Les
secouristes du dimanche
Je venais
juste d'acquérir ma deuxième voiture, une jolie Simca 1000, couleur
bleue métallisée.
Cela faisait
une petite demi-heure que je tournais quand je vis sur le bas-côté
de la route un corps allongé.
Je
n'hésitais pas. La réminiscence d’accomplir une bonne action
comme au temps où j'étais scout. Je me garais ainsi qu'une
autre voiture conduite par un jeune homme.
Nous
constations que la personne était âgée, de forte corpulence, assez
élégant. Il avait le visage très rouge, un peu de bave aux lèvres,
respirait à peine.
Que faire ?
Le téléphone portable n'existait pas encore. Nous étions à la
limite de la commune de Saint-Maurice.
Nous voyions
au loin passer des voitures, nous faisions de grands signes, mais
aucune ne s’arrêtait. Pas d'autre solution que de le transporter
vers l'hôpital le plus proche.
Il me vint à
l'esprit d'essayer un geste que j'avais vu faire dans une émission
médicale à la télévision. Comme le pauvre homme était
congestionné, je me disais qu'il serait bon de faire une entaille
dans le lobe de son oreille pour faire circuler le sang afin de
décongestionner le cerveau. Ayant toujours un canif dans mes
affaires, me voilà en train d'essayer de cisailler l'énorme lobe
gorgé de sang.
Je n’étais
pas chirurgien, mon canif ne coupait pas, je tremblais, ma main
hésitait, je me reprenais à plusieurs fois sous les yeux exorbités
du jeune homme qui tenait, tant bien que mal, le vieillard dans ses
bras. Après plusieurs entailles, le sang gicla éclaboussant nos
costumes.
Hélas, le
pauvre homme ne réagissait toujours pas.
Mon travail
de « chirurgien-boucher » terminé, nous décidions, d'un
commun accord, de transporter le mourant.
Je sortais
de mon coffre un plaid, l'étendais sur ma banquette arrière et nous
le coincions tant bien que mal, l’asseyant comme un passager. Mon
co-sauveteur s'installait à ses côtés. On aurait dit une scène de
film à la Charlot. Un frêle garçon apeuré et un énorme bonhomme
aussi vif qu'un pantin désarticulé.
S'ensuivait
un parcours épique car l'homme râlait, bavait, manquait de tomber à
chaque virage, sa tête retombant sur l'épaule du jeune homme,
livide, qui, avec son mouchoir, appuyait sur le lobe pour que le sang
ne coule plus.
Dans mon
rétroviseur, je surveillais le spectacle en lui demandant, à chaque
minute, de bien faire attention à ce que notre homme, inerte, ne
salisse rien.
Enfin, nous
le déposions aux urgences de l'hôpital le plus proche sous le
regard suspicieux du médecin de garde et expliquions, embarrassés,
le pourquoi de ces profondes entailles. Il fut emmené au bloc
opératoire.
À la
réception nous déclinions nos identités à une jeune secrétaire
hilare, puis le jeune homme me ramenait à ma voiture.
Quelques
jours passèrent.
Nous
recevions une convocation du commissariat du secteur. Après maintes
explications et circonvolutions gênées, nous expliquions toute
l'affaire.
L'homme
étant décédé, il y eut une enquête avec suspicion sur la cause
du décès. Les enquêteurs cherchant, surpris, la raison du lobe
entaillé…
Nous n'en
menions pas large, mais compréhensifs, les inspecteurs, après nous
avoir bien fait transpirer, nous ont laissé filer. Je me souviens
avoir vu comme un rictus sur leurs lèvres.
Quelques
temps plus tard, la femme du brave homme décédé nous envoya un mot
gentil en nous remerciant d'avoir tout tenté pour sauver son mari.
Elle nous
avoua qu'il était très malade et que, malheureusement, elle
s'attendait à ce qu'un jour cela arrive.
Maintenant,
par prudence, pour être à la hauteur d'un autre cas identique, je
fais en sorte d'avoir toujours un canif parfaitement aiguisé.
FIN
une autre époque
RépondreSupprimerde nos jours ce n'est pas bon de se promener avec un couteau même un canif sans être pris pour un terroriste !