Le Mannequin
Dans une des immenses
salles d’attente de la bruyante aérogare Roissy Charles De Gaulle,
j’attendais tranquillement l’heure d’embarquement. Un livre à
la main, j’essayais en vain de comprendre l’intrigue d’un polar
bon marché. Devant la complexité du scénario, je relevais souvent
la tête pour observer les vas et viens des passagers.
Surgit alors, venue de
je ne sais où, une magnifique silhouette à la démarche de gazelle.
Immense, des cheveux d’un blond à la Claudia Shiffer, un corps à
damner le Vatican tout entier. Elle portait un magnifique tailleur rouge vif, ce qui
ne favorisait pas sa discrétion.
- C’est un mannequin,
me souffla une jeune fille à mon côté. Je la reconnais, elle
est souvent en couverture de ELLE.
Ah bon ?
Mannequin ou pas, le spectacle m’avait détourné de l’énigmatique
polar et je la suivis des yeux tout comme des dizaines d’autres
voyageurs du reste.
- Regardez-moi ça, me
dit sèchement un autre voisin, ces filles ne sont que des statues
ambulantes.
- Ça c’est vrai,
confirma avec véhémence ce qui semblait être sa femme, un gros
boudin avachi, endimanchée à la Tati, pardon Tati.
Soudain arriva un
couple suivi d’un enfant trisomique d’environ treize, quinze ans.
La tête branlante, les bras en mouvement comme un moulin à vent, la
langue pendante, l’adolescent suivait péniblement ses parents à
distance. Le groupe vint s’installer près du mannequin qui se
poussa un peu pour leur laisser de la place. L’enfant lourdement
se colla à elle.
- Vous allez voir, me
dit le voisin, elle va partir la pimbêche.
La pauvre créature
regardait la belle, lui faisait des sourires qui ressemblaient
terriblement à des grimaces et, même avec ses petites mains aux
doigts malhabiles, il essayait de caresser le visage de la statue.
- Elle va le gifler, ça
c’est sûr, dit le boudin, bouche en cul de poule, chapeau à
fleurs gigotant.
La belle à cet instant
leva le bras... suspense…
- Vous voyez, renchérit
le mari.
J’eus un frémissement
le long de la colonne vertébrale… seulement… seulement… le
bras entoura les épaules de l’enfant, la statue attira la
vilaine tête sur sa poitrine, la tint contre elle longtemps, de ses
pulpeuses lèvres lui baisa tendrement, à plusieurs reprises, le
front. La petite créature ronronnait, les parents émus souriaient.
Quelques instants passèrent.
Puis on annonça le
départ d’un avion pour New York. Le mannequin se leva, ajusta son
tailleur, empoigna son bagage et, après avoir caressé la joue de
l’enfant, se dirigea vers la porte numéro sept.
En passant devant nous,
j’eus juste le temps de voir une larme perler sur le beau visage
noircissant le tour des yeux clairs d’un peu de rimmel.
Vous voyez mesdames
messieurs, il y a encore des statues qui, malgré les apparences, ont
un organe qui s’appelle cœur.
M.T.
M.T.
Ce pourrait être une belle fable
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