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jeudi 6 octobre 2011

La Senteur Brisée


La senteur brisée

* 


Personnages avec âges approximatifs. 

La juge : Madame Faure

Mariette Candilixe : trente/quarante ans,  paraplégique

Jessie Walle : vingt/trente ans, américaine, violoncelliste, locataire chez madame Candilixe, en stage au conservatoire de Paris  (elle peut avoir un très léger accent)
Agnès : vingt/vingt-deux ans,  jeune greffière
Un policier ou un gendarme
Sophie Montel : amante de Jessie Walle,  vingt/trente ans, pianiste en stage au  conservatoire de Paris (n’apparaît que dans une scène onirique)
*

Deux scènes oniriques

*
Musique
Trio pour piano, violon, violoncelle numéro2 en mi bémol, op. 100
 Franz Schubert
Dans l’ordre : premier  mouvement - quatrième mouvement - premier mouvement - quatrième mouvement - deuxième mouvement

Situation

Le bureau du juge madame Faure

*
Acte 1
On entend le premier mouvement : l’allegro (30 secondes)
La lumière s’allume.
Dans un bureau, il y a le juge Mme Faure, seule derrière son bureau, elle regarde par deux fois sa montre, un peu agacée.
Entre en coup de vent une jeune greffière, Agnès, essoufflée.

Agnès : bonjour madame la juge, « elle pose ses affaires et s’installe derrière un petit  bureau ».
Mme Faure : bonjour Agnès.
Agnès : excusez-moi, il y avait une panne de métro ce matin… un monde !!! Houhou….
Mme Faure: dites plutôt une panne d’oreiller, n’auriez-vous pas fait la fête cette nuit ?
Agnès : mais… pas du tout, j’ai étudié le dossier Luciano-Dupuy jusqu’à deux heures du matin… je vous jure…
Mme Faure : inutile de jurer  Agnès, vous n’êtes pas au tribunal.
Agnès : ma parole, la rame s’est arrêtée sous le tunnel, croyez-moi, vous auriez vu la panique !!! Même que quelqu’un ma peloté les fesses, nous étions tellement serrés, impossible de savoir qui c’était...
Mme Faure, sur le ton de la plaisanterie: les fesses !!! Ma pauvre, quel drame ! C’est terrible.
Agnès : surtout, et… c’est çà qui est bizarre, autour de moi, il n’y avait que des nanas …alors !!!
Mme Faure : des femmes vous voulez dire.
Agnès : évidemment !!!
Mme Faure : alors quoi ?
Agnès : alors, alors, si encore c’était un beau garçon je comprendrais, mais là ?
Mme Faure : vous comprendriez ? Tiens, curieux !!!
Agnès : oui… enfin, c’est juste une déduction.
Mme Faure : là, vous  déduisez rapidement  que seuls les hommes ont l’audace de se permettre quelques interdits. Bravo !!!
Agnès est étonnée.
Mme Faure : … en parlant d’interdit, Agnès...
Agnès : oui madame ?
Mme Faure : faites entrer madame  Candilixe, la première affaire de la journée....Ah ! Agnès.
Agnès : Oui ?
Mme Faure : vous avez terminé vos stages, vous êtes une jeune et brillante diplômée, vous vous appliquez dans la saisie des dépositions, seulement…
Agnès, un peu inquiète : seulement ?
Mme Faure :... seulement, malgré mon indulgence, je souhaiterais que vous vous dispensiez de certaines annotations plutôt… disons… incongrues. Je sais que nous sommes dans une société où l’humour se met à toutes les sauces,  mais dans notre métier cela ne se fait absolument pas, à part quelques exceptions.
Agnès, faisant l’étonnée : je ne vois pas madame.
Mme Faure, prend deux dossiers et feuillette : je lis dans l’affaire Bernard Furet « Il a bien une tête de fouine... »… dans l’affaire Josette Karloff… voyons… « ses lèvres ont étés refaites on dirait un pot de chambre… »… même si vos remarques sont judicieuses, merci de ne noter que les faits, pas plus,  entendu?
Agnès : oui madame… pourtant.
Mme Faure : pas de pourtant, maintenant, allez chercher madame Candilixe.Agnès, ronchon : oui madame.  
Agnès se lève, va ouvrir une porte, elle fait un signe, un policier entre...
Le policier : bonjour madame la juge.
Mme Faure : bonjour.
Il pousse un fauteuil roulant dans lequel est assise une femme  paraplégique, c’est madame Candilixe  … Silence… avec la juge il y a confrontation de regards. Agnès s’assoit. Madame Faure baisse la tête, feuillette des papiers durant un moment… 
Mme Faure : bonjour madame Candilixe…
Mme Candilixe : bonjour madame la juge.
Mme Faure :… vous êtes inculpée de tentative d’empoisonnement avec préméditation sur la personne de mademoiselle Sophie Montel, pianiste,  amie de mademoiselle Jessie Walle, votre ex-locataire. Reconnaissez-vous les faits ?
Mme Candilixe, froide : oui.
Mme Faure : avez-vous  choisi un avocat ?
Mme Candilixe, sèchement : non, pas besoin, je suis une adulte. Je saurai bien me défendre toute  seule.
Mme Faure : comme vous voudrez, je tiens quand même à vous préciser qu’une défense est très difficile, qu’il faut beaucoup d’arguments. Si vous tenez à ce que les jurés  soient objectifs, vous pourriez … vu … votre état…
Mme Candilixe, fortement : quel état ?
Mme Faure, gênée : vô…vôtre… handicap...
Mme Candilixe, agressive : qu’est-ce que mon handicap à avoir avec ma défense, ce n’est pas avec mon fauteuil ni avec mes jambes, il me semble, que je m’exprime.
Mme Faure : bon, bon, ne vous fâchez pas, je pensais…
Mme Candilixe : madame la juge, ne faites aucune déduction rapide, considérez-moi comme quelqu’un de normal, voulez vous ?
Mme Faure, sévère : madame Candilixe, vue la situation dans laquelle vous vous êtes mise, évitons le terme normal d’accord ?... Pour le moment passons sur la défense, mais, devant la cour, les jurés, il faudra bien vous expliquer correctement. Ce geste terrible, celui d’avoir voulu supprimer la vie de quelqu’un, nous verrons si nous devons vous attribuer un avocat commis d’office.
Silence 
Mme Faure : alors ?
Silence  
Mme Faure : madame Candilixe, je vous écoute
Silence 
Mme Candilixe, se met la tête entre les mains et s’effondre en gémissant : je l’aimais
Mme Faure : qui… mademoiselle Sophie Montel ?
Mme Candilixe : mais non, vous ne comprenez rien.
Mme Faure : je vous en prie… alors qui ?
Mme Candilixe :Jessie… Jessie Walle, ma locataire, qui depuis six mois partageait mon appartement.
Mme Faure : vous l’aimiez ? Louable sentiment, mais encore…
Mme Candilixe, sèchement : encore quoi ?
Mme Faure : madame Candilixe, s’il vous plaît, ne jouez pas au chat et la souris avec moi, je désire un peu plus d’explication.
Mme Candilixe : que vous dire, je l’aimais, c’est tout.
Mme Faure : c’est tout, c’est tout, cela me semble un peu flou, enfin… voyez-vous, j’ai du mal à saisir vos  motivations et une logique dans tout ça.
Mme Candilixe : décidément,  regardez  madame la juge, qu’y a-t-il  de curieux dans mon apparence ?
Mme Faure : et bien… c’est…
Mme Candilixe, acerbe : ne vous gênez pas madame la juge, dites ce que vous pensez.
Mme Faure : s’il vous plaît.
Mme Candilixe : s’il vous plaît, s’il vous plaît !!!Ce qui me plaît ?… c’est cet atroce fauteuil pareil à une chaise électrique qui fait que l’on me regarde, non pas comme un être dans sa totale dimension, mais comme une portion de femme, et encore… Oh! une femme sympathique certes, sociable, pas idiote, j’ai quelques diplômes,  pouvant faire ses  courses, aller au cinéma, je peux même aller aux toilettes sans aides… et oui , cela me demande un effort digne d’un acrobate de cirque, mais j’y arrive…
Mme Faure : vous ne manquez pas d’esprit madame Candilixe mais, avez-vous remarqué, ce n’est pas tellement le lieu ici. Continuez.
Mme Candilixe :… dans l’ensemble, pour presque tout ce qui touche la vie quotidienne, je peux me débrouiller seule. Maintenant avec les nouvelles lois, les émissions à grands battages faites par  tous les médias, les aménagements modernes, les organisations de tous genres, des avancées énormes ont été faites pour nous, les handicapés, à tel point que dans le paysage urbain nous passons souvent inaperçus.
Mme Faure : sur certains points vous avez sûrement raison  mais… est-ce un véritable mobile pour espérer éliminer quelqu’un ?
Silence.
Mme Faure : répondez-moi.
Mme Candilixe : je vous disais qu’en ce qui me concerne, avec difficultés certes, presque tout m’était accessible, sauf...
Mme Faure : oui sauf ?
Mme Candilixe :… sauf en ce qui concerne et qui gouverne la grande majorité du genre humain, l’affection, l’amour, la volupté, les sentiments, voyez-vous, j’ai bien eu un peu de  tendresse dans ma petite enfance par mes parents. Hélas, ils sont morts dans un accident de voiture quand j’avais dix ans. N’ayant aucune autre famille,  j’ai été placée dans un orphelinat, alors, la tendresse oui… bordel, j’ai vite fait une croix dessus. Tiens, j’aurai mieux fait de crever avec eux.
Mme Faure : malgré cette terrible réalité, pas de grossièreté s’il vous plaît madame Candilixe, continuez.
Mme Candilixe : excusez-moi mais comprenez qu’un gros mot de temps à autre ça soulage. Voyez-vous, jamais je n’ai eu d’aventure avec un homme, ni sentimentale ni sexuelle. Je suis née avec ce corps de guignol et l’on a beau se raisonner, il y a toujours un vide énorme au fond de ma paillasse, au fond de mon cœur. J’ai l’impression que Dieu,  si un Dieu existe, quand Il a imaginé les humains, à un moment, par désespoir ou fatigue a dû s’assoupir, pour achever rapidement ses plans Il a bâclé une certaine catégorie d’êtres dont, hélas, je fais partie.
Mme Faure : oubliez s’il y a un Dieu, madame Candilixe… je… je comprends votre ressentiment.
Mme Candilixe, en colère : non, vous ne pouvez pas comprendre  ce que c’est que d’avoir envie d’amour , d’avoir envie de  sentir une main qui vous caresse les cheveux ,  du souffle chaud de quelqu’un sur votre peau, de baver d’envie quand on voit à la télévision des baisers langoureux, de jalouser ces amoureux exhibitionnistes partout dans la rue. Tenez, ça va vous sembler comique mais j’en arrive à attendre cette douce émotion au moment du  shampoing chez le coiffeur, Agnès approuve de la tête, ou bien, chez mon médecin, être sous le charme au moment de la palpation durant une auscultation.
Mme Faure, doucement : étonnant !
Mme Candilixe, sévère : mais… attendez, il y a mieux dans les superbes élans des tendres générosités.
Mme Faure : je vous écoute. 
Mme Candilixe, sarcastique : …c’est la bonne sœur qui, une fois  dans un train, une larme à l’œil, m’a glissé une médaille dans la main puis, avec un sourire niais m’a conseillée d’aller à Lourdes. Plus bas, c’est ma conne d’ infirmière qui vient me faire une piqûre, puis, pensant faire une bonne action, m’essuie religieusement le postérieur avec un coton imbibé d’alcool, tout en me parlant comme à une demeurée des curieuses lois de la réincarnation, des karmas... fortement, non, madame la juge, malgré votre intelligence, vous ne pouvez pas comprendre.
Mme Faure : calmez-vous s’il vous plaît.
Mme Candilixe :… ou bien tenez, c’est comme ces gazelles au nombril dénudé, ras le pubis,  la raie des fesses apparente, comme elles je n’ai même pas eu le privilège d’être tripotée en prenant un transport en commun. Nous, les femmes handicapées, sommes toujours reléguées dans un coin à l’abri de tous contacts… un véritable apartheid social.
Agnès sourit et hoche la tête.
Mme Faure, en regardant Agnès : curieux privilège si je puis me permettre. En effet, ce n’est pas terrible.
Mme Candilixe : … c’est ça, ce n’est pas terrible. Vous, madame la juge, quand vous avez une pulsion, un désir, vous pouvez vous déplacer facilement, aller dans une boîte à la mode, anonymement, ramener un gigolo en le payant, à la rigueur,  rester au coin d’une avenue célèbre  faire semblant d’être une prostituée, choisir un bel inconnu et jouir en douce dans un palace cinq étoiles ou un sordide hôtel miteux...
Me Faure, sévèrement : je vous en prie... gardez ces puérils fantasmes pour quelqu’un d’autre.
Agnès tousse.
Mme Candilixe :… mais moi, même le plus tordu des hommes ne veut pas jouer au mécano avec mon fauteuil. Vous avez vu l’engin madame la juge, avec toutes ces manettes plus ou moins pratiques, l’on se croirait sur le manège des horreurs de la foire du Trône.  Quand par hasard, j’ai cru, avec naïveté, qu’un homme s’intéressait à moi, je m’apercevais rapidement que c’était un malade, un détraqué sexuel en recherche de monstruosités. Les hommes, madame la juge, ils leur faut de la chair rose en bonne santé, bien fraîche, sans emballage métallique… avec moi ce n’est pas un préservatif qu’il faudrait, mais un ouvre-boîte.
Mme Faure,calmement:allons,allons,n'exagérez pas trop.
Mme Candilixe, hurle : je n’exagère pas, je suis même en-dessous de la vérité, vous voulez peut être que j’aille draguer dans un hôpital psychiatrique, soulever un débile mental dans une maison de retraite, séduire un parkinsonien… ou alors, sous la menace d’un fusil, kidnapper un aveugle et l’obliger après mille contorsions à me faire l’amour ! ! !
Agnès pouffe, Mme Faure la regarde sévèrement.
Mme Faure, fort vers madame Candilixe : calmez-vous, puis plus doucement… mais que fait dans cette triste histoire  mademoiselle Walle, et surtout quels genres de sentiments lui portiez-vous ?
Madame Candilixe se tasse dans son fauteuil s’essuie le visage avec un mouchoir.
Mme Candilixe : c’est simple, avant son arrivée, je vivais certes, mais comme je vous le disais il y quelque instants, mon cœur et mon âme se desséchaient de jour en jour, j’en étais arrivée  à ne plus vouloir exister, à me pendre, ou bien, attachée à mon engin, même si cela n’est pas facile, le précipiter dans la Seine... C’est alors qu’est arrivée  Jessie. Avec elle ma vie s’est ensoleillée, elle était  intelligente, attentive, la délicatesse en personne, s’occupant de mille détails, joyeuse, cajoleuse, câline…
Mme Faure, surprise : cajoleuse ? Câline ? Que voulez-vous dire par ces termes madame Candilixe !!!
Mme Candilixe, un peu gênée :… moi qui ne connaissais rien à ces nouvelles manifestations de sensualité, je découvrais un monde nouveau, un univers inconnu, elle me faisait la conversation,  elle cuisinait merveilleusement des plats exotiques que nous dégustions autour d’une jolie table éclairée à la bougie. Le soir, près de mon lit, elle me faisait la lecture. Elle me parlait avec exaltation de sa musique. Comme des commères nous relations le moindre fait divers des journaux télévisés. Nous fredonnions des airs à la mode, souvent avec tendresse, patiemment, elle m’aidait à faire ma toilette…
Mme Faure, étonnée : la toilette ?
Mme Candilixe, agressive : … quoi ça vous gêne ?
Mme Faure : maîtrisez-vous... quand même… pour se faire laver, même avec votre handicap, vous n’êtes plus une gamine madame Candilixe et puis il y a des assistantes médicales spécialisées maintenant ?
Mme Candilixe, toujours agressive : vous voyez, vous voyez,  vous me rabaissez au rang des malades, des anormaux, des sous-humains.
Mme Faure : calmez-vous, allez… continuez.
Mme Candilixe :… parfois, en me coiffant, elle effleurait ma peau, mes joues, avec patience elle me maquillait, elle me massait longuement avec des huiles parfumées.
Mme Faure, sévère : madame Candilixe… je vous prie, quels genres de massages ?
Mme Candilixe, ironique : mais… sur les épaules… le visage… les jambes… le dos… et...
Mme Faure : et…
Mme Candilixe : … et… tout le corps.
Mme Faure, étonnée : tout le corps ! ! ! J’entends bien mais encore ?
Mme Candilixe, agacée : des massages quoi, et, puisque vous le sous-entendez  madame la juge… pas érotiques… pas cochons… ça vous satisfait ?
Mme Faure, sèchement : n’oubliez pas madame Candilixe que vous êtes dans le bureau d’une juge pour une affaire de tentative d’empoisonnement. Je ne sous-entends rien du tout, je cherche à savoir. Je reviens sur ces fameux massages, madame Candilixe, ces multiples et tendres attentions stimulaient, comment dire... votre plaisir, vous y preniez une certaine jouissance quand même ?
Mme Candilixe : parfaitement. Elle se penche. Je ne sais où vous voulez en venir, seulement je n’y voyais aucune malignité, je découvrais enfin ce qu’un être, ce que des mains pouvaient apporter comme douceur et… c’est vrai, elle se cale dans son fauteuil, je dirais même comme extase.
Silence.
Mme Faure, étonnée, gravement : comme extase ! !! Quelque chose m’échappe madame Candilixe, vous me parliez de votre manque d’amour mais… avec un homme, or, maintenant, tranquillement, vous voici disposée à accepter les tendresses d’une femme ? C’est un véritable changement, pouvez-vous m’expliquer cette… disons… orientation peu commune ?
Mme Candilixe : madame la juge, expliquer rationnellement m’est impossible. En fait, depuis longtemps ce désir puissant de connaître des sensations me faisait occulter complètement un être physique précis. Bien sûr, dans ma tête, j’avais, comme une grande majorité de femmes la vision d’un homme, mais, je l’avoue, je n’y mettais aucun visage, aucune silhouette… Cela va vous sembler ridicule, mais j’attendais quelque chose d’immatériel, une ombre, un courant, une brise fraîche faite de sentiments et c’est Jessie qui a concrétisé cette attente, éveillant ainsi mes sens à une nouvelle réalité teintée de douce sensualité.
Mme Faure : en fait, inconsciemment, vous étiez prête à accepter les attentions d’un homme et, si je comprends bien, également, celle d’une femme plutôt que de rester seule
Mme Candilixe, pensive : oui… c’est un peu ça.
Silence.
Mme Faure : continuez.
Mme Candilixe, s’affaissant : madame la juge, cet interrogatoire me fatigue, je suis épuisée, je ne me sens pas bien, je suis lasse, puis-je boire quelque chose de chaud de préférence. 
Mme Faure, se lève : certainement, elle se retourne vers Agnès. Agnès voulez-vous nous apporter deux cafés, merci.
Agnès : mais… mes notes ?
Mme Faure, un peu agacée : … allez je vous dis…
Agnès : bon.
Agnès se lève et sort.
Mme Faure, tourne autour de madame Candilixe : continuez madame Candilixe.
Mme Candilixe : parfois Jessie venait par surprise derrière moi, me passait  délicatement les doigts dans les cheveux tout comme pour un enfant, j’ai toujours aimé ça. Elle m’embrassait dans le cou, dans  les oreilles, je riais, je me sentais un peu enivrée. Plus parfumée, ma vie, madame la juge, prenait une autre dimension, celle d’une femme  classique, capable d’être aimée et aussi d’aimer. J’en oubliais  mon handicap, voyez-vous je commençais à aimer Jessie. Les tristes nuages de ma vie s’estompaient doucement, la nuit, il m’arrivait de rêver que je pouvais marcher comme tout le monde, de ne plus être de la barbaque dans une boîte de conserve,  d’aller et venir, de danser…     
                      La scène est dans la pénombre.
On entend le quatrième mouvement : l’Allegro moderato (30 secondes) 
Scène onirique
La lumière s’estompe doucement Mariette Candilixe se lève et danse avec Jessie Walle, elles rient.
Juste un spot de couleur bleutée est sur elles.
Madame Faure est dans un coin sombre, figée.
Fin de la scène onirique.
La lumière revient, madame Faure bouge et Mariette  Candilixe est dans son fauteuil.
Agnès revient avec les cafés, les deux femmes sirotent en silence tout en s’observant.
Mme Faure, se rassoit: merci madame Candilixe, je commence à comprendre certaines choses, vous êtes lasse, je vous reverrai demain. Agnès, reconduisez madame, demandez à mademoiselle Walle de se tenir prête.
Mme Candilixe, se redressant, regardant vers la porte, émue : elle… elle est là ?
Mme Faure : que croyez-vous madame Candilixe, je fais mon travail. 
Mme Candilixe, abattue : c’est vrai… c’est vrai bien sûr.
Agnès se lève et commence à pousser le fauteuil vers la porte.
Mme Faure : surtout Agnès faites en sorte qu’elles ne se croisent pas, voulez-vous.
Agnès, hausse les épaules : évidemment... Elle fait sortir madame Candilixe, puis revient  à sa place.
Agnès, songeuse : dites madame...
Mme Faure : oui.
Agnès : ça peut vraiment exister des femmes qui font le trottoir, comme ça, en douce, juste pour rencontrer un homme de passage ?
Mme Faure : je ne pense pas que cela soit une habitude des plus courantes, mais, vous savez Agnès, quand cette force qu’est le désir, la passion, le besoin d’aimer  vous serre les tripes et que la solitude est votre seule compagnie, que cela soit sexuel ou sentimental, alors, il se passe une mystérieuse mécanique interne parfois incontrôlable qui peut pousser l’être le plus raisonnable à agir d’une manière curieuse et, même, pourquoi pas, tiens, dans le métro, à humer, de très près, une jolie plante telle que vous.
Agnès : ok pour la plante à renifler madame, mais tâter… où est le respect ?… et puis quand même,  faire le tapin avec des étrangers !!!
Mme Faure : d’abord, ce n’est pas faire le tapin comme vous dites, mais provoquer une circonstance,  une situation, attendre mine de rien, l’occasion idéale, et puis, allez, cela vaut bien les petites annonces dans les journaux, les « chats » sur Internet, même. Voyez-vous quand des rencontres se font dans des bars, des cafés,  sur des plages, dans les clubs de vacances, il y a toujours une part d’inconnu, quelques fois un tantinet risquée, mais qui pimente l’approche la plus osée.
Agnès : madame la juge, je n’aurais jamais cru que vous étiez aussi cool, elle fait un petit bruit avec la bouche.
Mme Faure : Agnès, je suis cool comme vous dites, car je ne date pas d’une époque préhistorique. Jusqu’à une certaine limite chacun est libre de ses actes excepté le franchissement de la loi tout comme vient de le faire madame Candilixe avec cette  tentative d’empoisonnement.
Agnès : dites donc !!! Vous êtes  géniale madame, vous me surprenez.
Me Faure : merci  Agnès, vous êtes délicieuse.
Agnès, se lève range des papiers et en se trémoussant : je suis déli… délicieuse... Madame  Faure sourit.
Mme Faure : arrêtez de vous trémousser. A votre âge vous n’êtes pas sur une scène de théâtre ni à l’Opéra. Faites entrer mademoiselle  Walle.
Agnès va chercher mademoiselle Walle.

Acte 2
Bureau de la juge . Agnès fait entrer une jeune femme, tailleur strict, c’est mademoiselle Jessie Walle, l’ex-locataire de madame Candilixe.
Agnès se remet devant son ordinateur.
Mme Faure : asseyez-vous mademoiselle Walle. Je vous ai fait venir pour mieux comprendre l’acte irraisonné de madame Candilixe. Madame Faure regarde ses papiers. Vous venez des Etats-Unis, vous êtes musicienne en stage au conservatoire de Paris.
Mlle Walle : oui, je suis violoncelliste... J’arrive de New York précisément, mais j’ai déjà vécu en France durant cinq ans.
Mme Faure : vous maîtrisez  donc correctement notre langue ?
Mlle Walle : en effet, je suis aussi douée que l’actrice Jodie Foster, vous connaissez ?
Agnès et madame Faure, ensemble : bien sûr…
Regards de madame Faure et mademoiselle Walle vers Agnès.
Mme Faure : … mademoiselle, il y a six mois vous avez trouvé à vous loger chez madame Mariette Candilixe.
Mlle Walle : exact.
Mme Faure : je vais être directe. Quelque chose m’intrigue ?  Madame Candilixe nous a confié que vous étiez particulièrement gentille avec elle jusqu’à lui prodiguer, comme elle dit… quelques soins… certaines câlineries… Pouvez-vous m’éclairer sur ce point assez inattendu mademoiselle Walle ?
Mlle Walle : mais… certainement  madame la juge, seulement, avant de continuer et pour que vous compreniez mieux la situation, si vous me le permettez, j’aimerais vous préciser un léger détail.
Mme Faure : certainement, lequel ?
Mlle Walle : et bien… j’aime les femmes…
Agnès lève les sourcils.
Mme Faure : comme léger détail mademoiselle, j’avoue on ne fait pas mieux.
Mlle Walle : … oui, et cette préférence je l’ai depuis très longtemps... Je… je continue ?
Mme Faure, qui avait penché la tête, la relève : oui,  je vous en prie.
Mlle Walle: c'est difficile à expliquer,je n'ai jamais été tripotée ou violée par un père incestueux,mes hormones sont normales.petite,je n'ai jamais voulu être ferrailleur, encore moins aimer jouer au mécanicien, les mains dans le cambouis, ni lutteuse de foire;je ne fréquente pas de boîtes spécialisées, je ne défile jamais pour la Gay Pride, j'évite de m’exhiber outrageusement en public, enfin, comme vous pouvez le constater , je ne m'habille jamais en mec, comme certaines de mes consœurs. De temps en temps, je mets une cravate, un  Jean, pas plus. Attention madame la juge, je n’ai absolument rien contre leur choix de vivre, simplement, moi, j’essaie de rester nature.
Agnès : comme une écolo, quoi. 
Mme Faure, vers Agnès : s’il vous plaît, puis vers mademoiselle Walle qui sourit, très bien, très bien… Jamais  vous n’avez  été attirée par les hommes… ou… un homme ?
Mlle Walle, riant : une fois si, adolescente, j’ai connu un magnifique garçon de mon quartier, souvent nous nous rencontrions au super marché, nous avions sympathisé, parlions de tout et de rien, lui, restait très discret... Un jour, j’étais déjà culottée, je lui ai avoué mon attirance, il s’est mis à sourire puis gentiment, fermement, m’a éconduite.
Mme Faure : pourquoi ? Vous êtes très séduisante mademoiselle Walle.
Mlle Walle : merci du compliment, seulement voilà, c’était un gay, un homo. Il était danseur dans une célèbre troupe de Brooklyn, je me suis rendue compte alors, que c’était sa grâce, sa part de féminité qui m’attirait. Si vous aviez vu comme il était beau, le David de Michel-Ange en personne, un véritable extraterrestre, Saint Sébastien en personne, sans ses flèches bien sûr…
Mme Faure : évidemment… alors… jamais de sexe avec un homme ?
Mlle Walle : dites donc madame la juge, vous êtes bien curieuse...
Mme Faure :pardonnez-moi… seulement le contexte particulier dans lequel vous avez évolué avec madame Candilixe m’oblige à vous poser certaines questions  précises.
Mlle Walle :… je vais vous répondre quand même. Voilà, après de nombreuses séances chez des psys tordus, plus ou moins véreux, qui ne m’ont jamais apporté de véritables réponses, un jour, pour me tester, connaître ma  nature profonde,  j’ai essayé de coucher avec un copain, pas un homo, un vrai de vrai macho, poilu de partout, même dans ses neurones, ce fût un véritable fiasco. Le pauvre ne s’en n’est jamais remis tellement j’hurlais, griffais, me débattais quand il a essayé de me pénétrer, rien à faire je ne pouvais supporter le contact physique de l’homme.
Mme Faure : au moins avec vous, pas de détours.  Et… depuis ? 
Mlle Walle : depuis ? Je n’ai pu, si l’on peut dire, aimer charnellement que des femmes, en tous les cas, pas des milliers.   
Mme Faure : mademoiselle Walle ce que vous me racontez va sûrement éclaircir ma lanterne, je vous remercie. Madame Candilixe fait-elle partie de vos aventures ?
Mlle Walle : merci pour le terme aventure madame la juge… oui et non.
Mme Faure ; comment oui et non ! ! !
Mlle Walle : et bien, c’est vrai, j’aimais m’occuper de Mariette, cela me donnait l’occasion de toucher sa peau, de sentir son parfum, de la caresser en l’habillant, de la frôler tout en  la coiffant. J’avais trouvé des astuces pour ressentir des émotions comme la soigner, lui préparer son bain, la masser…
Mme Faure : oui… les fameux massages.
Mlle Walle, un peu exaltée… C’est ça… Mais madame la juge ne vous offusquez pas, cela ne me satisfaisait pas assez,  j’avais besoin de sensations plus fortes, j’avais envie de la tenir dans mes bras, comme une  partenaire, la faire vibrer tout comme on le fait avec les cordes d’un violoncelle.
Mme Faure, se lève : quelle poésie !quel lyrisme !  C’est vrai que votre  art, la musique, vous rend très sensible.
Mlle Walle : …oui … Vous ne pouvez pas savoir la jouissance que celle de tenir entre ses jambes  un si bel instrument, un instrument qui, c’est connu, ressemble tellement aux galbes d’une femme puis avec amour, tendresse, les yeux fermés, la tête tout près de la volute, le manche étroit, lisse, tel le gracile cou d’une biche effleuré par la joue…
Agnès, sous le charme : c’est beau...
Mlle Walle : … puis  faire glisser l’archet sur les cordes, percevoir la délicatesse des sons, obtenir des plaintes pareilles à des voix humaines comme le ferait un corps cajolé, transformé, sublimé, en pleine jouissance.
Mme Faure : mademoiselle Walle, hum ! Merci pour cette admirable et pittoresque  allégorie mais… vous n’allez pas, ici, nous donner des cours privés d'éducations sexuelles féminines,quand même...
Mlle Walle : madame la juge, du reste, je pense  que c’est mon inconscient qui m’a fait choisir ce bel instrument, d’avoir avec lui un véritable corps à corps. Je ne crois pas que l’ocarina, la flûte ou le hautbois m’auraient donné autant de satisfaction que le violoncelle.
Agnès pouffe, madame Faure  la regarde.
Agnès, hilare : je saisis ça ?
Mme Faure : non Agnès. Ça suffit mademoiselle Walle.
Mlle Walle : d’accord.
Mme Faure, se rassoit : maintenant, parlez-moi de Sophie Montel, votre collègue de conservatoire que madame Candilixe a voulu supprimer.
Mlle Walle : en fait, j’ai rencontré Sophie quelques jours après une violente dispute.
Mme Faure : avec madame Candilixe ?
Mlle Walle : oui, en manque d’affection, cela faisait un moment que le désir de tenir quelqu’un dans mes bras me tenaillait, un besoin lancinant venu du fond de mes entrailles me tiraillait, et 
Mariette,physiquement, me plaisait véritablement…
Mme Faure : malgré son handicap ?
Mlle Walle : … oui, car malgré le fait qu’elle ne puisse plus bouger les jambes, elle a un magnifique corps, un granulé de peau, des seins ! Si vous la voyiez nue dans son bain…
Mme Faure : vous n’allez pas recommencez mademoiselle Walle.
Mlle Walle : … pardon. Donc, un soir, pour me donner du courage, passer du désir à l’action, je fais deux fois le tour de ma chambre, je m’enfile un verre de whisky, je prends ma respiration… ce n’est pas facile d’annoncer ce genre de pulsion, et viens lui avouer,  tremblante, vouloir faire l’amour avec elle...
Mme Faure, très étonnée : comme ça ?Brutalement ?
Agnès tousse.
Mlle Walle : … je n’ai pas compris, elle est devenue aussi pâle qu’une morte et m’a insultée en me traitant de tous les noms, plus odieux les uns que les autres. C’est simple je ne les ai pas tous compris. Parfois Mariette a un langage… hou lala ! ! !
Mme Faure : oui j’avais remarqué. Mademoiselle Walle, c’est pourtant facile à comprendre... Cependant avec toutes vos gentillesses, elle aurait dû soupçonner votre inclination pour les femmes ?
Mlle Walle : non, pour elle, à aucun moment malgré mes attentions, souvent appuyées, l’idée de mon homosexualité ne l’avait effleurée, ou alors, peut-être, je ne sais, faisait-elle semblant de ne pas la voir ?
Mme Faure : curieux… curieux, il est vrai que souvent nous nous trompons sur la personnalité des gens.
Silence.Madame Faure écrit.
Mme Faure : mademoiselle Walle, nous allons en finir pour aujourd’hui. Je tiens à vous revoir demain pour connaître la suite de vos étranges attitudes envers madame Candilixe
Mlle Walle, surprise, légèrement agressive : étrange, madame la juge, vous voulez parler de mon attirance pour les femmes ?
Mme Faure : mais non, ne vous froissez pas, je veux parler de l’ambiance particulière dans laquelle vous évoluiez avec madame Candilixe.
Mlle Walle : ah ! Bon.
Mme Faure : mademoiselle, je tiens également à vous préciser que, pour le moment, aucune charge n’est retenue contre vous.
Mlle Walle : merci quand même, il ne manquerait plus que ça.
Mme Faure : je ne vous prends pas en traître, demain vous serez confrontée à madame Candilixe.
Mlle Walle : ça me gêne … mais… si vous y tenez.
Mme Faure : j’y tiens.
Mme Faure, se tournant vers Agnès : Agnès, veuillez raccompagner mademoiselle Walle  s’il vous plaît.
Agnès raccompagne Jessie Walle qui s’arrête, se retourne vers madame Faure.
Mlle Walle : madame le juge.
Mme Faure : oui ?
Mlle Walle : Mariette risque-t-elle une peine importante ?
Mme Faure : chère mademoiselle, vous devez bien vous rendre compte qu’au bout de ses funestes projets, il y avait la mort  avec préméditation. Ce n’est pas une mince affaire. Cela n’a rien à voir avec un simple vol à l’étalage.
Mlle Walle : mais… peut-il y avoir des circonstances atténuantes ? La pauvre dans quel état pitoyable elle se trouve à présent.
Mme Faure : dites mademoiselle, je ne suis pas son avocate… mais… quand même, ne  vous sentez-vous pas légèrement responsable de son désarroi ?
Mlle Walle : on est toujours responsable de quelque chose madame la juge… Bien sûr je me sens gênée mais pas au point de me sentir coupable. J'espère du fond du cœur que sa peine ne sera pas trop lourde. 
Mme Faure : mademoiselle Walle, j’instruis simplement, seuls, les jurés et la cour décideront. À demain mademoiselle.
Mademoiselle Walle sort suivie d’Agnès, qui revient vers le bureau de madame Faure, elle s’y appuie.
Agnès : c’est dégueulasse ces nénettes madame. Vous vous rendez compte ? Faire l’amour entre femmes, elles se tripotent, elles se roulent des patins, beurk…
Madame Faure, doucement lève la tête, se lève et vient près d’Agnès.
Mme Faure : patins, tripoté, quel curieux vocabulaire dans votre jolie bouche ? Dites- moi ma chère Agnès… nous sommes entre femmes n’est ce pas ?
Agnès, intimidée : oui.
Mme Faure : malgré votre apparente innocence, cela fait un moment, j’espère, que votre éducation sexuelle est faite ?
Agnès : je crois bien. Pas depuis des lustres… mais, oui.
Mme Faure, prend Agnès par les épaules : Agnès… je... je vais être assez osée, crue même… cela vous est bien arrivé une fois… ou même plusieurs fois de vous procurer du plaisir par des caresses…
Agnès, gênée : des caresses… comment ?
Mme Faure : comment… comment, des caresses intimes.
Agnès, avec un air outré : intimes ! Que voulez vous dire par là madame le juge ?
Mme Faure : allons, allons, ne faites pas la mijaurée. Vous voulez que j’emploie un terme plus approprié…plus…scientifique… celui de se masturber ?
Agnès : oh !!!
Mme Faure : vous êtes une femme ?
Agnès : oui c’est certain.
Mme Faure : votre corps est celui d’une femme ?
Agnès : ouiii…
Mme Faure : donc une femme, vous, qui caressez un corps, le vôtre, de femme, qui se donne du plaisir avec une main de femme, j’en déduis donc, ma chère Agnès, que, vous le vouliez ou non, vous aimez le contact d’une partie du corps d’une femme, même si c’est le vôtre. 
Madame Faure s’éloigne d’Agnès.
Agnès, ouvre de grands yeux : quoi ? Qu’est ce que vous me racontez  madame la juge ? Je sais bien que vous êtes cool… mais là ?
Mme Faure, riant : là ? Je raconte que je plaisante… allez au travail.
Toutes les deux se rassoient.Silence.
Agnès : madame la juge ?
Mme Faure : oui ?
Agnès : et… pour les hommes... c’est… pareil je suppose ?
Mme Faure : ce n’est pas possible, mais d’où sortez-vous Agnès ? Sans vous offenser, durant vos études vous avez côtoyé du monde, je l’espère. Allez, au travail, ne tourmentez pas votre gentille cervelle.

Acte 3
Quelques moments de silence dans le noir, puis on entend le premier mouvement : l’Allegro (30 secondes).
La lumière se rallume, bureau de la juge. Mme Faure et Agnès sont vêtues différemment.
Mme Faure : Agnès, allez voir si mademoiselle Walle est arrivée ? Si oui, faites-la entrer
Agnès, goguenarde : oui madame et… qu’est ce que je fais si elle me fait des avances ?
Mme Faure : votre humour est déplacé Agnès… allez.
Agnès sort puis revient avec Jessie Walle habillée  sexy.
Mme Faure : asseyez-vous mademoiselle… Hier, nous en étions restées à votre altercation avec madame Candilixe. Que s’est-il passé pour que celle-ci veuille  supprimer mademoiselle Montel ?
Mlle Walle : voilà.  Quelques jours après ma dispute avec Mariette, je puis vous dire que le climat s’était plutôt refroidi à la maison ? J’avais beau  lui expliquer ma démarche, que, peut-être, j’avais été un peu directe, elle s’enfermait dans un total mutisme.
Mme Faure : directe: On peut le dire… Avez-vous tenté de continuer à la câliner, comme elle dit ?
Mlle Walle : non. Enfin pas de suite. C’est après quelques pleurs, gémissements, explications, prières, que nous avons repris nos habitudes…
Agnès se racle la gorge.
 … seulement, madame la juge, de mon côté, le cœur ni était plus vraiment… M’étant dévoilée, je ressentais comme de la culpabilité, même un peu de honte, et puis Mariette n’était plus aussi détendue qu’avant. Entre nous une gêne pesante s’était installée, presque par pitié, je me forçais à lui faire plaisir.
Mme Faure : pour la gêne cela me parait naturel, cela me semble beaucoup moins probable  pour votre effort !!!
Mlle Walle, sur un ton pincé : merci quand même.
Mme Faure : continuez.
Mlle Walle : … j’avoue que ni l’une ni l’autre ne nous sentions très à l’aise… C’est alors que, cinq, six jours après, durant un concert organisé par le conservatoire consacré à Schubert j’ai rencontré Sophie, elle était au piano… nous jouions le sublime trio numéro deux, exaltée… Madame  la juge, durant tout le concert si vous saviez  comment nous étions en communion, la musique transcendait nos âmes… Nous avions l’impression de nous connaître depuis des siècles, tenez, comme  Tristan et Iseult, comme Roméo et Juliette…
Agnès, qui suivait ,attentive : mais là il y avait deux Juliette.
Mme Faure, se tournant vers Agnès : s’il vous plaît Agnès.
Mlle Walle : ce n’est pas grave. Oui exactement, à la fin, en coulisse, poussées par je ne sais quels courants intérieurs nous sommes tombées dans les bras l’une de l’autre, sans rien dire. Puis nous nous sommes tendrement embrassées sous l’œil rond du violoniste et la stupeur des organisateurs… un miracle !
Mme Faure : n’exagérez pas. Vous voulez dire que ce fut un coup de foudre.
Mlle Walle, toujours exaltée : oui, je n’avais jamais ressenti une telle émotion, une telle vibration.  C’était au-delà de l’attrait physique. C’était divin…
Agnès derrière son bureau ouvre de grands yeux.
Me Faure, sceptique : divin ! Bon, et... madame Candilixe dans l’affaire ?
Mlle Walle : … évanouie, effacée, rayée complètement.
Mme Faure : c’est cruel.
Mlle Walle : cruel ! ! ! Comme vous y allez… et quand un homme abandonne une femme pour une autre, du reste souvent plus jeune, c’est cruel ? Pas plus, pas moins. Les histoires d’amour sont planétaires, universelles, se sont des combats souvent sans merci où l’égoïsme est souvent au centre des conflits. Alors je ne vois pas pourquoi, moi, une simple jeune femme, je devrais être une exception et continuer bêtement à entretenir une situation qui menait à une impasse.
Mme Faure, hochant la tête : oui c’est vrai. Après ?
Mlle Walle : après ? Après réflexions, innocemment, j’ai amené Sophie à la maison et l’ai présentée à Mariette. Je tenais à ce que les choses soient claires entre nous, qu’il n’y ait plus de malentendu. Je voulais lui éviter une trop grande souffrance. Malgré les apparences, sincèrement j’avais de la peine pour elle.
Mme Faure : cela vous honore mademoiselle… puis ?
Mlle Walle :… puis, avec Sophie nous avons emménagé dans un appartement dans le même quartier que Mariette.
Mme Faure : comment a réagi madame Candilixe ?
Mlle Walle : sur le coup très bien. En fait, c’est par la suite que j’ai compris son attitude. Sous son air mielleux, bon enfant, elle cachait parfaitement son jeu.
Mme Faure : comment ?
Mlle Walle : me demandant de garder un lien amical, elle a insisté pour nous recevoir souvent. Naïvement nous avons accepté. Elle complimentait notre couple, elle riait, nous faisait de jolis cadeaux, nous offrait des places de concerts, elle nous conviait autour d’une bonne table commandant chez un traiteur de supers plats accompagnés de vins prestigieux…
Scène onirique
On entend le quatrième mouvement : l’Allegro moderato (30 secondes).
La lumière s’estompe doucement, seul un spot de couleur orangée ou rouge éclaire une table dressée. Il y  a madame Candilixe dans son fauteuil, en face d’elle, Jessie Walle et Sophie Montel qui rient, se parlent à l’oreille, se tiennent la main, se font des bises, elles mangent.
Il y a un léger murmure, on voit madame Candilixe glisser quelque chose dans l’assiette de  Sophie Montel tout en riant et mangeant  avec elles.
Dans le coin sombre madame Faure et Agnès sont figées.
Fin de la scène onirique.
La lumière se rallume doucement.
Mme Faure, faisant le tour de la pièce :… et bien sûr, en douce, madame Candilixe mettait dans l’assiette de mademoiselle Montel du poison ? Bravo ! Vous ne vous êtes jamais rendu compte de rien ?
Mlle Walle :… non… euphoriques nous étions trop dans nos rêves, jusqu’au jour où Sophie commença à se plaindre de maux de tête, puis de ventre, comme nous avions beaucoup de répétitions… nous prenions ça pour du surmenage…
Mme Faure : quand même ! 
Mlle Walle : jusqu’à ce maudit soir où Mariette bêtement, mais surtout  heureusement, a versé une dose si puissante que j’ai dû appeler le médecin  qui, d’urgence, a emmené  Sophie à l’hôpital…
Mme Faure : et grâce à un dépistage rapide et de bons lavages d’estomac elle a pu, après plusieurs heures, être sauvée.
Mlle Walle : oui grâce à Dieu...
Mme Faure : disons… plutôt grâce à la médecine. Agnès, faites entrer madame Candilixe.
Jessie Walle se lève , madame Faure la fait se rasseoir.
Arrive Mariette Candilixe dans son fauteuil, poussé par le policier, suivi par Agnès qui se remet à son bureau.
Acte 4

Mariette Candilixe regarde Jessie Walle qui tourne la tête vers Agnès qui plonge dans ses dossiers.
Mme Faure : madame Candilixe...
Mme Candilixe : oui madame la juge ?
Mme Faure :… hier vous m’avez parlé des, hum… gentilles attentions de mademoiselle Walle. J'aimerais, si vous le pouvez, que vous me donniez un peu plus de précision sur les motifs profonds qui vous ont poussé à vouloir supprimer mademoiselle Sophie Montel ?
Mme Candilixe : d’abord, pour que vous me compreniez, quand Jessie m’a parlé de faire l’amour, j’ai été surprise, choquée même. Dans cette formulation faire l’amour, elle appuie sur le terme faire l’amour, j’ai senti une connotation d’usinage, de technique de corps, d’enlacement animal. Je me suis braquée devant une situation que je n’avais pas prévue. Ce fut un réveil brutal n’ayant pensé à autre chose qu’à une sensible affection, de la douceur, des frôlements asexués.
Mme Faure : vous me semblez curieusement naïve madame Candilixe, vous vous êtes réveillée d’accord, seulement le plaisir que vous aviez vous manquant et, le goût aidant, vous avez désiré continuer quand même à entretenir cette relation avec mademoiselle Walle.
Mme Candilixe : oui, je me suis rendue compte que j’avais goûté une saveur inconnue, nouvelle, celle de la féminité, vous savez comme pour un plat nouveau, dont on se méfie puis qui étonne favorablement une fois la première bouchée avalée. Alors, timidement on  désire encore apprécier puis, avec gourmandise, se délecter  davantage, presque comme une drogue, quoi. Voilà pourquoi j’en ai voulu terriblement à cette drôlesse de Sophie de m’avoir dépouillé de tous mes espoirs en séduisant Jessie. Elle faisait barrage à cette vie nouvelle que je découvrais. Follement éperdue, humiliée, j’ai décidé  de la supprimer pour avoir le champ libre.
Mlle Walle, se lève : c’est faux madame la juge, Sophie est innocente, comme je vous l’ai expliqué, notre rencontre s'est faite naturellement. 
Mme Candilixe, hargneuse : Sophie ! Cette sournoise petite garce de pianiste à la gomme.
Mme Faure : madame Candilixe, attention, n’aggravez pas votre cas par des propos insultants supplémentaires.
Mme Candilixe, vers  mademoiselle Walle : c’est une perfide, une menteuse !!!
Melle Walle, très émue : je dis la vérité.
Mme Candilixe : quelle vérité ? Sale chipie d’Amerloque, la vérité de m’avoir utilisée pour assouvir tes passions ? La vérité de m’avoir trompée pour cette voleuse ?
Mlle Walle, toujours émue : Sophie est pure, honnête, ce n’est pas une voleuse.
Mme Candilixe, grinçante : pure ! Honnête ! Fortement, laissez-moi rire, c’est d’un comique... hurlant, vous me fatiguez tous ici.
Mme Faure, tape sur la table avec en main un coupe-papier : silence…
Mme Faure : asseyez-vous mademoiselle Walle… continuez madame Candilixe.
Mme Candilixe, comme oppressée :… Jessie m’avait donné le goût de la vie, la magnifique senteur du plaisir, je commençais à rire, à avoir des projets, j’avais mis toute ma confiance en elle. Puis, tout à coup, comme le couperet d’une guillotine qui tronçonne une vie, à nouveau le vide, le noir, la solitude, le désespoir. J’étais comme une enfant à qui l’on donne un jouet merveilleux et que l’on reprend comme ça, sans explication… Par égoïsme, perfidement, elle m’a aguichée pour me plaquer froidement comme une sale môme qui jette une  poupée après l’avoir fracassée.
Mme Faure : madame Candilixe, quand même, ce n’est pas une raison pour vouloir empoisonner mademoiselle Montel.
Mme Candilixe, sarcastique : la raison toujours la raison, laissez-moi rire madame la juge. Où est la raison quand on n’a plus rien à perdre ? Quand le vide devient gouffre, précipice. Vous, la raison à la rigueur vous  pouvez la  maîtriser car vous pouvez bouger, aller et venir, mais moi, plus doucement, les seuls mouvements qui ces derniers temps animaient ma vie,  c’étaient les battements nouveaux de mon cœur, celui du sang de mes veines qui palpitait un peu plus vite, celui de ma peau qui frémissait à un contact jusqu’alors inconnu… Fort Je hais la raison, je hais cette fille qui a brisé mes rêves, qui m’a enlevé cet amour naissant, je hais cette société où tout est conforme à des critères de normalités étalés dans de sales petits journaux de merde…
Mme Faure : s’il vous plaît...
Mme Candilixe :… madame la juge, ma seule raison maintenant c’est ce brouillard épais dans lequel Jessie  m’a plongée… et tout ça pour aller malaxer d’autres fesses, d’autres seins plus jeunes, plus fermes, d’une donzelle débauchée sans roues de secours , hélas, encore vivante...
Mme Faure : ça suffit madame Candilixe. Vous vous égarez sérieusement, j’aurai aimé de votre part un peu de  repentance, de sincères regrets même.
Mme Candilixe, d’un rire sardonique : des regrets ha ! Après ce qu’elles m’ont fait ces deux là.
Mme Faure : ne renversez pas la situation ni les rôles madame Candilixe, faut-il pour la énième fois vous rappeler que c’est vous qui avez tenté d’empoisonner Sophie Montel, cela n’a rien de banal il me semble.
Mlle Walle, tout près du visage de Mariette Candilixe, les larmes aux yeux : ce que tu as fait… c’est franchement répugnant, moi qui avais tellement de tendresse pour toi.
Mme Candilixe, ricanante : ta tendresse, parlons-en, tu peux te la mettre où je pense, je te hais débauchée.
Mme Faure : madame Candilixe s’il vous plaît, ces outrances sont franchement déplacées.
Mlle Walle, mettant sa main sur l’épaule de madame Candilixe : je te plains Mariette.
Mme Candilixe, repoussant la main avec force : ne me touche plus. Avec ta grue, vous allez me laisser froidement moisir comme un cloporte dans sa ferraille rouillée, mes pauvre jambes d’estropiée sont immobiles… Maintenant à cause de vous c’est mon cœur  qui s’est figé pour toujours.  Mortifiée, avilie, je vais vieillir dans la souffrance … d’une voix grave… je vous maudis.
Mme Faure : madame Candilixe…
Mlle Walle, se cache les oreilles avec les mains et crie : arrête… arrête...
Mme Faure, tape sur le bureau, se fâche, se lève : mesdames s’il vous plaît, je vous rappelle que vous êtes dans le bureau d’une juge, calmez-vous.
Le policier passe la tête dans l’entrebâillement de la porte…
Le policier : un problème ?
Mme Faure : c’est bon, ça va.
… puis disparaît quand cela se calme. À peine le policier disparu Mariette Candilixe se jette sur le bureau de la juge, attrape le coupe-papier et bascule vers Jessie  Walle  pour la frapper. Jessie Walle se recule en hurlant. Mariette Candilixe tombe à terre…
Le policier arrive.
Madame Faure, le policier et Agnès tentent de maîtriser Mariette Candilixe. Ils essaient de la remettre sur son fauteuil, comme elle se débat avec rage, le policier lui met les menottes.
Avec difficulté ils la réinstallent sur le fauteuil…
Mme Faure : madame Candilixe, quelle folie, vous vous enlisez sérieusement, le geste que vous venez de commettre n’est pas fait pour adoucir la situation dans laquelle vous vous êtes mise. Vous me faites de la peine, la prison vous semble-t-elle si attrayante ?
Mme Candilixe, oppressée, les bras tendus : je ne veux pas aller en prison, je veux être aimée, je veux retrouver tes caresses,  pardon Jessie…
Mlle Walle, peinée : Mariette… Mariette
Mme Candilixe :… pardon… j’ai mal… j’ai perdu la raison… je n’en peux plus… je ne mérite pas ça… je ne savais pas ce que je faisais… je ferai attention à mon langage…Jessie je t’en supplie aime-moi… aime-moi…
Mlle Walle, troublée tourne la tête : je t’en prie Mariette… c’est trop tard…
Mme Candilixe, toujours oppressée : Jessie… Jessie… si tu veux je serai ta marionnette, ton pantin, ta chose… ne m’abandonne pas… je ne veux plus rester seule... tu feras ce que tu veux de mon pauvre corps… Avec Sophie je partagerai même votre amour, je ne dirai plus rien… pitié…
Agnès est comme tétanisée.
Mme Faure : madame Candilixe un peu de dignité je vous en conjure.
Mme Candilixe : Jessie… je vous donnerai de l’argent, je vous paierai…
Mlle Walle : à quoi tu t’abaisses ma pauvre  Mariette… c’est trop tard, trop tard, c’est impossible tu le sais bien.
Le policier emmène Mariette Candilixe toujours menottée, elle se retourne avant de passer la porte, le désespoir est grand, derrière la porte on l’entend gémir.
Mme Candilixe : … je me tuerai… je me tuerai… vous aurez ma mort sur la conscience.
Agnès : la malheureuse... elle se précipite dans les bras de madame Faure qui tendrement lui caresse les cheveux puis une joue délicatement longuement.
Agnès surprise, se détache doucement, madame Faure  suit Agnès du regard.
Jessie Walle fixe madame Faure, qui se retourne vers elle et   la regarde tranquillement 
On entend le deuxième mouvement : l’Andante con Moto …
La lumière s’éteint.


FIN

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