Un Amour de Bougie
À
l'occasion de Noël, au rayon parfumerie d'un grand magasin d'une
petite ville, Abel Alfari, trente ans, célibataire, acheta une
bougie pour mettre un peu de joie dans son appartement. Cette bougie,
haute de trente centimètres environ, représentait une jolie petite
chinoise au doux visage. Elle était colorée avec soin, on la
confondait même avec les poupées du rayon voisin. La tête,
légèrement inclinée, le regard perdu, semblait oublier tout le
bruit qui l'entourait. La pose était si expressive, l'allure si
charmante, que l'homme, une fois l'achat effectué, en eut de la joie
au cœur.
Tout
le long du parcours qui l'amenait vers sa demeure, il se sentait plus
léger, il fredonnait, souriait aux enfants en tenant le précieux
paquet dans sa main.
Arrivé
chez lui, rapidement, il retira l'emballage, pressé de contempler la
flamme de cette gracieuse bougie. Au moment de frotter une allumette
pour y mettre le feu, son regard fut attiré par son tendre visage.
Une chaleur inconnue gonfla sa poitrine.
Il
suspendit le geste, reposa l'allumette et prit la bougie dans la
main.
« Non,
je ne peux brûler cette bougie, elle paraît si vivante, que
j'aurais l'impression de mettre le feu à un humain. »
Il
se faisait tard, il grignota un morceau de pain, du fromage, une
pomme et se coucha, heureux mais troublé par cette sensation
nouvelle.
« Quand même, se dit-il,une fois allongé, c'est curieux cette expression, cette vie dans cette
« Quand même, se dit-il,une fois allongé, c'est curieux cette expression, cette vie dans cette
figurine,
demain,
je l'allumerai, nous verrons bien. »
Délicatement
il la posa sur un le rebord de sa cheminée.
Le
lendemain soir, même effet, Abel, au moment d'allumer la mèche,
sentit la même chaleur, le même amour, la même sensation de vie.
Il retint à nouveau son geste.
La
petite chinoise semblait vibrer dans sa main tel un animal que l'on
va battre, que l'on va sacrifier. Il se sentait attiré par elle tout
comme envers une grande personne. À chaque fois, entre la bougie et
lui, cette étrange communication s'accentuait.
Le
soir, quand il rentrait, lassé d'avoir cherché du travail, il la
posait sur la table et lui parlait doucement.
« Salut,
petite chinoise, comment vas-tu ? Tout le jour j'ai pensé à
toi tu sais. Tu dois être malheureuse, figée ainsi sans pouvoir ni
parler ni respirer, ni marcher, quelle douceur dans ton visage,
quelle sagesse dans ton allure. J'aimerais t'accueillir telle une
compagne qui serait mienne »
La
petite chinoise semblait écouter, le visage semblait s'éclairer
sous les tendres paroles.
La
vie continuait tranquille jusqu'au triste matin où pour de bas
intérêts, des dirigeants de plusieurs pays se firent la guerre. Une
guerre méchante qui ruina des familles, appauvrit des pays,
écroulant des maisons, bouleversant des campagnes,
supprimant les rires et les chansons, empêchant les êtres de
s'aimer, assombrissant les visages.
De
gros nuages de haine s'accumulèrent. Plus d'électricité, plongeant
villes et villages dans le noir le plus complet. Nulle part, plus de
lumière. L'obscurité régna longtemps, longtemps, très longtemps.
Au
début, les familles allumaient des feux en utilisant toutes les
réserves de lampes de toutes sortes, à huile, essence,
au gaz acétylène, à pétrole. Les marchands de bougies firent
beaucoup d'affaires, mais au bout de très longs mois, les points
lumineux se firent de moins en moins nombreux sur terre.
Abel
fut comme tout le monde, il utilisa tout ce qui était possible pour
faire du feu et obtenir de la lumière. Dans l'obscurité, dans la
souffrance, entre deux rendez-vous chez d'éventuels employeurs, il
passait son temps allongé sur son lit en rêvant à des jours
meilleurs.
Des
individus peu scrupuleux volaient, pillaient les maisons abandonnées.
Des villages, jusqu'alors amis, s'insultait pour des riens.
Dans
cet enfer, la peur s'installait, l'avenir devenait incertain,
inquiétant.
Plusieurs
fois, par nécessité, il eut envie d'allumer sa petite
bougie, mais son affection était trop grande, elle l'empêchait
d'accomplir un acte aussi ordinaire.
« Jamais, soupirait-il,
je ne pourrais te faire du mal malgré les malheurs qui nous
entravent de plus en plus ».
Un
soir, après avoir péniblement retrouvé sa maison, il se coucha
plus rapidement que de coutume. La tristesse alourdissait ses
membres, sa santé périclitait. Tenant la petite bougie contre lui,
il s'endormit, réconforté.
Il
fit un rêve étrange, tout d'abord, il sentit son
corps
se soulever dans l'espace, léger comme une plume, juste à côté de
lui, la petite chinoise riait, gambadait, tel un papillon multicolore
autour d'une énorme pivoine blanche. Elle murmurait des paroles dans
un langage qu'il n'arrivait pas à comprendre. Une lueur bleutée
l'entourait. Il n'y avait pas de sol, pas de mur, pas de plafond, de
la lumière partout.
Au
matin, il se sentit mal à l'aise, avait-il rêvé ou fait un
cauchemar ?
Des
semaines passèrent. Le froid et l'obscurité s'accentuèrent.
Amaigri, fourbu, fiévreux, pour survivre, il finit par se décider à
se donner un peu de bien-être. Tremblant, ému, il prit une
allumette, la craqua, porta la flamme au-dessus de la tête de la
petite chinoise, à l'endroit où dépassait la mèche. Une flamme
jaillit, la pièce devinrent plus claire, il put distinguer le
désordre qui s'était accumulé depuis le début des hostilités.
Soudain, inimaginable, la tête de la petite chinoise se redressa,
son visage s'anima et les lèvres bougèrent.
« Merci cher
ami, enfin, grâce à toi, je vais pouvoir, par ton geste, te donner
un peu de joie, un peu de chaleur. Tu pourras durant les jours à
venir, lire, cuisiner sans faire de bêtises et surtout ne pas tomber
dans les ornières qui entourent ta maison, celles faites par les
monstrueux engins qui servent à la guerre, mais, surtout, ton geste,
sans que tu le saches, va me libérer ».
Abel
resta éberlué ! Comment une simple
bougie pouvait-elle parler ? Que voulait-elle dire ?
Il
vit tout à coup sur le visage de la chinoise quelques gouttes de
cire couler, c'était des larmes. La flamme faisait souffrir le petit
corps.
Quand
elle vit qu'Abel se précipitait pour l'éteindre, la petite chinoise
se reprit très vite, elle murmura :
« Non,
non, laisse faire, il faut simplement que je m'habitue, mon
corps, figé depuis tant d'années, avait si froid. »
Abel,
ainsi, fut le seul, durant de longues semaines à pouvoir cuisiner,
lire, écrire. Grâce à la flamme vacillante de la petite bougie,
elle éloignait les rôdeurs malfaisants qui tentaient de le
dévaliser. La vive flamme maintenait autour de lui, lumière,
chaleur, consolation. Par cette présence, les calamités odieuses de
la funeste guerre s'oubliaient.
Hélas,
un jour vint où la tête disparue, il ne pouvait plus converser avec
la petite chinoise à la voix si claire, aux paroles si douces.
Le
moment fatidique arriva : la bougie à forme humaine cessa
de se consumer. La petite chinoise avait fondu totalement. Notre
homme se sentit désemparé, triste, le cœur lourd. Sa compagne
avait disparu. Il se retrouva seul dans le pénible silence du
désespoir.
Enfin,
l'affligeante guerre cessa, les gros nuages disparurent, les orgueils
du pouvoir furent mis dans des placards. La lampe astrale jaillit,
aveuglant les pauvres humains hébétés.
Un
soleil énorme, insolent apparut comme par enchantement. Un
mystérieux oiseau blanc descendant du ciel, fit le tour de la terre
à une vitesse inouïe. Quand il passait au-dessus des pays, la
population reprenait du courage, de l'énergie, de l'espoir.
Abel,
lui aussi revigoré, parmi les décombres, tentait d'amener réconfort
espoir à son entourage. Au milieu des gravats, il aidait à remettre
de l'ordre dans les foyers.
Un
soir, épuisé, il commença à se préparer une soupe, quand
soudain, au milieu de la pièce, apparue comme un halo, avec, au
milieu, des pétales de fleurs, il distingua une forme d'adulte,
c'était la petite chinoise-bougie qu'il lui avait permis de ne pas
sombrer dans le désespoir.
Lâchant
casserole et cuillère, il voulut s'élancer pour la serrer dans ses
bras.
«N'approche
pas, tu ne peux pas me toucher, maintenant je vais pouvoir
rejoindre mon pays, je vais choisir une maman qui me fera naître,
ainsi je serai une véritable petite fille, c'est moi qui te
remercie, il y a longtemps, sous l’empereur Qin Shi Huang, une
Femme Renarde, un être maléfique, avait jeté un sort sur ma
famille et je fus réduite, transformée en figurine de cire. Sans le
savoir, tu m'as délivrée, à bientôt qui sait ! »
Le
spectacle magique se volatilisa. Il resta comme pétrifié, se
demandant s'il avait bien assisté à une féerie.
Dans
le même temps, là-bas, de l'autre côté de la terre, près d'une
rizière, dans une minuscule maisonnette de bois entourée de
cerisiers blancs, un cri retentit.
Une
gracieuse maman chinoise venait de mettre au monde un bébé, une
fillette ravissante aux yeux bridés.
Un
an plus tard, Abel trouva du travail, rencontra une gentille
compagne, tenta de raconter son histoire à un éditeur, à la
télévision, aux journaux, mais... le croyant légèrement dérangé,
personne ne le crut.
FIN
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