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dimanche 23 octobre 2011

Moi... Nadège

Michel Turquin

Moi... Nadège


 Ce que je vais vous raconter, peut paraître, pour des lecteurs habitués à de grands textes de la littérature française, être d’une banalité affligeante.                   
 Pour moi, au contraire, ce fut un moment de vie riche en émotions et un impérissable souvenir.
Je m’appelle Nadège, j’ai vingt-quatre ans, je suis grosse comme une crevette, c’est ce que me dit mon entourage, par contre, je ne suis pas aussi rose.
Au premier abord tout le monde me donne dans les seize ans tellement je fais gamine. Merci papa, merci maman. Aux coins des rues de Toulouse, mais plus particulièrement dans une ruelle qui débouche sur une jolie place, la place Saint Georges, je distribue des prospectus pour une salle de remise en forme.
 Les silhouettes qui figurent sur la pub montrent des hommes, des femmes aux galbes superbes, avec des muscles impressionnants et de ravissants visages. Voilà pourquoi quand les passants, une fois le prospectus en main, me comparent à ces athlètes. Je sens bien une légère moquerie dans leur regard. La plupart du temps, pratique, je suis vêtue d’un large pantalon kaki et d’une veste informe, ce qui me rend encore plus insignifiante. Par coquetterie, je mets un joli foulard, pas plus. Je m’en fiche complètement, j’ai besoin d’argent pour continuer mes études. J’ai envie d’être archéologue, enfin, on verra !
 J’ai un curieux défaut, je n’arrive pas à parler fort. Le son de ma voix ne doit pas dépasser les dix décibels. A chaque fois, lors d’une conversation, je suis habituée à voir la personne se pencher. N’oubliez pas que je suis petite, et l’on me demande de répéter, donc je répète, sans pour cela pouvoir en augmenter le volume. La personne, les reins cassés,  son oreille près de ma bouche, finit par comprendre.

 J’ai choisi la distribution de prospectus car au moins je suis en plein air, cela me change de ma chambrette où, malgré ma  corpulence, je me sens à l’étroit. Et puis c’est mieux que le travail dans les fast-foods, car l’odeur des frites bien grasses, de la viande qui grille, me soulève le cœur. Parfois, un passant, prospectus en main, me fait la conversation. Oh ! Cela ne dure pas très longtemps, vu la périlleuse situation décrite plus haut, la fatigue s’installant rapidement.
De ne pas être expansive me vaut de ne pas avoir beaucoup d’amis. Je ne suis peut-être pas à la hauteur de leur situation sociale, ma personnalité doit les fatiguer. C’est toujours suspect d’être dans une autre catégorie.
Mes parents sont âgés et à la retraite. Mon père ex-ouvrier de la mairie d’un joli petit village dans le Lot, Cahus, où je suis née. Ma mère ex-caissière d’une supérette du village à côté, Bretenoux. Ils sont adorables, me chérissent à leur manière, c’est-à-dire sans trop de démonstrations, moi aussi du reste. Quand je leur rends visite,  l’atmosphère est plutôt lourde, car ce sont des taiseux, comme on dit, plus moi qui susurre.
Je suis habituée à me sentir bien dans ma peau. Je crois  qu’avec le temps on  accepte toutes les situations. J’ai acquis une certaine philosophie de la vie, mes réflexions sont loin d’être inintelligentes, et, pour couronner le tout, j’ai beaucoup d’imagination, ce qui rend souvent cocasses mes réflexions.
***
Un après-midi du mois d’Août, sous le soleil torride qui transformait ma peau opaline en homard, une crevette pas rose déguisée en crustacé, drôle non… ,je me trouvais sur la grande place du Capitole, liasse sous le bras, prospectus à la main, un va-et-vient incessant d’une foule bigarrée de touristes et d’autochtones, cornet de glace à la main, langue pendante et léchante. Je transpirais, salivant devant des gosses qui me bisquaient. Mes pauvres cheveux collés sur le front par la sueur, franchement, je n’osais même pas  voir le reflet de ma personne sur la vitrine de la grande librairie Castellane.
 Encore deux heures à tenir pour finir la journée à distribuer. Je distribue. Un homme arrive, passe devant moi, prend toute la liasse que j’ai sous le bras et, tranquillement, va la jeter dans une corbeille à quelques mètres. Je suis surprise, amusée. Je n’ai même pas pu détailler son visage car cela se fit rapidement. « Il » ne s’est pas retourné. Quand même, il y a des gens curieux…

***
 Le temps passe, l’automne et l’hiver aussi. Parfois, au détour d’une rue, devant la vitrine d’un magasin, je crois reconnaître l’arracheur de prospectus, mais l’individu, de près ne ressemble en aucune façon à la silhouette farceuse.

Nous sommes aux prémices du printemps. J’ai complètement oublié le personnage de la place du Capitole.
 J’ai repris mon poste habituel dans la ruelle près de la place Saint Georges, moins bruyante mais plus passagère. L’odeur des pains, des croissants chauds de la boulangerie juste à côté, sadiquement barbouille mon estomac vide.
 Il est seize heures. Je lève la tête, « il » est là, souriant, à me regarder distribuer mes papiers multicolores. Instinctivement je le reconnais : grand, enfin pour moi, quarante, cinquante ans, habillé modestement, un visage banal mais régulier, des cheveux poivre et sel bien fournis. Mais ce qui me frappe, ce sont ses yeux marron foncé, presque noirs qui pétillent de malice. Je prends ma respiration :
-        C’est vous qui m’avez pris mes prospectus l’année dernière ?
-        Comment ?
 Voila, ça commence, je répète ma phrase avec la même force que celle d’une fourmi qui agonise. « Il » se penche, je répète, « il » comprend.
-  Oui.
Tranquillement « il » engage avec moi une conversation : mes études, ce que je fais ? Combien cela  rapporte ? Si je ne suis pas ennuyée par des pépés et mémés oisifs qui désirent tuer le temps ? Durant un bon quart d’heure, j’en oublie mon travail.
Curieusement, je ne me pose pas la question de savoir si cet homme me  drague en s’amusant sur ma condition afin de passer un moment, ou s’il est sincère. Non, je me trouve bien, là, plantée devant « lui », répondant naïvement à ses questions.
-        Allez, à un de ces jours au coin d’une rue.
-        « Dans un souffle. »  Ouiii… je souris béatement.
-        Je peux ?
« Il » me prend un paquet de prospectus qui finira, je sais, dans la prochaine poubelle municipale.
Le soir, dans ma  cellule estudiantine, je pense à cet homme au regard malicieux, au sourire énigmatique.
***
Plusieurs semaines passent. Routine, routine. Le printemps bien avancé met  d’autres couleurs à la ville. Cela me plaît de voir comment une ville peut, suivant les saisons, montrer des visages différents. De temps en temps je vais dans les musées, j’étudie dans un bistro enfumé devant une tasse de café, sous l’œil légèrement agacé du patron car je ne renouvelle pas ma consommation. Je distribue.

***
Dix-sept heures cinquante, dans  dix minutes, ouf, terminé, j’ai le bras en compote, les doigts engourdis. Je lève les yeux, je «le » vois arriver d’un pas de sénateur, sourire aux lèvres.
-        Bonjour.
-        « Un souffle » Bonjour.
-        Alors toujours là ?
-        Ouiii…
  Discussion, question sur mon âge, étonnement, d’où je viens. Je plaisante avec « lui », je souris, je suis bien, malgré la gymnastique des répétitions verbales.
 Soudain, je ne m’en suis pas redue compte, « il » a posé sa main sur mon bras. Le geste semble naturel. J’ai un frisson qui me diffuse une douce chaleur. J’ai cette pensée bizarre que c’est comme une bouillotte bienfaisante qui procure, quand on est malade, un effet thérapeutique.
 Et « lui » continue à parler art, cinéma, livres, le tout ponctué de quelques gentilles gaudrioles. Ses paroles, plus l’effet « bouillotte », comme envoûtée, me métamorphosent littéralement.
-     Au revoir.
Je me réveille.
-        Oui, au revoir.
-        Au fait, comment vous appelez-vous ?
-        Nadège.
-        C’est joli, cela me fait penser à un paysage sous la neige ? Neige, Nadège, neige, hein ?
-        Oui … « bah… pas très drôle », pensais-je.
-        A bientôt Nadège. « Il » fait quelques pas puis revient.
-        Tiens ! Si je vous invitais à dîner un soir, accepteriez-vous ?
 Est-ce guidée par un estomac souvent vide ?
-        Ouiii, pourquoi pas.
« Il » part.
Il est dix-huit heures, je rentre dans état proche du somnambulisme.

*** 
N’importe quelle fille se serait posée plein de questions sur le pourquoi de cette invitation. Il y a tellement d’histoires invraisemblables, de faits divers plus affreux les uns que les autres, qu’il faut, de nos jours, être prudent. Non, moi, ma seule interrogation, fut de me demander ce qui pouvait, dans ma personne l’intéresser, excluant d’office le côté physique, car qui pourrait me désirer ?
En parlant côté physique, j’ai oublié de vous dire, que même à vingt-quatre ans, je n’ai jamais eu de relations intimes. Quelques petits flirts à quinze ans, mais cela ressemblaient plus à de la recherche fondamentale qu’à de véritables extases.
« Une proposition en l’air, « il » a dit ça comme ça ».
A nouveau la  routine, visites mortelles chez mes parents adorés, études, distributions polluantes de prospectus, train-train quoi.

***

Depuis nous nous sommes rencontrés deux fois. Mine de rien, « il » m’a demandé mon numéro de téléphone, « lui » ne m’a pas  donné le sien ! En fait, depuis nos différentes rencontres je ne sais pas grand chose sur sa vie. Est-ce délibéré ?
Parfois les journées sont interminables, les gens sont désagréables, il y a du vent. J’ai faim, j’ai envie de faire pipi et ce n’est pas commode quand on est dans la rue, la vessie pleine, il faut supplier un commerçant ou un patron de café.
Ce jour-là commence dans la morosité.
Après une heure de bras tendu, j’en ai déjà ma claque, quand, du fond de la ruelle, je « le » vois approcher. Petits battements de cœur. Une longue conversation. « Lui » penché, me faisant répéter quelques fois, moi, le visage levé, toujours susurrant au maximum de mes possibilités. Au détour d’une plaisanterie sur une mémé qui passe, de grosses miettes de croissant sur les joues, soudain je l’entends me dire.
-        Bon, Nadège, quel jour le repas ?
Mon cœur qui n’avait jusqu’à présent que frémit légèrement, se met à battre la chamade.  Mes joues cette fois-ci rougissent tel un champ de coquelicots.
-        Quand vous voulez…
-        Mardi, c’est bon ?
-        Ouiii, dix-huit heures, après le travail.
-        Ok, je passerai en voiture devant ce porche, là où vous êtes actuellement ? A mardi. Voici mon numéro de téléphone en cas d’empêchement, je m’appelle Elie. A mardi ?
-        A mardi.
Il se penche, me fait une bise .Je prends plaisir à poser mes lèvres sur sa joue qui sent bon. Impossible de déterminer quel parfum. Elie ça fait vieux comme prénom, mais maintenant « il » n’est plus un inconnu.
Il part, vivement mardi.

***
Mardi, dix-huit heures et une minute.
Je ne m’attendais pas à être attendue dans une superbe voiture, ce fut le cas. Une simple R 5 ancienne, mais très propre à l’intérieur. Pas de cendrier qui déborde de mégots puants. Déduction, cet homme est non-fumeur, je m’abstiendrai donc de rouler une clope. Bingo,  il  me demande de ne pas fumer dans sa voiture, ni chez lui. Pas de problème, je ne suis pas une accro. Ça tombe bien car actuellement j’essaie d’arrêter, mes petits poumons ont besoin de s’élargir.
Dix minutes après nous sommes  chez lui ? Un coquet appartement de trois pièces dans un quartier que je ne connais pas. Il y a un grand balcon, la vue, magnifique, donne sur toute la plaine de l’Hers vers la commune de Balma. On entend  juste un léger grondement, c’est la rocade qui passe en contrebas.
Je suis très calme, mais quand même un tantinet sur mes gardes car dans une  inhabituelle situation, en territoire inconnu. Même si nous nous sommes parlé plusieurs fois, c’est la première fois que j’accompagne un étranger chez lui.
Des livres partout, plein d’auteurs que je ne connais pas. Je m’extasie longuement.
-        Alors curieuse ?
-        Ouiii…
J’ai de la difficulté à exprimer quelque chose de cohérent.
-        Tu vois Nadège, vous voulez bien que l’on se tutoie ?
-        Pas de problème  « pour moi cela sera plus difficile. » 
-        J’étais instituteur, pour mes cours il me fallait connaître beaucoup de matières afin d’alimenter la curiosité de mes élèves. N’étant pas d’une époque ou Internet était très développé, ce sont les livres qui me donnaient la connaissance nécessaire .Tu aimes lire Nadège ?
-        Ouiii… « qu'est-ce qu’il croit ! »
Voilà plusieurs fois qu’il  prononce mon prénom avec une telle douceur qu’instinctivement je m’approche de  lui comme le ferait un petit animal blessé en quête d’un feu bienfaisant.
Je sens sa chaleur et tout comme la fois où  il a posé sa main sur mon bras, je ressens à nouveau l’impression « bouillotte ».
Quelques banalités autour d’un verre.  Il  me fait visiter son appartement, en douce, je constate qu’il n’y a pas de présence féminine, cela se voit surtout dans la salle de bain : une brosse à dents, deux serviettes, pas de crèmes ni produits de beauté qui traînent. Pas de photographies au mur, pas d’odeur de parfum, à part, peut-être, celui d’un peu de solitude, tout comme chez moi du reste. Je reste discrète sur ce domaine.
Il me donne plusieurs livres sur l’art gothique et roman. Nous passons à table.
Ce fut simple mais terriblement bon, cela me changeait des sandwichs sans beurre ou des repas dans les gargotes pour étudiants fauchés.
-        Il faut que je rentre maintenant.
-        Pas de lézard Nadège, je te raccompagne. Jusqu’où ?
-        A la station  Jean Jaurès, ça sera parfait, je dois dormir chez une copine.
-        Ou… un petit copain, dit-il  avec malice.
Je rougis jusqu’aux oreilles car je n’ai pas de petit copain.
-        Pardon Nadège, je ne veux pas te peiner.
Le cochon… II  s’est rendu compte de mon trouble.
J’ai menti, je ne vais nulle part, je ne tiens pas trop à l’encombrer de ma présence. Sur mon lit j’étale les livres offerts.  Il  ne s’est pas fichu de moi, se sont des ouvrages rares qui me serviront pour mes études. Ce fut une bonne soirée.

***
Les jours passent. La routine, distributions de prospectus, études, visites dans le Lot chez mes parents.
Que devient Elie ? Pour la première fois de ma vie, je pense à quelqu’un.
Voilà plusieurs semaines que cette charmante soirée est passée. Pas d’Elie dans la rue.

***
Légèrement endormie, je suis  sous mon porche, celui  de la rue de la Pomme, quand, soudain je  le  vois arriver. Il est en grande conversation avec une jeune femme magnifique, copie conforme d’une des gravures de mes prospectus. Instinctivement, je recule dans la sombre encoignure du portail car je suppose qu’il  fera semblant de ne pas me voir. Comment ne pas être ridicule vu la  comparaison des gabarits.
-        Bonjour Nadège.
Il  traverse la ruelle d’un pas vigoureux et vient m’embrasser.
-        Je te présente une amie, Odile. Odile voici Nadège, une courageuse étudiante
Il  n’a pas dit « une jolie » ni « sympathique » jeune femme, non je reste  étudiante. Qu’importe,  il s’est dérangé, m’a présentée, m’a embrassée devant cette plantureuse Odile. Je suis un peu fière, il ne me faut pas grand chose, voyez-vous. Pour  lui je suis quelqu’un, c’est l’essentiel. Mon corps se détend, se désincruste du portail, nous bavardons quelques minutes. L’Odile reste muette  comme une carpe me dévisageant bizarrement. Aucune allusion à la soirée passée chez  lui. Ils repartent, je reprends ma position d’auguste distributrice. A quelques mètres  il  se retourne.
-        A bientôt Nadège
Je les perds de vue. Un pesant silence intérieur m’envahit, j’ai presque envie de pleurer. Pourquoi ? Quelle conne je fais !

***
Trois jours plus tard, Elie, une chocolatine chaude à la main, arrive. La bise.
-        Tiens c’est pour toi.
-        Merci.
Je n’aime pas les chocolatines, c’est trop gros, trop mou, je préfère les croissants, qu’importe, pour  lui  faire plaisir, je l’accepte.
-        Je la mangerai tout à l’heure.
-        Pas de problème.
Elie se racle la gorge.
-        Dis-moi Nadège, cela te dirait de venir à la mer avec moi ?
Surprise.
-        Pourquoi pas.
-        Disons…  le week-end dans quinze jours. Je connais un hôtel agréable à  Saint Aubin Plage, sur l’Atlantique.
-        Je ne peux pas, je dois aller à Montpellier pour m’inscrire dans une fac et, aussi, trouver un logement
-        Tu quittes Toulouse ?
-        Oui, en septembre, il le faut.
Son visage, jusqu’alors rieur, s’assombrit.
-        Bon.
-        Mais la semaine d’après je serai revenue.
Le visage s’éclaircit.
-        Je t’appelle ou tu m’appelles ?
-        Sitôt revenue, je  vous appelle.
Phrases hachées, des non-dits, prélude à d’abyssales convergences de pensées. Qui dit hôtel dit chambre, qui dit chambre, dit lit, et qui dit lit, vous comprenez la suite ?
Ni Elie, ni Nadège ne désirèrent éclaircirent ces silences.
Je retourne dans mon palace. Je donne la chocolatine à un clochard qui la refuse et m’engueule car il préfère de la monnaie pour se payer un litron. Tant pis, je me force à la manger.

***

De retour de Montpellier, Nadège téléphone à Elie. Ils partent un samedi en début d’après midi. Le voyage est des plus joyeux. Nadège fait un effort pour être détendue. Elie, lui, un effort pour comprendre et deviner les réponses à ses questions, car la plupart du temps c’est lui qui entretient la conversation. Ils arrivent sur les coups de dix-neuf heures à l’hôtel.
La chambre, jaune citron pétard avec d’immenses fleurs mauve donnait sur la mer.  L’air iodé emplit les  poumons de Nadège, cela change de l’atmosphère de la ville. La fenêtre grande ouverte, elle reste un long moment comme ça, sans bouger, se demandant si elle ne rêvait pas. Elie, silencieux, l’observe. Les bagages sont défaits, quelques frôlements de doigts au passage.
Il y a dans un coin un lit d’enfant, Elie se propose d’y dormir.
-        Vu la taille, c’est plutôt à moi d’occuper ce lieu.
Hésitation.
-        D’accord.
Nadège respire profondément.
- J’ai hâte de me baigner, vivement demain.
Propos anodins pour dire quelque chose.
-        Moi aussi, mon corps d’athlète a besoin des vagues.
Tentative de plaisanterie de Nadège.
-        J’espère que des requins  ne me croqueront pas, ils se casseraient les dents.
-        Franchement, cela m’ennuierait de rentrer seul.
Nadège se permet de  lui  donner une tape sur la poitrine.

***

Vingt  heures, ils passent à table  dans une charmante salle attenante à l’hôtel. Quelques vacanciers indiscrets, en douce, regardent ce couple à la situation familiale indéfinissable. Un coin ombragé, mais qui laisse passer le soleil crépusculaire, une belle nappe blanche, des fleurs dans un vase en terre cuite, de jolis verres, un bon repas.
-        Si nous allions nous promener sur la plage, il fait encore bon, dit Elie.
-        Bonne idée.
 Sur la plage déserte Elie prend la main de Nadège, ils marchent longtemps, retardant sans se l’avouer, le moment de l’intime confrontation du coucher.
Frissons.
-        On rentre, j’ai un peu froid, dit Nadège.
-        Allez.
Avec l’astre orange qui tombe dans la mer, leurs ombres s’allongent sur le sable en même temps qu’une indicible sensation de douceur et d’émotion.

***
Tour à tour, Elie en premier, ils occupent la salle de bain. Nadège, une énorme serviette éponge d’un blanc immaculé autour de  son corps, sort après avoir longuement mijotée dans l’eau mousseuse de la baignoire.
-        « Je dois ressembler à un nem. » pense-t-elle.
Elie, long tee-shirt, caleçon à fleurs, l’attend nonchalamment appuyé à la rambarde en fer forgé du grand lit.
-        « C’est comique comme situation. »  Nadège, soudain, a envie de fuir.      
Mais ce fut plus fort qu’elle,  comme soumise à une force incontrôlable avançant de deux pas elle se trouve juste devant Elie.
Elie lentement retire la serviette protectrice, le tendre corps apparaît. Contrairement à ce que  nous pourrions croire, Nadège est superbement proportionnée. De jolies hanches galbées, un ventre plat, des cuisses fuselées, des seins petits, certes, mais fermes et des fesses rondes, dodues.
Nadège ne respire plus.
-        Je ne suis pas belle, hein ?
Elie ne s’attendait pas à un tel spectacle, un désir fou subitement allume  sa poitrine, il serre Nadège contre lui avec force, tendresse.
-        Elie ?
-        Oui ?
-        Je n’ai jamais connu d’homme.
L’étreinte se desserre.
-        Pardon Nadège, je crois avoir été trop loin.
Il prend la serviette et la remet sur les épaules de Nadège.
 - « Quelle idiote je fais, jamais, je n’aurais  pareille et belle occasion de connaître l’amour, j’ai envie de  lui. »
Je repousse la serviette,  lui  met les mains  autour de ma taille, me hausse jusqu’à son oreille.
-        Elie… je vous en prie, continuez.
-        Vraiment ?
-        Tu ne regretteras pas ?
-        Non, sûr.
C’est le silence et votre imagination qui exprimeront le mieux la sensible nuit passée. 


***
Au matin, au milieu des senteurs de café et de chocolat chaud qui montaient de l’office, Elie, tout en frôlant mon visage me dit :
-        Je me doutais bien qu’un trésor se cachait derrière ton apparence, j’étais loin de me douter de sa qualité.
-        «  Il  est gentil, sûrement sincère. »
Voilà une histoire qui marquera ma vie pour toujours.
Petit déjeuner copieux, balade sur la plage, baignade, repas,  prudes caresses.
La journée passe à une vitesse sidérale.

*** 
Dimanche soir, retour sur Toulouse. De long silences, le plus souvent je fais semblant de dormir pour ne pas altérer, par de propos futiles, la fraîcheur de mes premiers ébats.

***
Quelques jours après, l’âme déchirée, je quittai Toulouse pour Montpellier comme  une voleuse. Je ne tenais pas à compliquer  ni gâcher ce moment inespéré de ma vie par d’autres instants avec Elie. Et puis, que serait l’avenir entre nous ?
Je l’appelle pour  lui  expliquer que de longues études m’entraîneront  dans plusieurs pays.
Je lui  fais part de l’émerveillement de notre rencontre en omettant de lui dévoiler l’exacte vérité.
Au bout du fil, Elie, intuitif, pas dupe, en silence, n’interrompt pas mes explications légèrement embrouillées, j’entends son souffle qui me rappelle quelques moments intimes. A un moment, il me semble entendre comme un sanglot retenu.
-        Chère Nadège, les rues vont bien me sembler vides sans toi.
Il raccroche le premier, j’ai le plus douloureux pincement au cœur que l’on puisse imaginer.
Encore une fois une image farfelue me vient à l’esprit, j’ai l’impression d’être comme une jeune truite qui s’échappe, glissante, des mains d’un  pêcheur pour retrouver la liberté dans son aquatique élément.
Elie, cher piqueur de prospectus, qu’est ce qui t’a pris de vouloir t’attacher à une crevette ?


FIN



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