«Le père»
C'est
comme la création d'un scénario, difficile de savoir par où
commencer. Le faire chronologiquement où à des moments clés de la
narration avec des flash-backs ?
Durant
ma petite enfance, je ne faisais aucune différence avec Armand, mon
beau-père, que j'appelais naturellement papa. Comme c'était la
période 1940-1945, ces événements ne laissaient pas de place à
des introspections personnelles. Ce fut à l'école primaire que
l'exploration de mes racines
paternelles me travaillèrent, mais sans plus.
Lydia,
ma mère portait le nom de son mariage avec Armand Mercier qui avait
d'un premier mariage une fille Suzanne. Moi, je portais le nom de
Turquin.
Quand
je fus en état de réfléchir un peu plus je posais la question:-
«Mais pourquoi je ne porte pas le nom de Mercier comme toi maman,
comme papa et aussi Suzanne ?»
À
chaque fois, aussi bien du côté de ma tante Louba, qui habitait la
maison à côté de la nôtre, c'était le silence avec tout de même
des bribes de réponses évasives : - « On ne peut pas t'en
parler, ton père... du bout des lèvres, n'était pas un
monsieur respectable» . Comme j'insistais pour approfondir
le mystère, mère et tante changeaient de conversation.
De
l'enfance à l'adolescence, puis en tant qu'homme, j'avais
momentanément évacué le sujet.
Armand
était un homme généreux, jamais il ne me fit comprendre qu'il
n'était que mon beau-père. Comme avec Suzanne, sa fille, il suivit
mon éducation, mon entrée dans le monde du travail, était
attentif à mes désirs en les concrétisant avec simplicité.
Dans
ma tête il y avait un couple, ma mère, mon père et une sœur. Je
ne faisais aucune différence en les appelant maman, papa, sœurette.
Le
temps passa avec d'autres d'histoires jusqu'au décès de Lydia,
d'Armand et de ma tante. Suzanne se maria et eut trois enfants.
Ce
morceau du puzzle où ma mère avait aimé un inconnu me taraudait de
plus en plus.
Un
malheur me fit connaître une inspectrice de police. Une amie
étudiante étant victime d'un odieux viol , désespérée, celle-ci
me téléphona. Pour l'enquête, je fus convoqué afin de décrire la
conversation.
Depuis
un moment dans un petit coin de mon cerveau j'avais repris le désir
de savoir si mon père génétique, Marcel, était encore en vie.
Je
savais qu'il avait été un petit délinquant mais j'ignorais au
juste l'échelle de gravité de ses actes.
Il
existe bien avec la gendarmerie, la possibilité de rechercher
quelqu'un, c'est ce qu'on nomme «La recherche dans l’intérêt des
familles». Seulement, la personne recherchée a la possibilité de
refuser d'être approchée par ceux qui désirent la retrouver, ce
que je ne voulais pas. Je m'étais fait un cinéma avec une scène de
café où le Marcel serait en train de boire un verre et moi, à
côté, inconnu, engagerait la conversation comme si de rien n'était.
Quand
je demandai à cette inspectrice si elle pouvait, de par son métier,
rechercher dans la liste des condamnés si mon père était encore
sur terre, son réflexe professionnel fut de refuser. Elle me dit :
« Si
je vous donne son adresse et que vous, on ne sait jamais, ayez des
idées de crime, je serais responsable de vos actes, risquant à coup
sûr, de perdre mon job.»
Je
n'insistai pas, simplement je lui demandai juste si cet homme était
encore en France.
Elle
s'absenta un moment, à son retour, me confirma qu'en effet, mon père
était bien vivant, qu'il avait été condamné huit fois pour
différents larcins, qu'il était interdit de séjour sur tout le
territoire français, qu'il devait rester à résidence dans le
département des Alpes-Maritimes. Puis, curieusement, elle posa une
feuille sur la table et sortit. Seul, intrigué, je dépliai le
papier et découvrit l'adresse de Marcel. C'était son adresse dans
un foyer logement à Cannes.
Quelle
classe cette inspectrice, je l'ai croisée, depuis, plusieurs fois
dans Toulouse. Sans jamais aborder son geste, nous nous saluons
toujours avec plaisir.
Que
faire, y aller directement ou abandonner ? Je ne pouvais laisser mon
enquête si près du but.
Je
décidai de téléphoner à la directrice en lui demandant des
nouvelles de son pensionnaire, monsieur Marcel Turquin. Je lui
expliquai que j'étais son fils et que je ne tenais pas à ce qu'elle
le mette au courant de ma démarche:
«Oh!
c'est un monsieur très gentil qui rend beaucoup de services à tout
le monde, il fait même la sortie des écoles pour la circulation»...
gloups !
Je
décidai d'aller affronter, non pas la vérité, mais, peut-être,
une vérité à Cannes durant quelques heures. Train, gare, la ville,
l' Avenue de Vallauris.
Devant
le foyer logement
«Les Alizés», je
respirai un bon coup. Le hall, je demandai à une hôtesse si
Monsieur Turquin était présent:- «Il
est au deuxième étage porte 12».
J'étais devant «sa» porte, mon palpitant battait très fort car
derrière se trouvait ce qui devait être mon papa et qui n'était
qu'un inconnu. Je frappai, la porte s'ouvrit, un petit bonhomme en
caleçon et maillot de corps, très méfiant, me demanda ce que je
voulais:
«Oui»
«Je
suis Michel, votre fils»
«Alors
là, alors là...», le petit bonhomme répéta ces mots au moins
dix fois.
«Que
voulez-vous ?»
«Je
voulais voir qui vous étiez afin de me faire une idée avec qui ma
mère, si jeune, avait
pu avoir une relation». Impossible de le tutoyer...
Je
ne rentrai pas dans la chambre, nous restâmes une vingtaine de
minutes, face-à-face, sans grands échanges intelligents.
«Vous
avez bien fait», me dit-il, «vous savez, j'ai beaucoup de
torts, mais la famille de votre mère ne m'avait pas à la bonne et
je fus contraint d'agir de manière peu recommandable»
Je
pense qu'il avait en partie raison, connaissant la rigueur sociale
d'une partie de la famille, en l’occurrence sa sœur aînée de
vingt ans, Renée, qui l'avait recueilli à la mort de mes
grand-parents, immigrés Ukrainiens. Lili avait alors douze ans et
avait été utilisée comme une «Cendrillon», logeant dans une
chambrette sous les toits avec une domestique. Elle s'occupait entre
autre des deux filles de Renée, mes cousines. Mais ceci est une
autre histoire.
Au
bout des vingts minutes, je le quittai sans effusions, sans
embrassades, sans serrements de mains.
Quelques
semaines plus tard, je reçus un mot de lui m'invitant à passer deux
jours à ses frais pour que nous fassions plus ample connaissance.
Après
tout, pourquoi pas ! Cannes, me voici logé dans un modeste hôtel
dans une ruelle proche du foyer. On ne peut pas dire que ce furent
des heures d'une grande convivialité, Marcel se montra courtois,
aimable, m'expliqua qu'effectivement sa jeunesse ne fut pas
angélique, que les rapports qu'il avait eus avec la famille, frères
et sœur de ma mère, avaient été orageux et que c'est contraint,
forcé, qu'il avait abandonné mère et enfant. Hum !
Je
le laissai dire. Avec le temps, impossible de connaître les tenants
et aboutissants de cette période.
Il avait fait plusieurs boulots dont opérateur de cinéma. Son premier larcin fut quand, groom dans un grand hôtel des Champs-Élysées, une richissime belge lui avait confié des bijoux pour les placer au coffre d'une banque voisine. Le bougre s'était enfui avec le trésor. Le plus cocasse, c'est que, innocemment, ou plutôt bêtement, Marcel, un jour, se promenant sur les Champs-Élysées, passa devant l’hôtel, fut reconnu par le directeur et arrêté.
Il avait fait plusieurs boulots dont opérateur de cinéma. Son premier larcin fut quand, groom dans un grand hôtel des Champs-Élysées, une richissime belge lui avait confié des bijoux pour les placer au coffre d'une banque voisine. Le bougre s'était enfui avec le trésor. Le plus cocasse, c'est que, innocemment, ou plutôt bêtement, Marcel, un jour, se promenant sur les Champs-Élysées, passa devant l’hôtel, fut reconnu par le directeur et arrêté.
Condamné
et écroué, il commit d'autres menus larcins, fut interdit de séjour
sur le territoire français et obligé à demeurer à résidence dans
les Alpes-Maritimes.
Quand
nous nous promenions, il me mettait en garde contre les voleurs, de
bien faire attention à ce que je garde mon sac contre moi, on ne
sait jamais. Oui, bien sûr, il s'y connaissait.
Dans
toute sa résidence, gonflé comme un paon, il annonçait à tous les
étages que j'étais son fils, sans plus d'autres détails,
évidemment.
Il
me confia une photo de lui à l'armée, puis nous nous quittâmes non
pas comme père et fils, ni comme amis, juste comme deux acteurs qui
ont fait un instant connaissance, ont remonté le temps, se sont
remémorés chacun à leur manière un morceau du puzzle.
Moi,
j'avais comblé succinctement une partie de paysage lointain de ma
vie.
Il
m'envoya durant quelques temps des petits mots puis, un jour,
j'appris par la directrice que le Marcel, n'ayant paraît-il jamais
fumé, était décédé d'un cancer de la gorge.
Mauvaise
surprise, je reçus une lettre de l'administration sociale me disant
que monsieur Marcel Turquin, durant de longues années avait été
aux crochets de l'administration, donc, monsieur Michel Turquin, seul
héritier, devait une somme de vingt millions, anciens bien sûr.
Merci Marcel d'avoir trompeté sa paternité à tous les vents.
Quel
coup au plexus ! Après avoir fouillé dans les papiers de mes
parents et trouvé le seul papier officiel, c'est-à-dire le
compte-rendu de l'audience du divorce de ma mère, disant que tous
les torts étaient pour Marcel et qu'il devait une pension qu'il
n'avait jamais versée.
Un
inspecteur des services sociaux de Toulouse m'aida à dénouer les
fils accrocheurs de l'administration, tout d'abord en refusant tout
héritage puis en montrant le papier trouvé, démontrant la
responsabilité de Marcel ne pouvant être demandeur de quoi que ce
soit.
Soulagé, il restait à savoir si j'allais assister à son
enterrement à la fosse commune, appelée «Carré des indigents» ou
«Division à caveaux de terrain commun». Après cinq ans, les corps
sont exhumés et envoyés à l'ossuaire ou incinérés dans le
crématorium le plus proche, cela libère des places pour de nouveaux
défunts. Les cendres sont par la suite dispersées.
Quand
ma mère décéda, une situation particulière m’empêcha, hélas,
d'être à ses côtés durant son dernier souffle (une autre
histoire). Durant son enterrement, le silence réprobateur d'un de
mes oncles fit que je ressentis une grande culpabilité. Je décidai
donc d'aller assister à l’ensevelissement de Marcel.
Le
matin du jour de mon départ, habillé, petite valise faite, je me
penchais pour lacer mes chaussures.
À ce moment-là, mon corps se raidissait, je me retrouvais sur le dos comme un scarabée, pattes en l'air, impossible de bouger, j'étais bloqué, figé.
À ce moment-là, mon corps se raidissait, je me retrouvais sur le dos comme un scarabée, pattes en l'air, impossible de bouger, j'étais bloqué, figé.
Avec
difficulté je me traînais vers le téléphone, appelais la
directrice pour lui dire, qu'elle me croit ou non, que je ne pouvais
bouger et qu'il m'était impossible de venir. Je lui expliquais aussi
que j'avais refusé l'héritage et lui demandais qu'elle prenne
toutes les dispositions, qu'elle garde ses biens, je lui laissais
tous les pouvoirs.
Le
temps a passé. Depuis, j'ai compris le sens profond du phénomène
scarabée. J'ai mis dans un coin de mon cerveau cette parenthèse
paternelle.
Il
me reste quand même quelques zones d'ombres, comme comprendre
comment ma mère a pu succomber sexuellement à ce garçon, quels
étaient ses sentiments. Fut-elle séduite ? Fuyait-elle une emprise
trop lourde de la part de sa sœur ? Mystère. À ma naissance, je
portais le nom de jeune fille de ma mère, puis reconnu Turquin par
un étonnant mariage. Et le divorce deux ans plus tard.
Ma
mère, enfant dans les bras, se réfugia à la campagne chez sa sœur
la plus proche, Louba. C'est là qu'elle connut Armand.
Voilà
pourquoi la notion de père m'est toujours sensible.
Fin
Je découvre tes textes. J'aime beaucoup et tout particulièrement celui-ci. Merci pour le partage !
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