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mercredi 7 décembre 2011

LOUISE



Michel Turquin

Louise  
*


Sous un soleil de printemps, Louise s’ennuie. Assise sur un banc de l’allée de la Villote à Foix, elle feuillette distraitement les pages du journal la Dépêche du Midi. Peu de promeneurs, une horloge sonne dix heures.
Soixante-dix ans, les cheveux d’un blanc immaculé, les yeux toujours aussi bleus que dans sa jeunesse, fluette, pas plus d’un mètre soixante-cinq.
Veuve depuis huit ans, elle a du mal à occuper pleinement ses journées. Les clubs du troisième âge ne l’intéressent pas, les radotages de ses pairs l’agacent.
Les occupations sont  peu à sa convenance dans cette jolie ville où, comme partout ailleurs, être âgé, signifie souvent attendre, toujours attendre.  Elle parcourt d’un œil las les faits divers, les petites annonces, quand son regard tombe sur l’une d’elles ainsi libellée :
« Étudiant en droit, vingt ans, sérieux, cherche jeune fille, même profil si possible, pour partager vacances, destination du voyage restant à définir. Écrire au journal qui transmettra. »

  Louise la relit et ferme les yeux. Elle se souvint de ses jeunes années, quand, sur ce même banc, son fiancé d’alors lui avait donné rendez-vous. Blonde comme les blés, dix-huit ans, le regard pétillant, elle se rappelle les doux mots de tendresse prononcés à son oreille puis l’invitation à partir pour deux semaines en voiture faire le tour de la France profonde.


Elle replie le journal, rentre chez elle en flânant le long des ruelles.


Louise loge dans un charmant petit appartement situé à l’écart du centre ville. 
De sa fenêtre, l’imposant château amplifie l’immobilisme du temps. 



Cette magnifique vue, même, finit par l’agacer.
Elle se couche après un léger souper, repense à l’annonce du journal. Ah ! Si elle pouvait remonter le temps ? Elle s’endort.
 Au matin, devant son bol de café, une curieuse idée lui traverse l’esprit. Louise prend une  feuille de papier quadrillée.  Avec application, sans trop trembler, elle écrit :
« Marie, étudiante, intéressée par proposition te donne rendez-vous dimanche prochain à dix heures. Banc du milieu sur les allées de la Villote. »

*
 Dimanche, neuf heures quarante-cinq. François, grand garçon,  baba cool, un visage à la Jésus-Christ,  baladeurs aux oreilles attend. Il est un peu rêveur et se demande quel type de jeune fille a pu lui donner rendez-vous. Jusqu’à présent, c’était la seule réponse à l’annonce passée.
À  dix heures trente, il commence croire que c’est une blague. Il regarde de tous côtés si une silhouette approche.
Vient s’asseoir près de lui une ravissante mamie aux cheveux blancs.
-Vous attendez quelqu’un, dit Louise.
-Oui, mais j’ai la désagréable impression de m’être fait poser un lapin.
-Vous… est-ce vous qui avez fait paraître l’annonce pour un voyage durant les vacances ?
François surpris retire ses écouteurs, se tourne vers Louise.
- Oui, comment le savez-vous ?
-Et bien, c’est parce que je suis Louise, la grand-mère de Marie.
-Marie ?
-Marie, ma petite-fille, est intéressée par votre annonce, mais comme elle a eu un empêchement de dernière minute, elle m’a chargée de venir vous voir.
-C’est intéressant, seulement j’aurais bien aimé la rencontrer moi-même.
-Mais… vous la verrez  bientôt, soyez-en certain.
-Et… quand ?
-Demain, ici, à la même heure, ça vous convient ?
-Ok, bon, au revoir madame.
François se lève, commence à partir, Louise le retient par la manche.
-Taratata, attendez, je n’ai pas fini, elle m’a aussi demandé de converser un moment avec vous, elle ne désire pas, comme ça, partir avec n’importe qui, vous comprenez n’est-ce pas ?
-Bien sûr et… alors ?
-Alors… nous allons passer quelques instants ensembles, puis, je lui ferai part de l’idée que je me fais de vous.
François, gentil, trouve l’idée amusante, il n’avait rien à faire, plus d’examens, aucune occupation en vue.
 -D’accord.
Louise sort de son sac une photo légèrement jaunie.
-Tenez, voici ma petite-fille, elle a dix-huit ans, elle est ravissante, non ?
En effet elle était jolie, seulement la photo était celle de Louise à cet âge.
-C’est curieux, dit François, on dirait une ancienne photo.
Il plisse les yeux.
-Je trouve que vous avez quelques airs en commun !
Prestement, Louise reprend la photo des mains de François.
-Bon, nous allons faire un tour ?
-Entendu, si vous y tenez.



Durant toute la journée, Louise et François se promènent par les petites rues de Foix.





Ils montent en haut d’une plate-forme où ils peuvent admirer la vallée de l’Ariège.
Louise, émoustillée, retrouve de la jeunesse à côté de ce grand garçon qui ne se doute pas une seule seconde de la mystification.
A midi, ils prennent un casse-croûte à l’ombre d’une terrasse d’un petit café.
-Dites-moi, madame Louise…
-Appelez-moi Louise tout court, voulez-vous ?
-… Dites-moi Louise, c’est sûr, je pourrai voir Marie ? Demain ?
-Sans problème.
 Elle savait bien mentir la drôlesse.
Ils se quittent vers les dix-sept heures.
-François… n’oubliez pas votre rendez-vous demain.
-Oui, oui.
*
Le lendemain, François, dix heures, le cœur battant, attend.
 C’est Louise qui arrive.
-Désolée, François, Marie est partie en urgence avec sa mère pour Mirepoix.
-Ah bon ! Mais… c’était vraiment urgent ?
-C’est… c’est une de leurs amies qui vient de tomber malade.
-Quel dommage !
-Je vous propose, si vous le voulez bien, d’aller les rejoindre. Ensuite, nous attendrons Marie. Normalement, vers midi elles devraient avoir fini leur visite.
-Avez-vous une voiture ?
-Oui, une casserole, mais elle roule bien.
-Alors allons-y !
 Emballé, joyeux, le programme est à son goût. François prend Louise par la main et l’amène   jusqu’à sa voiture, une vieille 2 CV jaune pétard. Au contact de sa main, Louise se sent fondre de plaisir… « Quel gentil garçon » pense-t-elle, « je commence à avoir des scrupules à le berner ainsi.» Néanmoins la soupe étant chaude, il fallait la boire.
***
De Foix jusqu’à Mirepoix, le trajet n’est pas très long, mais Louise use encore de ruse pour faire un détour par le château de Montségur, en prétextant qu’ils seraient  en avance.
Vers midi à Mirepoix, place du Marché, Louise choisit un grand porche au hasard, demande à François de stopper la voiture puis de l’attendre.
-Je  vais la chercher, attendez-moi hein !
-Bien sûr, bien sûr je ne vais pas vous laisser… et puis, enfin, je tiens à voir votre petite fille.
Louise pénètre dans l’immeuble, attend quelques instants, cachée derrière le montant fermé, puis revient en courant comme une gamine :
-Ah, je suis vraiment désolée François, Marie et sa mère viennent juste de partir.
-Comme vous dites Louise, vraiment pas de chance.
François commence à être inquiet, même dépité.
Louise regarde sa montre :
-Vous n’avez pas faim ?
-Si, un peu.
-Eh bien, je vous invite, allons déjeuner, je connais un petit restaurant à Tarascon où l’on mange des truites pêchées le matin même… exquises !
Avec son mari ils allaient souvent passer quelques heures dans cet endroit propice aux échanges amoureux.
Et la randonnée continua, le déjeuner fut copieux, même un peu trop arrosé, ce qui mit le feu aux joues de cette chère Louise.
Puis, tranquillement par de petites routes, ils revinrent à Foix vers les dix-huit heures.

*
Avant de quitter François, Louise se demanda si elle devait continuer sa coquine machinerie. Quand elle vit le visage défait du jeune homme, elle eut les larmes aux yeux.
-Qu’avez-vous Louise ?
  Elle remonta dans la voiture et sans le regarder, le buste bien droit, et dit :
-Cher François, avant tout pardonnez-moi, ne m’en veuillez pas, Marie n’existe pas. Sur la photo c’était moi à dix-huit ans...
-Ah ! Je me disais aussi !
-… J’ai perdu la tête, mais j’ai passé avec vous de longues heures merveilleuses. Tant de souvenirs me sont revenus en mémoire, grâce à vous. Je suis veuve, mon mari était un être vraiment exceptionnel. Ces derniers temps, j’ai ressenti le besoin de combler le vide qu’il a laissé. Ne soyez pas chagriné, je suis certaine que vous rencontrerez rapidement une charmante jeune fille pour vos projets de vacances. Je pourrais vous aider si vous le souhaiter ?
François avait repris la photo.
-Oh ! Louise, on peut dire que vous m’avez bien eu !
-Excusez cette folie, au revoir François.
Louise commençait à sortir du véhicule, mais François, se penchant, la retint.
-Attendez.
Un long silence suivit, Louise se demande ce que pouvait bien penser ce garçon.
-Louise ?
-Oui François.
Il se pencha à l’oreille de Louise qui écarquilla les yeux.
-François, vous n’y pensez pas !
-Si, pourquoi pas ?
-Mais… cela ne se fait pas !
-Si… si…
Trois jours après, Louise et François partaient en voyage pour l’Espagne.


Si… si… je vous assure, cela s’est fait !


FIN

3 commentaires:

  1. Elle me plaît Louise.. J'aimerais lui ressembler quand mes cheveux seront blancs :-)
    GROS BECS.

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  2. Ah les Louise sont des merveilles d'espièglerie ! Ma fille, ma mère et ta Louise !
    Merci pour ce texte Tonton, au moins une lecture sur le temps qui passe qui donne la pêche !
    Dans un style complètement différent mais sur le même thème, la scène de Yes Man avec Jim Carrey et la vieille dame me fait hurler de rire (et je n'en perds pas encore mon dentier ! )
    Bises.

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  3. Mais c'est un vrai conte de Noël en été, le miracle de l'amour :)
    " C'est un beau roman, c'est une belle histoire..." !
    En plus je te crois, parce ce que c'est toi :)
    Plus facile à te lire sur mon reader parce qu'ici ça dépasse, j'ai un grand écran, et pourtant ça dépasse !!!!!
    Mais bon, je voulais passer quand même, c'est pas pareil :)
    Gros bisous et jolie fête ce soir, sans modération !!!!!!

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michel.turquin31@orange.fr