, la seule condition, c’était de signaler sa présence sitôt qu’elle s’éloignait du centre.

Souvent elle sombrait dans une sorte d’absence. Plus rien autour d’elle n’existait. Le personnel, pourtant attentif, n’arrivait pas à lui extraire un peu de joie, un peu de vie. Sous sédatifs, durant des heures, elle dormait, puis comme si de rien n’était, elle se levait, vaquait à des occupations diverses avec d’autres pensionnaires. Lucidité relative, perturbations dans ses propos et absences se succédaient.

C’est ainsi, qu’un après-midi au moment de la sieste générale, dans une sorte de dédoublement, la tête dans du coton, elle s’échappa de la clinique, plongeant le personnel dans un grand désarroi.

Après avoir erré au milieu d’épais bosquets, de taillis, près d’un cimetière, elle déboucha sur une route, se planta au milieu de la chaussée. Elle faillit se faire écraser par un automobiliste qui, heureusement, freina au dernier moment. L’homme, un prêtre la persuada de lui faire confiance. Elle finit par monter dans la voiture.

*

Chez le spécialiste

Sonnerie de téléphone.

-Allô... Laurent Mazer ?

-Oui ?

-C’est le docteur Subarini.

-Oui… comment allez vous ?

-Merci, pas mal, dites-moi, quand nous livrez-vous le scanner que nous vous avons commandé ?

-Normalement, d’ici la fin du mois, l’équipe technique viendra vous l’installer.

-Et bien ce n’est pas trop tôt, nous commencions à désespérer… au fait…

-Oui ?

-J’ai réussi à avoir des renseignements sur la jeune personne que vous nous avez amenée il y a quelques temps.

- Alors ?

-Alors, ce que je vais vous dire doit rester entre nous, vous savez que normalement certains dossiers doivent rester, disons, confidentiels.

-Bien sûr, je le sais, je vous promets de rester muet comme une carpe, nous nous connaissons depuis si longtemps, faites moi confiance… alors… docteur ?

-C’est bien parce que c’est vous, monsieur Mazer... cette jeune fille a été profondément traumatisée dans son enfance par des actes incestueux graves. C’est un de ses proches parents, en l’occurrence son oncle, qui en est l’auteur.

-C’est terrible.

-Le même oncle a récidivé en tentant de la violer.

-C’est sordide .

-Comme vous dites... elle s’est défendue en blessant grièvement l’odieux personnage. Cela à accentué son état mental, très fragile, il suffirait d’un rien, sous l’effet d’une émotion du même genre, d’une attitude qui lui rappelle son oncle pour qu’elle récidive en passant à l’acte.

-Quel acte ?

-Celui de se croire agressée, donc menacée. Cette jeune personne est potentiellement dangereuse, sous son aspect angélique, elle peut se transformer soudainement en une redoutable criminelle… Allô ! Allô ! Monsieur Mazer, vous m’entendez ?

Laurent prenait soudain conscience du risque qu’il avait côtoyé, les paroles du médecin le troublaient considérablement.

-Oui… je vous écoute.

-Voilà, cher monsieur Mazer, vous êtes prévenu. J’espère que vous n’avez plus de contact avec elle ?

-Non, non, je vous remercie, et comptez sur moi pour la discrétion.

-De rien… n’oubliez pas l’installation du scanner.

-Promis, à bientôt.

-À bientôt.

Laurent raccrocha, il se versa un grand verre de whisky. La tête écrasée au dossier de son fauteuil préféré, il laissa sa pensée divaguer.

Elle prit des méandres souterrains, jusqu’à ce que vienne poindre une lueur infernale. C’est que… peut être ?

*

Le séducteur

Georges avait une véritable affection pour Valérie, mais, en bon célibataire égoïste qu’il était, pour le moment, il n’avait pas imaginé ce désavantage: celui d’avoir en permanence une personne chez lui.

Malgré ses nombreuses qualités, il avait un sacré point faible, celui, depuis toujours, d’aimer excessivement les femmes. Une véritable drogue. Il avait pris l’habitude d’amener dans sa jolie maison ses conquêtes afin de satisfaire une sexualité excessive. Beau gosse, aucune difficulté dans les victoires faciles. Son métier de responsable d’une grande firme de produits cosmétique pour coiffure, l’amenait aisément à rencontrer durant les visites aux franchisés une gente féminine charmée par sa prestance, le milieu s’y prêtant, la « pêche » était facile. Quand il sortait en boîte, parfois, sous le regard envieux de ses amis, des femmes sans pudeur s’enhardissaient en le sollicitant ouvertement.

Il était déchiré entre plusieurs problèmes: son amour pour Valérie, celui de lui être fidèle et ses pulsions intérieures qui, parfois, l’entraînaient à rencontrer des jeunes femmes ultra-libres dans des clubs échangistes.

Là, dans ces lieux de débauches consenties, il pouvait laisser libre cours à cette force infernale purement animale.

Valérie ne s’en était pas plainte, elle qui découvrait ces plaisirs que la chrétienté familiale avait bridée jusqu’à son catastrophique mariage.

Georges rendait souvent visite à Valérie à son institut. Il se faisait faire des soins du visage, des épilations de son torse velu, des massages avec des huiles onctueuses et essences odorantes diverses. Il ronronnait comme un chat sous les mains expertes de Valérie.

Mais les extrémités expertes qu’il préférait, c’étaient celles de l’associée de Valérie, la ronde et pulpeuse Roxane à peine vêtue sous sa blouse, qui, n’étant pas née de la dernière pluie, prodiguait à Georges des massages limites érotiques. Limites périodiquement dépassées d’un commun accord.

Un avant-bras qui s’égare sur le bas ventre, un effleurement accentué sur certaines zones sensibles, une nuque doucement enlacée par des doigts enduits de fluides, crèmes parfumées, le tout, bercé par une suave musique d’ambiance.

Un tacite jeu de sensualité s’était installé entre les deux compères dans le dos de Valérie, qui, naïve, ne se doutait de rien.

*

Quai de Tounis

Petit matin, Laurent se réveille dans la douleur, son sexe tendu à l’extrême le fait violemment souffrir.

Il se lève pour prendre une douche glacée afin de faire tomber la tension abominable de son corps.

Également tension dans sa tête, car la frustration de n’avoir pu honorer sa femme, lui donne la désagréable sensation d’être comme un condamné à mort.

Ce morceau de chair qui fait qu’un homme est un homme, ce morceau de chair emblème de la virilité, hélas, pour lui, ce morceau de chair est sa ruine, son chemin de croix, sa castration sociale.

Qui incriminer ? Ses parents ? La nature ? Dieu ? Si un Dieu existe ? Laurent souffre, il est désir, honte, vigueur et impuissance à la fois.

Il pense à Georges qu’il a toujours connu entouré de jolies filles, à ses exploits amoureux, car le drôle, ne se gênait pas, avec mille détails pour raconter à qui veut bien l’entendre, les multiples gymnastiques et positions de ses ébats.

-«Le perfide, voilà maintenant qu’il baise ma femme comme toutes ces drôlesses avec qui il a couché.»

Comme des scènes au cinéma qui passent en ralenti, comme dans un brouillard, Léa soudain lui apparaît. Les recommandations du médecin résonnent dans sa tête. D’une bouche démesurément grande, telle une ogresse, elle lui arrache les membres à coup de dents. Durant un instant, il se croit assister à un de ces films d’horreur. Des images plus atroces les unes que les autres se superposent.

Il frémit.

-«Que devient-elle ?»

*

Après sa fuite du centre spécialisé et son passage dans un service neurologique, Léa réintégra son domicile puis le lycée mais son comportement posait de plus en plus de problèmes. Les professeurs avaient du mal à gérer sa constante irascibilité.

Jolie fille, pourvue d’attraits supérieurs à la moyenne de ses camarades, de nombreux benêts boutonneux lui tournaient autour ce qui n’adoucissait pas les relations souvent déconcertantes.

Elle évitait de se mêler à ces groupes qui trouvaient nourriture dans des conversations sans fin sur des amours futiles et impossibles, tels que les vomissent certaines imbéciles émissions télévisées.

Les garçons, habitués à être considérés comme de perpétuels Don Juan sur des proies faciles, pensaient, à tort, que Léa devrait faire partie du lot.

Ils ne connaissaient pas la profonde déchirure de Léa. Régulièrement, des visages de garçons enhardis devenaient rapidement lacérés par des ongles pointus. Des mains baladeuses se trouvaient tordues, des doigts cassés, des pieds écrasés.

Léa dut quitter l’établissement scolaire au désespoir de sa mère. La sachant traumatisée par les exactions de son frère, Liliane tremblait pour sa fille. Elle appréhendait qu’un jour, celui-ci récidive. Elle essaya de moins sortir le soir. Seulement, la tentation des plaisirs de la nuit étant la plus forte, elle continua ses escapades mystérieuses.

Sur les conseils d’un psychologue, Léa chercha du travail. «Qu’importe la branche» avait suggéré le praticien «L’oisiveté n’est pas un bon facteur d’équilibre.»

Elle s’essaya comme apprentie dans divers secteurs, mais à chaque fois, la proximité des hommes la renvoyait dans les cordes de sa problématique, celle de sa profonde aversion sur toute virilité affichée et qui franchissait le cercle de son intimité.

De nombreux échecs, des peurs, le désespoir. Léa déambulait durant des heures entières dans les rues de Toulouse à se morfondre sur son avenir.

Sous les arcades de la place du Capitole, elle crut apercevoir un visage connu.

*

L’institut de Valérie et de son associée Roxane ne désemplissait pas.

Situé sur une placette, près d’une grande artère, au cœur d’un quartier chic, toutes les femmes élégantes, classe oblige, passaient entre leurs mains expertes. Gommages, soins du visage, épilations, massages avec des galets chauds, séances de bronzages aux U. V, toute une panoplie d’opérations destinées à garder un corps le plus proche de celui d’une adolescente, adolescence, hélas perdue. Paraître, toujours paraître plus belle, plus jeune, même si cela doit coûter cher !

Quelques hommes fréquentaient l’institut. Georges faisait partie du lot, ce qui commençait à agacer Valérie, car souvent, en revenant de faire quelques achats, elle le trouvait sortant de la cabine, suivi de Roxane.

-Je t’ai attendu, mais comme je suis pressé, tant pis, j’ai eu affaire à Roxane, tu es jalouse ?

-Non… mais…

-En plus, tu sais bien qu’en matière d’épilation, elle est plus efficace que toi. Ma chérie, tu es tellement douce, si délicate, que tu n’oses me faire mal, ce n’est pas vrai ?

-Oui…

-Allez, ne mélangeons pas travail et amour, tu me fais de la peine

Il l’enlaçait, Valérie fondait. – « Bon, il est libre de faire ce qu’il veut», pensait-elle. Tout en pensant, quand même, que parfois durant ses propos, il se moquait d’elle. Son agacement fondait. Elle gobait les arguments de son amant.

Elle préparait son divorce en compagnie d’une de ses amies avocate, ce qui l’obligeait avec la comptabilité, les achats chez les grossistes, à s’absenter plus souvent.

Georges parti, Valérie se tourna vers Roxane.

-Roxane.

-Oui ?

-Nous devrions penser à embaucher quelqu’un.

-Tu crois.

-Oui, par exemple, une apprentie que nous formerions, qui nous soulagerait pour des soins moins importants.

-C’est une bonne idée… oui, pourquoi pas.

*

C’est comme ça, qu’après avoir abordé le sujet du divorce, qu’incidemment, au détour d’une conversation avec Laurent, sans s’en rendre compte, Valérie se plaignit du surcroît de travail et de son intention de former une apprentie. Laurent nota dans le coin de sa tête ce projet. Une perverse idée traversa son esprit, il tenait peut-être une infantile vengeance .

*

En fait, après son échec auprès de Léa, Vladimir n’était pas parti très loin.

Il s’était réfugié dans un minable hôtel près de la gare Matabiau. Sans travail, il vivait terré, ne subsistant que de mendicité, de petits boulots au noir et du minimum garanti.

Il revivait sans cesse les scènes, qui depuis l’enfance de Léa, le mettaient dans une fébrilité incontrôlable.

Jamais, il n’avait voulu aborder son problème soit avec un médecin, encore moins avec un psychologue.

Il craignait depuis sa tendre enfance les femmes. Il se souvenait de cette mère possessive qui le couvait à l’extrême, le ridiculisant devant sa sœur et ses camarades de classe. Sa sœur Liliane, autoritaire, courant après tous les garçons, l’obligeant avec rudesse à faire des corvées qu’elle ne voulait pas, par coquetterie, exécuter.

Devant ses copines hilares, elle le déguisait en poupée, lui mettait du rouge à lèvres, faisait semblant de lui couper le «kiki» pour qu’il fasse plus fille, l’obligeait à jouer au papa et à la maman en simulant un acte qu’il ne comprenait pas mais qui le dégoûtait fortement.

Sa singulière grand-mère qui demeurait dans une espèce de masure moyenâgeuse, perdue dans la montagne, durant les vacances avec lui, dans un grand baquet d’eau froide, ne se gênait pas, en se lavant, de se montrer nue, exhibant d’énormes touffes grises luisantes qui l’horrifiait. Georges avait développé une répulsion maladive de la gente féminine. Sa seule consolation fut de trouver, sans qu’il ne s’en rende vraiment compte, plaisir et désir qu’auprès de ses petits camarades asexués.

«Personne ne peut me comprendre…» pensait-il en se martelant la tête contre le mur de sa chambre.

Léa était la seule enfant qu’il avait approché, car trop lâche, il avait peur des réactions des proies qu’il aurait bien voulu aborder, oiseaux fragiles, innocentes, le plus souvent accompagnées des parents, heureusement .

Parfois, il tournait autour d’écoles, mais toujours, au dernier moment, quand il sentait sa poitrine se serrer, son souffle devenir court, ses mains qui tremblaient, vite il fuyait, pressentant le danger d’une interpellation violente de la foule.

Avec Léa, se fut plus facile, car le butin était trop proche pour que la tentation se transforme en réalisation illicite.

Léa grandissant, ce fut sa seule référence idéale en matière de femme. Son instinct primitif le conduisit inexorablement à des actes incontrôlables.

Faible, enchaîné dans son enfer, Vladimir ne put juguler cette force incrustée au creux de ses entrailles.

Son seul plaisir était de suivre Léa dans tous ses déplacements. La pauvre enfant ne se doutait pas que le prédateur rôdait, prêt à récidiver.

*

Un après midi, Laurent pris la direction du Jardin des Plantes. Ce magnifique parc, propice à la réflexion, il aimait s’y promener.

Des amoureux se bécotaient, ignorant les passants, de nombreux enfants jouaient, riant en tournant sur des manèges, surveillés par des mamans fières de leurs rejetons. Laurent enviait ces joies.

Être père, cela maintenant semblait une démarche semée de difficultés. Le cœur serré, il déambulait.

Entre deux amères réflexions, il admirait les grands arbres, essences variées, venues de tous les coins du monde, les parterres aux fleurs multicolores, joliment aménagés.

Au détour d’un chemin, il aperçut, assise sur un banc, une jeune fille, qui, les yeux fermés, semblait dormir, il s’approcha doucement, reconnut de suite Léa.

Quand il fut tout près, elle ouvrit les yeux. Surprise par cette présence inattendue, apeurée, elle eut un brusque mouvement du corps.

-Léa, c’est moi, Laurent Mazer, tu me reconnais ?

Léa reprit son calme, le fixa longuement.

-Oui Laurent, bien sûr, il n’y pas longtemps je vous ai vu place du Capitole, que faites-vous ici ?

-Quelle question! Je fais comme toi, je profite du lieu pour réfléchir… alors toi, que fais-tu ?

-Bah…

-Quoi bah ? Et les études ?

-Terminées.

-Tu travailles ?

-Hélas non, je n’arrive pas à trouver un emploi, je suis trop jeune, pas assez d’expérience.

Léa se gardait bien de donner les véritables motifs des échecs respectifs.

Laurent évita soigneusement de lui poser des questions sur sa santé.

C’était le moment rêvé, Laurent avança ses pions sur les cases de l’échiquier de la vengeance.

-Léa, aimerais-tu travailler dans un institut de beauté ?

-Oui… cela me plairait assez…mais…je ne connais personne.

-Je connais deux jeunes femmes qui possèdent une boutique d’esthétique. Elles cherchent à former une jeune fille, serais-tu prête à essayer ?

-Je ne sais pas...

-Il faut te décider Léa.

-Bon… c’est d’accord.

-Écoute-moi, je vais te donner l’adresse. Tu iras te présenter. Fais exactement comme je te dis. Surtout ne parle pas de moi, car il faut que cela soit spontané.

-Comment je fais ?

-Dis que tu es entré par hasard, que tu fais toutes les boutiques du coin, que ce n’est pas le premier job que tu cherches, et que le métier d’esthéticienne, depuis que tu es toute petite, t’attire.

-Et… vous croyez que cela va marcher ?

-Léa, qui ne tente rien n’a rien.

-C’est vrai, mais… pourquoi ne pas dire que je viens de votre part ? Cela serait plus simple.

-Écoute Léa, je t’expliquerai plus tard, j’ai mes raisons, veux-tu travailler oui ou non ?

-Oui.

-Voilà l’adresse.

Laurent, sur un morceau de papier, nota, en déformant son écriture, l’adresse de l’institut de Valérie et de Roxane.

-Surtout ne montre pas ce papier, d’accord ?

-Promis.

Il salua la jeune fille, s’acheta une glace, se dirigea vers la sortie.

Son machiavélique plan commençait à se mettre en place.

Léa, après tout, n’avait rien à perdre, elle accepta, sans trop réfléchir, d’exécuter le plan de Laurent.

Quelques jours plus tard, elle était embauchée comme apprentie, avec un petit salaire à l’appui.

*

Les premiers pas

Comme toute apprentie, les débuts de Léa à l’institut furent difficiles car la jeune fille avait de la difficulté à toucher le corps des femmes. Il fallait les épiler, appliquer des masques à l’argile, faire des massages. Tous ces frôlements, contacts, la mettaient mal à l’aise.

Léa avait besoin d’apprendre un métier, de gagner de l’argent, aussi, travail oblige, elle prit sur elle d’accepter de palper ces peaux parfois disgracieuses.

Elle se persuada lentement que ces corps étaient comme le sien

Elle transposa son aversion des hommes en une sorte de thérapie, pensant que ces êtres qui venaient se faire belles, avaient sûrement un problème caché, qu’elles étaient malheureuses et que le seul moyen d’échapper à la réalité de la vie, c’était, durant quelques moments, par des soins, d'oublier les rudesses du quotidien.

En quelques semaines, douée elle avait compris et appris les différentes techniques, ce qui permit à Valérie et à Roxane de prendre quelques clientes supplémentaires mais également de s’accorder des moments de répit.

Un après-midi où Valérie vaquait chez un grossiste pour effectuer des achats destinés à l’institut, Roxane reçut, en douce, la visite de Georges.

Enfermés dans une cabine, les deux compères, à leur habitude, jouaient à qui sera le plus hypocrite. La finalité des jeux, à présent, étant dans le silence, la passionnelle fusion des deux corps.

Soudain, Georges se redressa, inquiet

-Mais dis donc Roxane, il y a quelqu’un dans la cabine à côté.

-Oui, nous avons engagé une apprentie.

- Je ne l’ai pas vue en entrant, tu aurais pu me prévenir.

Tu sais, elle ne semble pas très expansive, je dirais même, un peu renfermée, mais ce qui compte, pour nous, c’est qu’elle nous débarrasse de certaines mémères emmerdantes Elle travaille plutôt bien, du reste

-Tiens, tiens, elle est jolie ?

-Georges, calme-toi, elle très jeune, tu sais.

-Hé… un joli tendron n’est pas fait pour me déplaire.

-Arrête, veux-tu, en plus, elle semble assez farouche.

-Cela m’excite encore plus.

- Salaud, je ne te suffis pas, ni Valérie ?

-Mais si ma belle, du piment dans la dégustation n’a jamais fait de mal à personne, quand même.

-Je t’en prie, tu m’écœures, laisse-la.

-Mais oui, je plaisante, ne crains rien.

Dans l’esprit de Georges, esprit qui se trouve sous la ceinture, sans avoir vu Léa, déjà, il imaginait les mains de cette jeune fille, courir sur son corps exhibé, à moitié dénudé.

Quand il quitta la cabine, en douce, il jeta un regard, par l’entrebâillement du rideau de séparation.

Léa qui épilait la moustache d’une mamy ne le vit pas.

-«Pas mal, pas mal…» Pensa t-il. Il se dirigea vers la sortie.

À ce moment Léa se pencha pour attraper de la gaze. Malgré la musique d’ambiance, elle avait vaguement entendu quelques chuchotements étranges et rires à côté, aussi, fut-elle surprise d’apercevoir le dos d’un homme quitter prestement l’institut.

Un frisson la parcourut, elle n’osa pas demander une explication à Roxane.

*

Laurent avait donné rendez vous à Valérie dans un des nombreux cafés de la place Esquirol, juste au coin de l’étroite rue Saint Rome.

Il pleuvait, l’atmosphère de la salle était plutôt bruyante, chaque passant voulant se mettre à l’abri devant une tasse de café, un chocolat chaud.

Le brouhaha des conversations ne les empêcha pas de se disputer.

-Laurent, ces papiers, quand les signons-nous ? Tu sais, je croyais que tu avais compris.

-Ça va, ça va... un peu de patience, je ne les ai pas encore tous réunis, mon conseiller est en voyage, je pense que le mois prochain, nous pourrons en finir

-Le mois prochain ?Tu te fiches de moi. À chaque fois que nous abordons le sujet, il y a toujours un prétexte valable.

- Que veux-tu, c’est comme ça.

-Comme ça, comme ça. Valérie s’emportait.

-Je te préviens, Laurent, cela ne va pas se passer comme ça. J’ai consulté Rachel mon avocate… tu vas voir.

Oui je vais voir… et… que comptes-tu faire ? M’envoyer ton connard de Georges qui ne pense qu’à sauter la première paire de fesses offerte qui passe ?

Parfois, par honte, touché sur un point sensible, l’être le mieux éduqué, peut avoir une explosion incontrôlée de vulgarité. Elle cria.

-En tout les cas, ce n’est pas avec ton engin de clown que tu peux rivaliser avec lui.

Laurent, poignardé au centre de sa virilité, gifla violemment Valérie.

Valérie, la joue en feue, repoussa sa chaise qui tomba, les tasses de café valsèrent, elle lui jeta un verre d’eau à la figure et sortit en pleurant.

Les consommateurs, une minute figés dans le silence, reprirent en souriant leurs conversations. Le garçon essuya la table, releva la chaise, ramassa les débris des tasses brisées.

Laurent, sans se presser sortit. La pluie avait redoublée d’intensité.

-« Attends, surprise, surprise, Valérie»

*

Georges, obstiné, n’avait pas dit son dernier mot, il faisait partie de ces hommes à l’appétit sexuel extrêmement puissant, prenant souvent plaisir à jouir de l’incontrôlable.

Son désir se trouvait décuplé par le troublant désir de la conquête, plus particulièrement des conquêtes difficiles. Un véritable chasseur.

Avec cette petite esthéticienne débutante, tout était réuni, elle était jolie, désirable, jeune, farouche d’après Roxane. Le parfait animal à mettre dans ses filets.

Enfin, l’interdit exigé par sa partenaire des jeux érotiques, la tromperie envers Valérie, faisait un mélange détonateur qui n’était pas pour lui déplaire.

Tel un guerrier, en bon stratège, il prépara son coup. En premier, il se planqua, observa les allées et venues de Roxane et Valérie afin de savoir à quels moments, la jeune fille se trouvait seule.

Treize heures semblait le moment idéal. Valérie partait chez les grossistes, Roxane, quand il n’y avait pas trop de monde, durant trois-quarts d’heure, prenait une pause casse-croûte au café du coin.

Le jour «J» était venu. D’une proche cabine téléphonique, faisant semblant de téléphoner, il s’assura que tous les éléments étaient réunis, pour que la jeune fille soit seule.

Il raccrocha rapidement. Tel le chasseur sachant que son gibier se trouve à portée de mains, il se précipita dans la boutique.

*

Depuis quelques temps, Vladimir ne faisait pas qu’épier Léa. Il s’était muni d’un vieil appareil photographique avec un téléobjectif puissant.

Ne pouvant l’approcher, le seul moyen de tenir dans ses bras l’amour incestueux de sa vie, était de faire agrandir les clichés qu’il avait volés. On voyait, sur des papiers glacés, Léa dans tous ses parcours quotidiens, chaque mouvement, chaque expression étaient volés par la pellicule.

Le soir, il accrochait les photos sur tous les murs de sa chambre, il s’allongeait, les contemplait amoureusement. Puis il en choisissait une, souvent un agrandissement, la posait à côté de lui, l’embrassait.

Tout en caressant la photo, d’une étrange voix, il lui murmurait des mots doux.

-Ma petite Léa, je t’aime, je t’aime, Léa, pourquoi ne veux tu pas de moi ?

Petit à petit, une espèce d’aliénation morbide emmurait tous ses sens.

Il sombrait dans des sommeils peuplés de cauchemars où Léa lui apparaissait tantôt guerrière, castratrice, tantôt séductrice, amante, soumise.

Il se réveillait en sueur, certain d’avoir vécu réellement ces délires insensés.

*

Ce qui avait intrigué Vladimir, dans son safari pervers, c’est qu’à plusieurs reprises, il avait vu un homme qui épiait Léa. Il l’avait vu simuler un appel téléphonique d’une proche cabine. Par instinct, il le photographia sans que l’individu ne s'en rende compte.

Une fois, en le croisant, il faillit l’aborder, par faiblesse, il continua son chemin.

*

Treize heures, Léa, dans un étroit cagibi, avait sorti sa gamelle. Rêveuse, elle picorait une espèce de ratatouille préparée le matin par sa mère.

Nous étions en automne, la paisible chaleur du sud-ouest enveloppait d’une douce torpeur chaque partie de son corps.

Elle se rappela soudain qu’une cliente arriverait dans trois-quarts d’heure pour une épilation des jambes.

Elle se leva, comme la cire de la veille n’était pas très présentable, elle prit un pot de cire neuf, le posa sur le petit réchaud électrique. Elle monta le thermostat afin que le produit soit à bonne température pour la manipulation.

Au moment où elle tournait le bouton du thermostat, elle entendit tousser derrière elle. Surprise, elle aperçut un homme, sourire aux lèvres qui, tranquillement, la dévisageait.

Sidérée, elle eut un léger mouvement de recul, tournant le bouton à son maximum.

-Je viens pour un massage lymphatique.

-Mais…

-Mais quoi, vous n’en faites pas ?

-Si…

-Alors, allons-y, voulez-vous.

-Mais… je ne soigne que les femmes, gémit Léa.

-Quoi ? Je vais me plaindre à vos patronnes, vous savez.

Léa tanguait sur ses jambes, ses lèvres se desséchèrent, son cœur commença à battre très fort.

Georges, car c’était bien lui, connaissant parfaitement les lieux, s’était déjà installé. Nu, il attendait.

Cela l’excitait de savoir cette jeune fille dans l’embarras. « En un tour de main l’affaire sera conclue, et puis tant pis si elle résiste, l’aventure n’en sera que plus exaltante», pensa t-il.

-Alors ? Vous venez mademoiselle ?

Léa était perdue, elle voulait garder sa place, en même temps elle craignait cette curieuse et inattendue intrusion.

Du plomb dans les jambes, des étincelles dans la tête, un goût acide sur la langue, elle entra dans la cabine. La vue de l’individu s’exhibant en tenue d’Adam l’affola.

Elle prit une serviette, la jeta sur le bas ventre de l’homme. Georges repoussa la serviette.

-Mademoiselle, habituellement, vos patronnes sont beaucoup plus professionnelles, jamais elles ne seraient autorisées une telle faute.

Léa vit l’homme dans le paroxysme de son animal appétit. Elle recula dans le coin de la cabine. Hypnotisée, son corps devenait pierre.

Georges, avec rudesse, attrapa les mains de Léa, avec force il les posa sur son torse.

- Ça vient, oui ou non ?

Une odeur de brûlé se répandait dans l’institut. Le thermostat poussé a fond avait liquéfié dangereusement la cire à l’extrême.

Léa voulut sortir pour échapper à ce spectacle insupportable qui venait de raviver son esprit en lui rappelant de tristes souvenirs.

L’odeur de la cire brûlante lui fit prendre conscience qu’il fallait stopper la plaque électrique, elle voulut se ruer vers le local des épilations.

Georges s’était relevé. Elle glissa le long du mur faisant tomber fioles et pots de crème. Georges s’interposa de toute sa masse, obstruant la sortie.

Léa le repoussa et courut vers le local des épilations. Georges la suivit, pénétra avec elle, il l’attrapa, la poussa contre la table de soins. La prenant par les épaules, il essaya de la maintenir contre lui.

Hurlant, elle attrapa le pot de cire, lui versa le liquide brûlant sur le visage et le haut du corps.

Georges à son tour hurla comme une bête, se recroquevilla de douleur.

Égarée par la peur, Léa, pot en main, frappa violemment à plusieurs reprises le crâne de l’individu.

Cire et sang mélangés faisaient un curieux spectacle.

Léa, tétanisée, à ce moment vit entrer un autre homme qu’elle reconnut immédiatement.

C’était son oncle, le terrible Vladimir, que faisait-il là ?

*

Vladimir aux aguets, avait entendu les hurlements de Léa et de celui d’un homme dont il se doutait que c’était celui qui, lui aussi épiait Léa. Il l’avait vu entrer dans la boutique, cela l’avait intrigué.

Quand il vit le corps nu, sans vie, de l’homme il comprit la situation. Dans un étonnant élan de compassion, il s’approcha sans intention malfaisante.

-Léa… qu’as-tu fait ?

Léa avait une autre vision du triste personnage, secouée de tremblements, la nausée au ventre, prête à vomir, pour échapper à son bourreau d’enfance, elle laissa tomber le pot de cire taché de sang. Angoissée, elle se précipita dans le minuscule réduit qui servait de réfectoire.

Inconscient, Vladimir la suivit, mal lui en prit, car à peine devant Léa, il reçut un terrible coup de fourchette en pleine gorge.

Fou de douleur, il voulut s’enfuir, mais Léa, animal en furie, le rattrapa avant la sortie. Elle lui planta à nouveau la fourchette dans le dos. Il s’affala sur le carrelage. Elle continua à le frapper avec tout ce qui lui tombait entre les mains.

Vladimir ne bougeait presque plus. Dans un râle, il eut le temps, avant de tomber dans le coma de murmurer.

- Léa… je… t’aime... je... je voulais t’aider.

Léa s’évanouit, elle n’entendit pas ce dément cri d’amour.

*

Quand Roxane et Valérie entrèrent dans leur boutique, elles trouvèrent une cliente au bord de la crise d’hystérie. Léa, à terre divaguait, son esprit semblait avoir quitté sa jolie frimousse.

On l’amena d’urgence à l’hôpital pour y être soignée.

Pour les deux jeunes femmes, la présence de Georges, rapidement trouva une explication.

La police, en perquisitionnant chez Vladimir, trouva des centaines de photos de Léa mais aussi curieusement de l’homme agressé mortellement, Georges.

Avec de nombreuses séquelles handicapantes, Vladimir survécut à ses blessures.

Sa sœur, Liliane enfin porta plainte.

*

Midi, un soleil pâle passe à travers les branches d’immenses arbres centenaires.

Autour du caveau de famille du cimetière Repas, derrière l’avenue de Muret, très peu de monde, les parents de Georges, deux vieilles personnes complètement désorientées, trois belles jeunes femmes, un cousin éloigné, quelques relations de travail. Valérie et Roxane, malgré tout, avaient tenue à l’accompagner dans sa dernière demeure.

Un homme en gabardine, appuyé nonchalamment sur la croix d’une antique tombe délabrée examinait tout ce beau monde.

Il avait repéré un homme qui, caché derrière un arbre, se tenait à bonne distance.

Cet homme, Laurent, savourait, au moment de la mise au tombeau du traître, la délicieuse satisfaction d’une vengeance réussie.

La courte cérémonie terminée, Valérie et Roxane se promenèrent au milieu de tombes rococo tellement anciennes, qu’elles s’arrêtaient, curieuses, pour les admirer.

Pragmatiques, elles avaient mis à plat la situation, pour mieux comprendre les tenants et aboutissants.

-Comment as- tu pu me faire ça Roxane ?

-Je crois que nous pouvons être quittes, tu ne trouves pas ? De ton côté, ma cocotte, avec Laurent, tu n’as pas été très sport.

-Peut être, mais j’avais mes raisons.

-Ah ! Oui… lesquelles ?

N’ayant jamais dévoilé les raisons profondes de ses actes, Valérie, ennuyée par la question, détourna prestement la conversation.

-Ça va Roxane... maintenant que ce cochon de Georges est sous terre, nous n’allons pas nous disputer.

-Tu as raison.

-Nous avons l’institut à faire tourner.

Solidarité féminine, intérêts en commun, Valérie et Roxane se dirigèrent vers la sortie, saluèrent un vieux gardien indifférent, plongé dans des mots croisés.

L’homme à la gabardine téléphona de son mobile.

Laurent rejoignit sa voiture.

*

La Garonne, sous le soleil du mois d’octobre, coule tranquillement. Le pont Neuf, par sa masse, semble couver le vieux fleuve. Le long du magnifique quai de Tounis, près de l’appartement de Laurent, Valérie et Laurent marchent.

-C’est horrible ce qui est arrivé à Georges, soupire Valérie.

-Ma pauvre, il fallait bien s’en douter, nous connaissons l’animal, toujours en chasse, cela devait bien arriver un jour ou l’autre.

-Quand même…

Valérie mangeait nerveusement ses beaux ongles vernis. Ce drame l’avait bouleversée terriblement. Elle avait rapidement téléphoné à Laurent. Paradoxalement, c’était la seule personne qui, malgré qu’elle l’ait abandonné, pouvait être son confident.

-Si j’avais pu prévoir que cette petite était déséquilibrée, franchement, je ne l’aurais pas embauchée.

-Valérie, on ne peut pas tout prévoir dans la vie.

-« C’est dommage » pensa Valérie, traumatisée par son triste mariage.

-« Sauf certaines représailles » pensa Laurent.

Il savourait en silence le désarroi de Valérie.

Elle se tourne vers Laurent.

-Et les papiers du divorce Laurent ?

-Ça vient, ça vient... décidément tu ne perds pas le nord toi. Au fait, je vais t’annoncer une nouvelle.

Valérie sur le qui-vive.

-Quoi ?

-J’ai téléphoné à un spécialiste. J’ai décidé de me faire opérer.

-C’est vrai.

-Oui, il paraît qu’actuellement, grâce a un savoir-faire des chirurgiens et aux qualités des opérations, il y a de bons résultats… et…

-Et...

-Qui sait, peut être, pourrais-je te reconquérir ?

Valérie ne répondit pas. Elle était tourmentée par l’avenir de l’institut. Le drame dans le microcosme féminin toulousain avait provoqué trouble, stupeur et désarroi. Il fallait se préparer aux mille questions de la clientèle.

Valérie se dirigea vers le centre ville. Laurent rentre chez lui.

*

À l’hôtel de police, l’homme à la gabardine relisait l’article

La triste affaire de l’institut.

C’est ainsi que «La Dépêche du Midi» avait titré la «Une» du reportage.

On pouvait y trouver «L’agression sauvage sur deux hommes par une jeune apprentie désaxée.»

«L’un était mort.»

«La plainte contre son frère d’une mère effondrée de chagrin.»

«Un futur procès, celui d’un oncle bizarre, handicapé à vie, et de ses relations douteuses sur sa nièce.»

«L’étrange attitude de l’homme décédé pris en photos par le personnage incestueux.»

«Quelques lignes sur une clinique spécialisée pour des jeunes en mal de vivre.»

Un enchevêtrement de situations qui faisait saliver des lecteurs avides de sensations malsaines.

*

Une enquête minutieuse fut déclenchée.

*

Le soir tombe, dans l’appartement de Laurent, lumière tamisée, l’air est frais.

Laurent qui somnolait, se lève, va fermer les fenêtres.

Il admire au loin l’imposant dôme éclairé de l’Hôtel Dieu.

Il tourne autour de son ordinateur, hésite, se connecte sur un site médicale.

Il tape: Maladie de Lapeyronie

FIN