Gustave
Gustave,
les yeux fermés, laissait Juliette accomplir l’active bonne action
hebdomadaire. Bah ! Depuis longtemps le désir avait quitté son
corps et les petits doigts boudinés de Juliette, malgré ses
efforts, n’arrivaient pas à faire frémir le vieil oiseau.

Lui
aussi gardait au fond de son cœur quelques mystères comme celui
d’avoir changé de nom quand il avait quitté la Légion étrangère.
Labit, son véritable nom, grâce à la chancellerie de Paris,
fut changé en Labat, comme quoi, juste une voyelle peut améliorer
les sarcasmes du quotidien. Il se souvenait de temps à autre de ce
passé de légionnaire où, sous la mitraille, en Algérie, il avait
sauvé héroïquement plusieurs fois Roger, un de ses camarades,
ajoutant à son palmarès des décorations une médaille
supplémentaire.
Le
souvenir le plus douloureux était celui où, par un matin pluvieux,
il avait quitté compagne et enfants, ne pouvant plus supporter la
routine familiale.
Cette
compagne qui sans cesse lui parlait de voyages, d’îles lointaines,
de sable chaud, de palmiers. Il n’en pouvait plus, ses moyens plus
que modestes le complexait, alors pour avoir la paix, il promettait
monts et merveilles sans jamais en réaliser un seul.
Summum
de la douleur, il ne pouvait plus accepter cette fillette, Marinette
qui, paraplégique, lui rappelait sa propre mère, légère
handicapée mentale.
Toute
son enfance fut marquée par les grimaces de cette maman à la limite
du ridicule, les remarques désobligeantes de ses camarades qui
avaient des mamans bien propres à la sortie des classes. Parfois,
honteux il faisait semblant de ne pas la voir attendant sur le
trottoir, vite il fuyait en douce.
Cela
le rongeait, le culpabilisait atrocement, persuadé qu’il était
pour sa fille le transmetteur génétique, alors par un fameux matin
pluvieux, il s’enfuit.
Quand
il revint deux ans plus tard, torturé par le remord, toute la
famille, lui dit-on, avait déménagé. Lâchement, il ne fit aucun
effort pour poursuivre des recherches.
-
Ça te va Gustave ? demanda Juliette de sa voix fluette.
-
Oui ma belle, continue.
-
Puisque vous me le demandez si gentiment.
Il
n’avait jamais rien demandé… Mais bon, le pli était pris !
Et
puis chaque jour il avait cette Marcelle qui l’obligeait à
ingurgiter cette crème caramel aux œufs. Entre Marcelle et Juliette
la fatigue l’envahissait de plus en plus. Les doigts boudinés d’un
côté, la crème de l’autre, c’était sans fin, trop c’est
trop.
Une
nuit, le directeur, monsieur Paul, fut averti par l’infirmière de
garde qu’un dénommé Gustave avait fait un malaise, il délégua
son fils Pierre pour les papiers d’usages.
On
enterra Gustave Labat quelques jours plus tard.
Juliette
et Marcelle sur le chemin du cimetière eurent de sincères grosses
larmes.
Fin
M.T
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michel.turquin31@orange.fr