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La rencontre... Désespoirs...

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dimanche 18 septembre 2011

Colombe

Colombe

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Morlaix, le 4 Juin 1994


Cher Gabriel, mon tendre frère,

Cette lettre va sûrement t’étonner, mais après mûre réflexion, c’est à toi que j’ai pensé.
Voici la situation : j’avais des amis très proches, les  Guivarch, des gens simples avec lesquels je partageais quelques moments de ma silencieuse vie de retraitée de l’Education Nationale. Nous partagions souvent les menus plaisirs de la vie.
Ce couple a malheureusement péri dans un horrible accident de voiture, il y a de cela à peine un mois, laissant seule et désemparée leur fille unique de 17 ans, Colombe. Normalement, cette jeune fille qui n’est pas remise de cette terrible émotion devrait, début septembre, entrer comme gouvernante auprès des enfants du directeur de l’usine agroalimentaire Ty Breiz.
Ce sont des gens très humains qui connaissaient les Guivarch. Seulement voilà, une partie de l’usine sera en vacances ; le directeur et sa famille doivent partir en voyage. Enfin, différents petits problèmes font que Colombe a besoin de se changer les idées jusqu’en septembre. Rester auprès de moi n’arrangera pas son moral. Aussi, j’ai pensé à toi. Tu as de la place dans notre vieille maison du Gers. Il y fait beau, la campagne est belle et te connaissant, je suis certaine que tu pourras aider cette jeune fille à passer le cap de l’été. Ecris-moi pour me dire si tu es d’accord.
Je t’embrasse tendrement.
Ta petite sœur,
                        Anne- Marie

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Saint Clar, le 8 Juin 1994
Ma chère sœur,

Tu sais, je ne pense pas que cela soit une très bonne idée. D’abord je ne connais pas cette personne, et puis que pourrais-je faire pour elle…
Je n’ai aucune expérience dans ce genre de situation, elle risque de s’ennuyer à la campagne, j’ai perdu depuis longtemps le sens de la discussion et de la consolation.
Si tu peux trouver une autre solution, cela sera préférable.
Baisers,

                                      Gabriel

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Morlaix, le 12 Juin 1994


Cher Gabriel,

Je crois que tu te sous-estimes profondément. Si je te propose cette solution, c’est que je connais tes qualités et surtout cette profondeur d’âme que j’ai toujours appréciée chez toi. Je ne désire en aucun cas te forcer la main, mais j’insiste un peu pour que tu réfléchisses encore.
Gabriel, ce n’est pas une bonne action de scout que je te demande mais un acte de grande humanité, et puis je t’avoue, je ne vois pas tellement d’autres solutions.
Etant donné que le temps passe, j’attends de tes nouvelles assez rapidement.
Je t’embrasse,

                                      Anne-Marie


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Saint Clar, Le 15 Juin 1994

Anne-Marie,

Je ne suis pas très certain du résultat, mais pour toi uniquement, j’accepte durant cet été d’héberger ta protégée. Je ferai en sorte que ma compagnie lui soit la moins pénible possible et que son séjour ici lui soit également salutaire.
J’ai retapé le domaine de nos grands-parents, suivant ton désir, elle pourra donc patienter jusqu’en septembre.
Je l’attendrai à la gare d’Agen au jour et à l’heure que tu m’indiqueras.
Baisers,

                          Gabriel

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JOURNAL DE GABRIEL : 18 Juin 1994


Aujourd’hui, c’est avec une légère fébrilité que j’ai attendu cette jeune fille, Colombe, à la gare d’Agen. Je commençais à m’impatienter car le train avait dix minutes de retard, aussi lorsque je l’ai aperçue sur le quai, sa petite valise à la main, ses cheveux blonds en tresses, son visage pâle légèrement rosé avec de toutes petites tâches de rousseur, j’ai eu un coup au cœur. Je voyais apparaître comme dans un rêve mon amour de jeune homme.
J’avais vingt-quatre ans, elle quinze. Nous nous étions rencontrés, ou plutôt je l’avais remarquée dans  une piscine naturiste  à Paris. Avec des amis, nous étions inscrits dans un club, et outre le week-end, nous y allions une fois par semaine. C’est là que, pour la première fois, comme sortie d’un livre d’images, j’aperçus Koulm, jolie bretonne émigrée à la capitale avec sa famille.
Seule dans un coin, un peu désemparée dans sa fraîche nudité, silencieuse, rose et blanche sous une coiffure d’or. Il me fallut plusieurs semaines pour qu’un jour je me décide à m’asseoir près d’elle. Curieusement, Koulm en breton signifie Colombe.
Je viens de retrouver quelques vieilles photos de cette époque. Je reprends mon carnet abandonné depuis trente ans, l’émotion me pousse à noter mes impressions. Je viens de retrouver Koulm en Colombe, cet évènement raccourcit le temps de manière vertigineuse.

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JOURNAL DE COLOMBE : 18 Juin 1994

Me voici arrivée chez le frère de Mme Legof, Gabriel, à Saint Clar, agréable village du Gers. Il y a de grands champs, des collines rondes, verdoyantes, et surtout un soleil qui me change de la Bretagne.
La maison est jolie, coquette au milieu de vastes espaces, entourée d’arbres de toutes espèces. La chambre que j’occupe donne sur le jardin et la paix semble régner chez cet homme, grand, robuste au visage bronzé que cache une barbe naissante très légèrement grisonnante. Il me fait penser à mon grand-père que l’on surnommait « le Russe » malgré ses origines celtes.
Quand nous nous sommes dit bonjour sur le quai de la gare, il m’a paru légèrement troublé, peut-être a-t-il eu un malaise, ou bien n’ayant pas l’habitude des changements, la journée fut-elle particulièrement éprouvante pour lui !
Ce soir, j’ai pleuré en pensant à mes parents qui me manquent beaucoup. Vraiment la vie est parfois mal faite : pourquoi un malheur chez les uns et le bonheur chez d’autres ?
Arriverai-je à oublier ? Actuellement, je ne le peux pas et puis je ne connais pas cet homme, qui est-il ? Il semble, malgré sa réserve, attentionné, cela me rassure  toutefois.

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Saint Clar, Le 19 Juin 1994

Chère Madame Legof,

J’ai été cordialement accueillie par votre frère. Pour le moment, j’essaie d’oublier la douleur due à ce départ tragique de mes parents. Ma chambre est très jolie. Gabriel, il désire que je l’appelle par son prénom, semble être un homme plein de gentillesse. Je suis surprise qu’il vive seul dans cette belle région que j’ai pu apercevoir en arrivant en voiture. Je vous suis reconnaissante de m’avoir envoyé ici en attendant septembre. Le voyage en train a été un peu fatiguant, un incident nous a  fait prendre du retard, ce qui a, il me semble, un peu agacé votre frère.
J’espère tenir le coup dans cette épreuve. Je vous embrasse et  vous promets de vous écrire le plus souvent possible.

Colombe

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JOURNAL DE GABRIEL : 21 Juin 1994


Voici maintenant quatre jours que Colombe demeure ici. Après les promenades d’usages dans le village et les environs, après les quelques présentations obligatoires à droite et à gauche, les quelques sourires en coin et les éternelles explications, je laisse Colombe faire ce qu’elle désire. Son sourire, sa gentillesse, sa grâce, font d’elle comme un bel oiseau dans la maison, mais j’ai l’impression que cet oiseau se trouve en cage malgré les grands espaces et la  verdure environnante.
Je suis un peu désemparé dans ce mélange de sentiments où il me faut gérer paternalisme et souvenirs sentimentaux.

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JOURNAL DE COLOMBE : 21 Juin 1994

Voici maintenant quatre jours que je suis ici. Gabriel m’a présentée à quelques gens du village et j’ai bien compris que cela devait bien faire longtemps qu’il n’y avait pas eu de présence chez lui. J’ai vu qu’il était gêné quand quelques lueurs malicieuses et autres clins d’œil interrompaient ses longues explications. Il m’attendrit car je le sens un peu gauche à mon encontre. Je suis consciente que la situation n’est pas facile entre un homme qui tout à coup voit sa solitude bouleversée et moi qui n’arrive pas à trouver la paix.
J’ai des difficultés à trouver mes repères loin de ma Bretagne, de ma ville, et surtout dans ma soudaine solitude familiale. Un sentiment d’étouffement me prend quelquefois malgré la beauté du paysage, je préfère m’enfermer le plus souvent dans ma chambre plutôt que de goûter à la liberté des vastes champs.

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JOURNAL DE COLOMBE : 25 Juin 1994

Hier, j’ai par surprise passé une journée plus agréable. En me promenant par le village où il y avait le marché, j’ai rencontré un garçon de mon âge, Thomas, nous nous sommes baladé durant toute l’après-midi. Timides tous les deux, au début nous marchions en silence, puis il m’a raconté un morceau de sa vie.
 Sa maman est morte d’un cancer il y a deux ans, ce souvenir le hante presque chaque nuit. Je l’ai un peu consolé, ce qui m’a curieusement permis d’atténuer ma propre douleur. J’ai raconté à Gabriel mon après-midi, il était ravi que je trouve un camarade. Avec tact, il m’a posé quelques questions. Je me suis permis de faire lui un bisou sur le front , comme je le faisais avec mon grand-père et mon cher papa.
Je me rends compte que nos rapports se détendent un peu, je suis moins sur la défensive.

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JOURNAL DE GABRIEL : 25 Juin 1994

Quel étrange serrement au cœur quand Colombe m’a raconté la promenade avec ce Thomas que je n’ai jamais vu au village. Quel sentiment de plaisir, quand Colombe a déposé ce baiser sur mon front. J’ai beau rejeter toute idée de jalousie, une obsédante vérité m’oblige à prendre conscience de mon âge comparé  à sa juvénile fraîcheur .Je dois être lucide sur ma position où la confiance doit être au centre de notre relation. Il est très tard, je n’arrive pas  à trouver le sommeil.
Et puis je ne suis plus habitué à une autre présence que la mienne ; savoir qu’une autre personne dort à quelques mètres perturbe ma vie d’homme seul. Je sais que c’est un peu égoïste, par conséquent un effort est nécessaire pour faire bonne figure.

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JOURNAL DE GABRIEL : 26 Juin 1994

Aujourd’hui avec Colombe, nous nous sommes promenés dans la campagne. Soudain, il y eut une averse, nous avons trouvé refuge au milieu des champs, dans une sorte de monticule en pierres,  construite par des paysans. Ces petits édifices servent pour être à l’ombre le midi, le temps d’un casse-croûte, ou comme ce fut notre cas, pour se mettre à l’abri de gros orages. Colombe n’avait sur elle qu’un petit chemisier.
L’eau avait plaqué sur son buste la toile légère. Je sentais palpiter son cœur, malgré la veste que je lui avais prêtée, la chaleur de son corps passait dans mes veines. L’odeur du lait qui se dégageait d’elle me fit penser à Koulm quand, après les séances à la piscine, je la ramenais chez elle, en grande banlieue, près de l’aérogare d’Orly, dans ma superbe Simca 1000 bleue.
J’ai le souvenir de soirées d’hiver où la neige environnait la voiture, nous nous arrêtions à quelques distances de son domicile, Koulm posait sa tête sur mon épaule, me racontait ses histoires d’école. Nous ne faisions que respirer le moment présent. Puis, avec malice, elle m’appelait son « clown vert », tout ça parce qu’un jour j’avais porté un pantalon « vert pomme », le croyant de couleur marron clair. C’est vrai qu’avec une chemise bleue sous une veste « caca d’oie », j’avais l’air d’un clown. Le daltonisme m’a souvent joué quelques tours pendables. Le pantalon « vert pomme » la faisait toujours rire. Enfin, au bout d’un long moment, je la voyais engloutie par la porte de la maison familiale.
« Koulm, ma Koulm ,» murmurai-je. Je vis Colombe sourire car je venais de prononcer à voix haute ma pensée.

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JOURNAL DE COLOMBE : 26 Juin 1994

J’apprécie de plus en plus ces journées passées à la campagne et en particulier la présence paternelle de Gabriel. Aujourd’hui encore, sous un violent orage, blottie contre lui, nous nous sommes abrités dans une curieuse cabane, j’avais l’impression d’être contre mon cher papa. Comme Gabriel, il était si adorable et si attentionné… C’est avec confiance que j’ai posé ma tête sur son épaule,  l’esprit ainsi en paix, je n’ai pensé à rien durant quelques instants. Par contre, j’ai été surprise de l’entendre murmurer un nom ou un prénom et pour la première fois depuis mon arrivée, j’ai souri.


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Matin du 1er Juillet 1994

Petit mot glissé sous la porte de Gabriel par Thomas pour Colombe.

Chère Colombe,

Depuis notre dernière rencontre, je ne pense qu’à toi. N’aie crainte, car en aucune façon je ne veux t’imposer ma présence, mais les quelques mots et confidences échangés entre nous m’ont donné l’envie d’un autre rendez vous.
Si tu veux bien, je t’attendrai à seize heures près du cimetière où se trouve enterrée ma mère. J’aimerais que tu m’y accompagnes car je n’ai pas le courage de m’y trouver seul.
Amicalement,

                          Thomas
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JOURNAL DE COLOMBE : 1er Juillet 1994 . 23 heures


Je n’ai pu supporter l’atmosphère du cimetière et la tristesse de Thomas, la mienne étant encore à vif. Aussi devant la tombe de sa mère, je me suis enfuie, le laissant totalement désemparé. Impossible de me contrôler,  c’est avec force que je me suis précipitée à la maison. Gabriel m’a prise dans ses bras,  là, tremblante, il me fallut près d’une bonne heure pour calmer les soubresauts qui agitaient mon corps, mon âme. Après avoir bu une grande tasse de chocolat, je me couchais. Je finis par m’endormir, veillée par un regard attendri et de tendres caresses sur la nuque.

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JOURNAL DE GABRIEL : 1er Juillet 1994. Minuit

Quel petit imbécile ce Thomas ! C’est avec rage que je lui aurais bien botté les fesses ! Anéantir en quelques minutes, par pur égoïsme, le travail de deux semaines de remise en équilibre de Colombe… J’ai failli courir le frapper et puis je me suis calmé. L’oiseau blessé s’est avec confiance laissé caresser la nuque.
Mes gestes au départ furent des gestes naturels comme ceux d’un père à son enfant. Seulement, je me suis rendu compte que le plaisir que je prenais à toucher cette partie frêle, fragile, douce, tendre  était autre. Je prolongeais le mouvement de mes doigts, glissant sur sa peau rosée plus qu’il n’était nécessaire. Maintenant, je suis dans ma chambre, j’ai un peu honte. Mais Colombe dort, sa respiration est calme, c’est le principal…
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JOURNAL DE GABRIEL : 2 Juillet 1994

Ce que je n’ose dire à Colombe, c’est cette étrange coïncidence de nom, d’allure et également de lieu. Car Morlaix fut la ville où je vis Koulm pour la dernière fois.
Je travaillais alors pour une société qui implantait un réseau d’appareils de réfrigération auprès de gros quincailliers .Une de mes tournées me fit passer par Morlaix. Ayant rendu visite aux sœurs et au père de Koulm, sa maman était décédée un an plus tôt d’une tumeur au cerveau, je vis une famille effondrée.
On m’apprit alors que Koulm était depuis une semaine dans un coma profond dû à la même opération pratiquée sur sa mère. Tumeur, quel mot horrible.
Je fonçais à l’hôpital. Je vis Koulm, son crâne rasé entouré de pansements, son joli visage perdu dans un coma profond. Je crus voir une momie et cette image se fixa dans ma mémoire durant des années.
Koulm décéda. Son enterrement nous plongea dans une tristesse profonde. J’avais perdu l’amour de ma vie.
Et voici que Colombe faisait ressortir du passé toutes ces émotions, tout cet amour, comme si le temps n’avait pas eu prise sur moi.
Lui raconterai-je cette histoire ? Je verrai.


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Saint Clar, LE 5 Juillet 1994


Cher Thomas,

J’espère que tu comprendras mon attitude de l’autre jour au cimetière. Je sais que tu avais besoin d’une présence pour accompagner ta douleur. Seulement voilà, je ne peux être ce soutien attendu car je suis moi-même actuellement très fragile,  j’ai besoin d’une aide, d’une force que tu ne peux me donner.
 Pour le moment, seul Gabriel est en mesure de m’apporter courage et réconfort. C’est pourquoi je ne souhaite pas que nous nous voyions pendant quelques temps, nous envenimerions nos peines, cela n’est pas souhaitable.
Je te fais une bise,

                   Colombe

* 
  
Saint Clar, le 20 Juillet 1994

Chère Madame Legof,

L’été commence sérieusement à chauffer dans le Gers… Je ne vous serais jamais assez reconnaissante de m’avoir permis de venir ici, chez votre frère Gabriel. J’ai l’impression d’être sur une autre planète tellement les journées sont agréables. Copieux petits déjeuners, promenades, lectures, discussions au coin d’un feu de cheminée. Nous nous sommes même baignés hier, j’ai forcé Gabriel à se mettre en maillot de bain. J’ai bien ri, car il avait peur de se trouver ridicule , pour moi, au contraire, il ne l’était pas.
Et puis, vous savez, je commence à maîtriser ma peine quand je pense à mes parents. Le chagrin est là, certes, mais je suis lucide et je sais qu’il me faut maintenant voir l’avenir avec plus de sérénité. En parlant d’avenir, je me fais un peu de soucis côté professionnel, car je comptais bien pouvoir continuer mes études… Hélas, je me ferai une raison pour un travail plus simple.Peut-être que le destin me sourira un peu dans quelques années.
Je vous embrasse bien fort,

                          Colombe

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Saint Clar, le 21 Juillet 1994

Ma chère sœur,

Il n’y a que toi à qui je peux me confier. Ce que je vais te révéler est assez délicat, mais je ne peux garder en moi ce qui m’arrive et me trouble. Seulement, je t’en supplie, essaie de me comprendre.
Avant l’arrivée de Colombe, je vivais tranquillement, simplement, chaque jour apportait son train-train de petits travaux,  je dois reconnaître que, replié sur moi-même, il n’y avait pas une grande exaltation dans ma vie de tous les jours. Puis Colombe est arrivée.
Au début, je me suis contenté de la considérer comme une gamine en convalescence qui avait besoin d’être réconfortée. Seulement, au fil des jours, sa présence, son charme, sa beauté, ses tendres et pures familiarités vis à vis de moi ont fait que ce n’était plus une enfant que j’avais à mes côtés, mais une vraie femme.
 Alors, ce qui au départ fut naturel, sans aucune arrière-pensée, devint au fil des heures un tourment, un désir. Ma chère sœur, il me faut lâcher le mot, je me suis épris de Colombe. Alors, je t’en prie, il faut qu’elle s’en retourne rapidement à Morlaix, car l’attachement que j’ai pour elle ne doit en aucune façon compromettre son retour à une meilleure joie de vivre. Merci de me répondre rapidement.
Je t’embrasse tendrement,

                   Gabriel

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Morlaix, le 25 Juillet 1994

Gabriel,

Tu ne peux imaginer ma surprise à la lecture de ta dernière lettre. Tout d’abord, je l’avoue, j’en fus légèrement outrée. Puis, après réflexion, en essayant de me mettre à ta place, oui, j’ai compris l’attachement que peut avoir un homme comme toi, seul, pour une femme, fusse-t-elle une adolescente…
Bien sûr, j’ai pensé faire revenir Colombe le plus rapidement possible. Seulement voilà, on ne peut comme ça interrompre ce que nous avons commencé, c’est-à-dire le rétablissement de cette jeune fille. Comme je le suppose, elle ne se doute de rien. Ses lettres me le confirment. Cher Gabriel, il faut prendre sur toi,  attendre septembre avec courage. Je te connais assez pour savoir que tu ne feras pas de bêtises.
Ecris-moi et, s’il le faut, je viendrai passer quelques jours avec vous. L’épreuve de l’amour impossible est une des plus terribles épreuves,  je penserai à toi le plus souvent possible.
Ta petite sœur,

                   Anne-Marie
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JOURNAL DE GABRIEL : 27 Juillet 1994

Au reçu de la lettre de ma sœur, je comprends que nous soyons toujours seuls. Les conseils, les consolations aboutissent toujours à soi-même et à des décisions prises que par soi-même. Les mots sublimation, transformation, n’empêcheront en aucune façon le serrement au cœur, l’émotion épidermique, le plaisir d’un frôlement.
Anne-Marie ne se rend pas compte de la complexité de ma situation. Fasse que je puisse avoir la maîtrise nécessaire à ce trouble profond.

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LA CAMPAGNE AUTOUR  DE SAINT CLAR. 1er Août 1994

        Sur les chemins isolés de la campagne gersoise, Gabriel et Colombe marchent en silence. La chaleur impose le recueillement, la gente animale respire en douceur. Juste quelques bourdonnements d’abeilles. Des papillons aux vols lourds. Au loin, à peine un cri d’enfant. Et c’est là, au croisement de deux sentiers que Gabriel se décide à raconter l’histoire de son amour de jeune homme. Ses copains, le club naturiste, les sorties, et puis sa timidité dans le brouhaha de la piscine à aborder cette fine silhouette rose. Et surtout cette puissante, cette incroyable attirance intérieure qui fait que l’on sait qu’un être vous convient. Puis ce douloureux choc de l’être aimé avec la mort en fin d’une courte vie, dans une posture  de gisante.
Colombe l’écoute gravement. Le silence se fait à nouveau. Ils continuent leur chemin dans l’étouffement de l’été.
Colombe prend affectueusement le bras de Gabriel jusqu’à la maison.

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JOURNAL DE COLOMBE : 1er  Août 1994

Cet après-midi, Gabriel m’a confié ce qui me semble un lourd secret qui ne peut que provoquer des traces profondes dans l’âme d’un être.
Comment un homme peut-il garder intact en lui l’amour pour quelqu’un ? Je n’arrive pas à comprendre et pourtant, je perçois l’étrange sentiment de frustration d’un amour brusquement interrompu.
Depuis que je suis ici, seule en sa présence, c’est vrai que ma position d’adolescente s’efface pour laisser place à une attitude plus proche de celle de la femme. J’avoue être heureuse de lui apporter quelques  joies,  surtout, de le sortir de sa solitude, grâce à lui, aussi, je me sens un peu plus forte.

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JOURNAL DE GABRIEL : 2 Août 1994

Bêtement, pour trouver un dérivatif à mon attirance envers Colombe, j’ai décidé aujourd’hui de contacter Thomas afin qu’il puisse lui apporter une autre présence que la mienne. C’est donc avec une certaine réticence que je lui ai envoyé un mot pour l’inviter à déjeuner. Ce garçon fera l’affaire, malgré le peu d’estime que j’ai pour lui. Je n’arrive pas à expliquer ce malaise intérieur. J’espère que Colombe ne sera pas trop contrariée par cette initiative. 
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JOURNAL DE COLOMBE : 2 Août 1994

Je ne comprends pas cette nouvelle attitude de Gabriel, qui tient absolument à ce que je sorte avec Thomas. C’est un gentil garçon, mais il ne m’apporte rien de constructif. J’ai l’impression d’être auprès de lui cette mère qu’il n’a plus, tandis qu’avec Gabriel, je me sens calme, détendue, et je me répète, femme. Mais puisqu’il le désire, acceptons cette situation, du moins pour le moment. On ne peut opposer un adolescent avec un homme mûr et pour la première fois, j’ai un autre regard sur l’être humain.


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Saint Clar, 3 Août 1994

Le repas fut sympathique, même joyeux. Thomas était ravi de pouvoir retrouver Colombe. Celle-ci fit un effort pour plaire à Thomas, sur les recommandations de Gabriel.
Celui-ci s’affaira à la cuisine le plus souvent possible pour les laisser seuls. Un léger serrement de poitrine lui fit comprendre que la jalousie peut arriver à tout âge.
Après le repas, Gabriel incita les deux adolescents à aller se baigner, prétextant pour lui des travaux à terminer dans la maison.
Colombe et Thomas, après le bain, se laissèrent sécher au soleil, laissant la chaleur caresser leurs corps. Colombe ne retira pas sa main quand Thomas la lui prit.
« Etrange garçon », pensa-t-elle. « Je l’aime », songea Thomas.
- Que font-ils ? , murmura Gabriel.
La campagne sentait l’orage.

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JOURNAL DE GABRIEL : 3 Août 1994

A un moment de l’après-midi, le brusque désir d’aller les rejoindre me prit. Après avoir tourné en rond durant une heure interminable, je  décidai de les retrouver au bord du lac. N’importe quel prétexte serait bon quand ils me verraient. Le cœur battant, je les cherchais.
La vue de la main de Colombe dans celle de Thomas me plongea dans une étrange rage mêlée de jalousie, d’envie, et surtout du sentiment d’avoir été trahi par Colombe. Pourtant le fautif, c’était moi, car les ayant incité à sortir seuls, j’aurais dû me douter que cette situation était inévitable. Je fis demi-tour comme un collégien amoureux qui voit sa petite amie dans les bras d’un autre. Je fis en sorte de rentrer rapidement, longeant par les ruelles les habitations, comme un voleur qui ne désire pas être pris et surtout ne pas être vu.

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JOURNAL DE COLOMBE : 3 Août 1994

Je n’ai pas compris la froideur de Gabriel quand je suis rentrée. Lui, si aimable d’habitude, son attitude m’a quelque peu étonnée. C’est pourtant dans la bonne humeur que nous avions pris un repas auparavant. Alors ?  Peut-être Thomas ?


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JOURNAL DE COLOMBE : 4 Août 1994


La journée s’est passée dans le silence. Je n’osais demander à Gabriel le pourquoi de son attitude, pour ma part, je fis en sorte d’être la plus souriante et la plus attentionnée possible. J’ai eu droit à un sourire dans la soirée quand je vins tout près de lui pour regarder la télévision. Quelques commentaires sur le film, un navet, grignotage de biscuits, ouf,  l’atmosphère fut plus détendue.
Gabriel serait-il jaloux de Thomas ?

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Saint Clar,  le 4 Août 1994

Cher Thomas,

Peut-être vais-je te faire de la peine, mais je regrette de t’avoir laissé prendre ma main si tendrement, l’autre jour après la baignade. J’avais besoin d’un petit réconfort, tout simplement. Aussi, je ne voudrais pas que cet instant d’abandon te fasse espérer un sentiment de ma part. Je t’aime bien, mais comme un bon camarade, ou peut-être comme un frère.
Comprends-moi, je tiens pour le moment à être entièrement libre de tous soucis. Parfois certaines situations arrivent sans que l’on sache comment. Et ensuite, on prend conscience de leurs effets. Pardonne-moi.
Je te fais une bise,

                   Colombe
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ARTICLE DU JOURNAL LOCAL  6 Août 1994

« Un jeune adolescent de Saint Clar a tenté de mettre fin à ses jours en se coupant les veines.
 On l’a retrouvé à temps sur la tombe de sa mère, au cimetière de Saint Clar. Actuellement, au centre hospitalier d’Auch, sa vie n’est plus en danger. Peut être la douleur d’avoir perdu sa mère récemment .Nous ne pouvons que supposer  les motifs profonds  de son geste, hélas, courant chez une jeunesse souvent désemparée  peu préparée aux rudes épreuves de la vie.
 La rédaction, tout en respectant l’anonymat de la famille lui souhaite un prompt rétablissement  »

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JOURNAL DE GABRIEL : 6 Août 1994


Quand nous avons appris la nouvelle, Colombe et moi, à travers l’article du journal, ni l’un ni l’autre n’avons été très étonnés. Nous sentions bien que ce petit Thomas était perturbé, extrêmement fragile. Colombe m’avoua sa faiblesse d’un instant et aussi la lettre envoyée. Je n’osais penser à la possibilité que des journalistes peu scrupuleux puissent mettre leur nez dans le courrier de Thomas, dans les jours à venir. Colombe m’a promis de ne plus le revoir pour le moment, même à l’hôpital. Le problème de Thomas ne doit en aucun cas être le sien.
*
Le 8 août, Thomas sortait de l’hôpital, puis nous annonçait qu’avec son père, ils déménageaient pour un département voisin : l’Ariège.

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Saint Clar,  le 10 Août 1994


Chère Anne-Marie,

Depuis mon dernier courrier, un relatif calme intérieur s’est installé en moi ; bien sûr, la tendresse que j’ai pour Colombe existe toujours, mais je me force à raisonner et particulièrement à relativiser. Ici, il commence à faire très chaud, je bricole un peu. Colombe se plonge dans les livres de ma bibliothèque pendant des heures. Siestes, goûters, promenades font notre quotidien à travers quelques lourdeurs orageuses.
 Un peu de pluie nous ferait du bien, autant pour la terre que pour nos esprits. Je pense emmener Colombe à Auch pour le 15 août car il y aura une foire.
Je t’embrasse,

                   Gabriel

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JOURNAL DE COLOMBE : 10 Août 1994


Je suis un peu oppressée par ce temps orageux où la pluie n’arrive pas à tomber. J’ai promis à Gabriel de ne pas voir Thomas pour le moment ; du reste, avec son père, ils partent pour l’Ariège qui est tout proche. Je pense un peu à lui car il doit être malheureux. Mais comme dit Gabriel, « à chacun sa croix », nous ne pouvons porter la nôtre et celle des autres, sinon c’est l’écroulement. A-t-il raison ?
C’est avec plaisir que je me plonge dans la lecture,  j’ai le choix car Gabriel m’a autorisée à fouiller dans la pièce aménagée spécialement pour ses livres et autres objets divers accumulés durant sa vie. C’est fou la diversité des objets, des souvenirs entassés dans ce local. Chaque fois que je pénètre dans cette  caverne d’Ali Baba, je me sens fébrile, curieuse, attendrie. Je m’installe dans un coin, feuillette des documents, me plonge dans quelques livres et m’imprègne de tous ces objets conservés durant tant d’années.
Parfois, si je n’avais pas obtenu sa permission, j’aurais eu l’impression de violer son intimité.


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JOURNAL DE COLOMBE : 11 Août 1994


Je suis extrêmement gênée et aussi émue car en cherchant parmi les livres, j’ai trouvé une boîte en carton .En l’ouvrant, je suis tombée sur de vieilles photos représentant une très jolie adolescente parfois nue.
 Aussitôt, j’ai compris que cette jeune fille, Koulm, était la personne que Gabriel avait tant aimée dans sa jeunesse Par contre ce qu’il m’avait caché, c’est la troublante ressemblance avec moi. Je commence à comprendre quelle émotion il a dû éprouver suite à ma venue sous son toit. Je ne sais si je lui avouerai ma découverte car là, j’ai dû dépasser une limite, l’intimité de son cœur, de sa souffrance.

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15 Août 1994

La foire à Auch. Oh ! Rien de vraiment sensationnel !
 Des stands de toutes sortes, alignés les uns à côté des autres. Des garçons et des filles qui s’invectivent, des rires d’enfants, des gloussements d’adolescents, quelques paysans endimanchés qui parlent de la dernière récolte de l’ail. Des ballons et des pipes en porcelaine que l’on essaie de dégommer. Des grands-mères aux visages ridés par le soleil. Des conversations hautes en couleurs avec des accents de mousquetaires
.Et puis les casse-croûtes, les dégustations de foie gras arrosées de succulents vins blancs. Colombe et Gabriel grappillaient par ci,  par là, alternant sucré et salé, sans pour cela en être incommodés. Devant un stand de tir, Colombe voulut tester sa dextérité à la carabine. Elle s’appliqua à viser la cordelette à laquelle pendait un joli clown de toutes les couleurs.
Elle réussit du premier coup et, radieuse, l’offrit à Gabriel qui, pâle, le cœur battant, l’accepta. Une larme coula le long de sa joue. Colombe le prit dans ses bras, l’embrassa sur les lèvres. Un long silence suivit. Comme deux oiseaux, l’un à peine sorti du nid, l’autre retrouvant ses ailes, ils prirent le chemin de la maison. Une pluie fine commença à tomber sur des visages offerts aux nuages.  Colombe ne connaissait pas l’anecdote du clown vert, sans le savoir, elle venait de raviver la cicatrice du cœur de Gabriel.

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MATIN DU 16 Août 1994

Colombe et Gabriel sont restés tendrement enlacés durant toute la nuit comme deux amants, à la différence près qu’aucun geste sexuel n’eut lieu. Ce fut un réchauffement charnel au-delà de toute compréhension humaine, une douceur de deux âmes, de deux corps. Parfois la main de Gabriel effleurait le visage de Colombe .La jeune fille posait ses lèvres sur celles de Gabriel, ce furent les seuls gestes intimes de la nuit.
Désirs ? Abandon enfantin de Colombe ? Frustrations ? Émotions ? Contrôle pour Gabriel, différence d’âge et celui du tabou à franchir ?

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JOURNAL DE COLOMBE : 21 Août 1994

Je suis un peu confuse car, malgré la tendresse que j’ai pour Gabriel,  je ne pense pas qu’il s’en doute, je n’ai pu  franchir le pas, celui de devenir une amante. La nuit du quinze fut tendre et merveilleuse de douceur .J’ai pu sentir l’importance de ma condition de femme, mais aussi de cette frontière entre cette condition et celle de mon adolescence. Je lui suis reconnaissante d’être resté respectueux de ma pudeur.

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21 Août 1994

Les jours qui suivirent furent ponctués de longs silences.
Colombe fut particulièrement attentive, toujours aussi câline. La curieuse nuit ne fut à aucun moment abordée. Il y avait dans l’air un mélange de gêne et de bonheur, de ces bonheurs que l’on sait si fugaces, qui sont à la limite des regrets.

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JOURNAL DE GABRIEL : 23 Août 1994


     Dans une dizaine de jours, Colombe rejoindra sa Bretagne, j’appréhende la solitude qui va suivre. Je suis passé du clown vert au multicolore pour finir en Auguste bien triste.
    La nuit du quinze août reste dans ma chair comme un bonbon au miel qui se transforme en goût acidulé, car une fois de plus avec le temps, l’inaccessible bonheur taraude ma vie , mon cœur .


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JOURNAL DE GABRIEL : 28 Août 1994


Ce matin, j’ai reconduit Colombe au train. Le trajet fut pesant. Sur le quai de la gare, je croyais que la terre s’effondrait sous mes pieds. Ce terrible serrement à la poitrine m’empêchait de dire un mot.
Quand le visage de Colombe derrière la vitre s’éloigna, je ne pus empêcher un cri  douloureux de sortir de ma gorge. Comment vivre maintenant ? Je n’ai plus 20 ans, la douleur automnale est plus féroce que la printanière.
Malgré le soleil, le chemin du retour me parût bien grisâtre, j’avais beau ouvrir en grand les vitres de la voiture, aucun parfum champêtre n’y pénétrait. Seule une odeur de lait chaud se fixait en ma mémoire.


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Morlaix, le 10 Septembre 1994


Cher frère,

Quelques nouvelles… D’abord, merci d’avoir recueilli Colombe. Elle nous est revenue lumineuse, avec un éclat nouveau dans le regard, comme une transformation.
Comme prévu, la place de gouvernante l’attendait, mais le plus sympathique, c’est que ses employeurs vont lui payer une formation professionnelle, grâce à des études, une place plus importante dans l’usine lui sera garantie.
Colombe a évoqué vos relations dans de tels termes que je me suis sentie fière d’être ta sœur. Tu vois, malgré tes inquiétudes, tout s’est bien passé et je me félicite d’avoir pensé à toi pour cette  bonne action. Je t’attends pour Noël.
A bientôt de te lire.

                   Ta petite sœur, Anne-Marie

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Morlaix  le 15 Septembre 1994


Cher Gabriel,

Me voici maintenant le pied à l’étrier, je m’occupe pour le moment des enfants du directeur de l’usine,  cela n’est pas trop éprouvant. La grande nouvelle est que je vais pouvoir très rapidement prendre des cours de comptabilité et de gestion pour occuper une place dans les bureaux de l’entreprise.
Gabriel, c’est avec tendresse et reconnaissance que j’évoque toujours votre visage ainsi que toutes les attentions que vous m’avez témoignées. Vous avez allumé en moi chaleur et féminité. L’empreinte de mon séjour à Saint Clar me marquera à vie.
J’ai eu des nouvelles de Thomas aujourd’hui, il semble aller mieux, il a une petite copine. Avec son père ils envisagent d’ouvrir un gîte rural, si cela marche, peut-être pourrions-nous un jour nous y retrouver ; également aurai-je le plaisir de venir passer quelques jours prochains dans votre magnifique région du Gers.
Gabriel, je sais que je ne peux remplacer cette jeune fille que vous avez tant aimée. Sachez quand même qu’une partie profonde de moi-même vous sera fidèle par la pensée.
Je vous embrasse tendrement,

                          Colombe

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Saint Clar, le 29 Septembre 1994


 Monsieur le maire de Saint Clar,

À
Madame Anne-Marie Legof, Morlaix


Chère Madame,

Nous ne savons pas ce qui est arrivé exactement, mais, avant hier matin, après un violent orage, au milieu du plan d’eau qui sert habituellement aux pêcheurs du coin et de baignade pendant l’été, près de sa barque, nous avons trouvé votre frère Gabriel sans vie.
 Chez lui, tout était parfaitement  en ordre.
 Il y avait sur la grande table de cuisine un petit déjeuner à peine fini, une liste de commissions datant du mois d’août et une de ces peluches que l’on gagne aux fêtes foraines : il s’agit d’un clown de toutes les couleurs.
 Nous attendons vos directives pour les formalités d’usage.

Avec nos sincères condoléances,

  Monsieur Lacassagne

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Après l’enterrement qui se fit dans la plus stricte intimité, Anne-Marie trouva en faisant du rangement dans la maison familiale le journal de Gabriel. 
Une fois lu, elle le brûla.



FIN





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