Clémence
Rollit
Pour le
téléfilm du Gabriel Wronsky, réalisateur a la mode, enfin, après de nombreux
castings, Romain avait été choisi pour un petit rôle.
Pas facile de débuter dans la carrière du spectacle.
Jusqu'à
présent il n'avait eu que des refus: trop jeune, trop maigre, pas assez de
barbe, toujours des « soit pas assez » ou des « toujours bien trop. »
La
comédienne principale. Isabelle Chéra, peu aimable, critiquait sans cesse les
dialogues, rabrouait le staff « maquillage-coiffure-costumes » et menait la vie
dure aux autres acteurs. Une chieuse de première.
Romain
n'avait eu qu'une seule phrase à dire en croisant une nommée Clémence Rollit
une jeune femme qui avait l'important second rôle.
La scène se situait tout en haut d'un
escalier, il devait dire :
-« Pardon mademoiselle, l’entrée du
palais de Justice, c’est bien ici ? »
La jeune femme
répondait, agacée :
-« Vous ne savez pas lire ». Et, d'un geste sec elle
montrait une pancarte.
Il
s'engouffrait dans la bâtisse en s’excusant.
Pour un
dérisoire cachet, c'était tout... mais mieux que rien.
Sous un
soleil brillant de juillet, il fallait recommencer les scènes. Des
allers-retours, un plan par devant, un par derrière, un cadrage de près, sur le
côté, sans compter les reprises à cause des bafouillages.
Un
supplice de plusieurs heures pour quelques secondes à l'écran ! Monter,
redescendre maintes fois les escaliers. Romain commençait à faiblir
sérieusement.
Heureusement,
ce qui maintenait son ardeur, était que l'actrice avec qui il dialoguait lui
avait procuré, de suite, un grand trouble.
Cette actrice l'avait subjugué
par sa beauté, sa douceur, le ton suave de sa voix. Elle représentait l'image
idéale de la femme qu'il aurait aimé, depuis toujours, fréquenter.
Un visage
de madone, une peau laiteuse, des yeux profonds, des cheveux noirs coupés à la
garçonne, une musique dans le langage semblant venir de la poitrine d'un ange.
Des formes
pleines, juste arrondies comme il faut.
À chaque
fois qu'il se trouvait en situation pour la scène, une bouffée de joie, de
plaisir l'envahissait.
Qu'importait
la sécheresse de l'échange cinématographique, cela lui procurait chaleur et
chair de poule.
Entre les
prises, les acteurs posaient leurs derrières sur des chaises pour être
bichonnés par les doigts experts de la maquilleuse, de la coiffeuse, de la
costumière.
Romain,
durant l'une d'elles, était venu s'asseoir auprès de Clémence.
Quelques
mots furent échangés sur le thème du téléfilm.
Puis, à
nouveau, durant des modifications techniques pour d'autres plans, ils reprirent
une conversation sur leurs carrières respectives. Romain, avec honnêteté, lui
avait avoué ses difficultés de débutant. Clémence, elle, contrats signés, avait
de réels grands projets pour la rentrée.
On appela
Clémence pour une scène avec la chieuse.
Romain
n'avait plus rien à faire.
Normalement, après la signature de fin de journée, il pouvait enfin
rentrer chez lui. Il resta à contempler la créature désirée.
Les
caméras tournaient.
Il
s'était, par fatigue, légèrement assoupi.
Dix-neuf
heures.
Une main
se posa sur son épaule. Tournant la tête rapidement, surpris, il avait aperçu le visage de Clémence, juste à hauteur de son visage.
-« Vous n'êtes pas parti ?
»
Bafouillant
:
-« Non... non... »
-« J'ai terminé ma
journée, je passe au démaquillage, si vous le souhaitez, je vous offre un verre
au bar de l'hôtel où je suis descendue, le Plazza, Place Wilson, vous
connaissez ? »
-« Oui...»
-« Dans une heure alors ? »
Le cœur battant, comme dans un
rêve, Romain avait quitté le lieu du tournage, s'était dirigé vers le centre
ville.
Vingt heures, bar de l’hôtel.
Musique douce, lumière
tamisée, fébrilement, il avait attendu.
Elle était arrivée dans un
superbe tailleur fuchsia au décolleté impressionnant.
Mollement engoncés sur un
divan, apéritifs à la main, cette fois-ci, ce n'était pas de cinéma qu'ils
parlèrent.
Rapprochements érotiques.
Vibrations électriques.
Les corps se rapprochèrent, la
pulpeuse Clémence avait prit la main de Romain et l'avait entraîné dans sa
chambre.
Au petit matin. Romain avait
regagné son studio. Il était follement amoureux, une vie nouvelle s'annonçait.
Il avait envisagé mille projets, les plus fous scénarii.
Deux jours plus tard, il était
assis à la terrasse d'un café, non loin de l'hôtel où les merveilleux ébats
eurent lieu.
Il n'arrivait pas à ôter de sa
tête les instants délicieux de la nuit. Il sentait encore sous ses doigts le velouté
de sa peau, l'odeur enivrante de son parfum.
Résonnaient encore les mots tendres susurrés,
les poses alanguies.
Il regardait comme un enfant
l’éraflure laissée sur son avant-bras.
Mais surtout, il n'arrivait
pas à croire à ce miracle, avoir été aimé par cette femme, avoir été choisi lui,
cet obscur garçon.
Folie du destin...
Comment reprendre contact ?
Il était parti sans qu'elle ne
lui ait laissé un numéro de téléphone. Il avait une petite idée, quand,
soudain, il frémit.
Il vit sortir de l'hôtel
Clémence en compagnie d'un jeune technicien qu'il avait remarqué durant le
tournage.
Ils semblaient, bras dessus,
bras dessous, être en grande conversation, riant joyeusement. Heureux, il se
leva.
Le garçon, soudain, posa un
baiser sur les lèvres de Clémence.
Tremblant, désorienté. Romain
s'approcha, mais à peine fut-il devant le couple que Clémence le toisa avec
dureté.
-« Oui ? Que désirez-vous jeune homme ? Un
autographe ? »
-« Je… »
-« Pas le temps, vous voyez bien que je suis
occupée. »
-« Mais... Clé... »
-« Bon, vous êtes adorable,
maintenant, cela suffit. »
Le couple
s'éloigna.
Sismique
situation, désintégration des illusions.
Romain les
entendit pouffer.
Le garçon, au bras de la femme
eut même l'audace de se retourner et de faire une vilaine grimace.
Romain, sur le trottoir,
sonné, désespéré, avait failli s'évanouir.
Quelques mois plus tard, quand
le téléfilm passa à la télévision, Romain ne put s’empêcher d’avoir la poitrine
serrée.
Quand la scène où il était
présent passa, aucun sanglot, il ne put même pas verser une larme. Seul, un
faible cri plaintif sorti de sa gorge.
***
Palais de justice. En haut du
fameux escalier.
Romain, menotte, s'engouffre
dans la bâtisse afin d'être jugé pour assassinat avec préméditation.
FIN
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