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jeudi 18 octobre 2012

La ronde des gentillesses


Michel Turquin

La ronde des gentillesses

Vous êtes perdus ?
À la fin, un récapitulatif des personnages et une chronologie des vies.

***
Marcelle
Très gentille Marcelle, dévouée, ne manquant à chaque moment de la journée de rendre service : aux cuisines, au salon où trône un téléviseur datant du Moyen Âge, au réfectoire, à la buanderie où le linge de tous les pensionnaires, chaque jour, était débarrassé des petits ennuis de la nuit : fuites en tous genres, pipis, cacas et autres émergences d’orifices fatigués. Il faut dire que, petite fille, elle était Jeannette chez les scouts de France, habituée à faire sa bonne action quotidienne. Son totem était : « l’assistance sociale.» 
Marcelle, quatre-vingt ans, était si gentille, qu’elle s’imaginait que son voisin de chambre, un dénommé Gustave, tout nouveau pensionnaire, quatre-vingt printemps,  quasiment seul, sans jamais une visite, sans jamais une gâterie, bonbons, biscuits ou autres petits plaisirs, était si malheureux, qu’elle décidât de lui mitonner une crème au caramel de derrière les fagots
Religieusement, dans un énorme saladier, un après-midi, vers seize heures, elle lui apporta la friandise, ce qui fit la joie de l’esseulé.  
- Alors… ch’était  bon ? demanda-t-elle. Elle chuintait un peu à cause de ses origines alsaciennes mais, aussi, par l’indélicatesse d’un dentier usé.
- Magnifique ! répondit Gustave, l’estomac tendu comme une baudruche.
- Ché fou en ferai une la semaine prochaine !
-  Merci.
La semaine suivante, Gustave eut droit à son saladier de crème aux œufs. Avec délice, il  savoura la friandise sous l’œil attendri de Marcelle restée près de lui.
- Alors ? 
Déjà l’on sentait un peu moins d’enthousiasme de la part du Gustave.
- Ch’était bon ?
- Oui… oui…  répondit Gustave, sueur au front.
- Che le savais, je vous en ferai une pour demain.
Vous avez bien compris, Marcelle, brave, débordante de générosité sous sa large poitrine, avait déclenché dans son social inconscient un terrible mécanisme. Durant les semaines qui suivirent, le pauvre Gustave, maintenant livide, avalait quotidiennement la moelleuse  purge bienfaitrice sous un regard bienveillant.
À peine trois mois après son arrivée, ce fut l’enterrement de Gustave, toute la maison de retraite était là, chacun se demandant  quelle maladie avait fait  succomber le pauvre homme.
Marcelle avait les larmes aux yeux. « Heureusement qu’elle l’avait un peu gâté avant sa mort, » pensait-elle.
Dans sa chambre, le soir, confortablement installée dans son large fauteuil, Marcelle se demandait à qui, maintenant, elle pourrait faire plaisir. Au petit déjeuner elle se souvint de Juliette, une mamie de soixante-dix ans qu’elle croisait de temps en temps dans le couloir près de la chambre de Gustave.  Elles se retrouvaient au salon pour jouer aux cartes mais, surtout, elles étaient souvent côte à côte sous les mains expertes de la coiffeuse-esthéticienne Sophie en train de se faire bichonner.
En revenant du cimetière, elles avaient partagé leurs chagrins  dans de gros sanglots.  


***
Juliette
Adolescente, elle avait cette fraîcheur rurale, joli teint, rondeurs comme il faut, là où il faut. Au sein d’une modeste ferme de la France profonde, cette beauté, un peu naïve d’une jeune fille de la campagne, sans d’instruction, ne connaissait de la vie ce que son entourage lui avait communiqué.
Quand elle décida de monter à la capitale, Juliette rêvait d’une bonne situation, à trouver un gentil mari, de respirer une autre atmosphère que celle de l’odeur du  fumier, des mares boueuses  dans lesquels  canards et animaux divers venaient y prendre leurs bains.
Hélas, elle dut déchanter rapidement car les utopies de l’esprit se heurtent très souvent à de dures réalités : trouver un travail, manger à sa faim, loyers excessifs, se vêtir à la mode, trouver des amis, de l’aide.
Acculée au désespoir, refusant de retourner dans son village natal, surmontant timidité et pudeur, Juliette, à vingt-huit ans, se trouva un beau matin sur le trottoir d’une ruelle parisienne avec dans son cœur sa candeur première, mais surtout, le besoin urgent de gagner quelques  monnaies.
Son premier  client, Paul, dit Polo, un jeune ouvrier mécanicien de dix-huit ans, n’avait en poche que peu d’argent, ainsi. Généreuse, à part la location de la sordide chambre d’hôtel, Juliette décida de ne pas lui faire payer le montant de la sexuelle transaction. Elle fut heureuse d’avoir donné un peu de chaleur et de bonheur à ce garçon qui, lâchement, en profita pour revenir plusieurs fois, au même tarif bien sûr, c’est-à-dire, rien. Le Polo aimait la photo, n’ayant aucune notion de perversité, elle accepta pour lui faire plaisir de poser complètement nue dans des poses lascives sans se douter un instant que le bougre se rinçait l’œil gratuitement. Dans son malheur, cela la distrayait de poser ainsi. 
Polo communiqua à des copains la bonne affaire. Bientôt, Juliette prodigua  toutes sortes de caresses sans jamais se poser la moindre question. Le temps passant, une véritable filière de coquins sans scrupules profitèrent de cette  providentielle générosité.
Juliette vieillit. Elle n’amassa pas de magot, vivant plus que chichement malgré le temps qui marquait sa chair mais pas son âme. Elle donna toujours de l’amour sans jamais prendre conscience de l’importance de l’argent.
Puis un jour, une quarantaine d’années plus tard, fatiguée, usée, une assistante sociale la fit entrer dans une sérieuse maison de retraite tenue par un brave homme, monsieur Paul Robin qui, paraît-il, s’était élevé dans l’échelle sociale par ses propres moyens. Elle pouvait, enfin, laisser son pauvre corps au repos.
De temps en temps, on ne perd pas comme ça tous les bons réflexes professionnels, elle allait dans la chambre de Gustave, un autre solitaire. Avec tendresse, douceur, elle lui caressait la pauvre chose qui lui servait de verge, un sexe flagada qui ne bougeait pas trop, mais Gustave, rêvassant, affectionnait cette gentillesse. 
Il fallait qu’elle fasse vite car une dénommée Marcelle venait souvent lui apporter une crème caramel aux œufs. Elle s’éclipsait doucement les laissant seuls.
Un jour Gustave passa l’arme à gauche. Elle fut un peu surprise du regard de Marcelle au retour de l’enterrement.
-« Tiens… peut-être une amie ? »


***
Monsieur Paul

Au bar du Kentucky, Paul, dix-huit ans, dit Polo, expliquait à son ami René, dit Néné, comment il avait trouvé le moyen de « baiser à l’œil » ou presque.
- Oui René… juste la chambre.
- C’est pas vrai ?
- Si… et je ne te dis que ça Néné, une super affaire cette môme.
- Mais… comment t’as fait ?
- Rien… comme ça pour déconner, j’ai dit que j’étais fauché, que je n’avais pas fait de câlins depuis plus de deux ans.
- Quoi ? Et Lucienne ?
- Lucienne… Ça compte pas, c’est ma régulière, du reste, je crois que je vais la larguer bientôt, elle me colle un peu trop celle-là.
- T’es gonflé quand même.
Et voilà comment Polo transmit à Néné le filon de la belle Juliette, Néné lui-même refila l’adresse à Jojo, Jojo à Riri… et ainsi de suite. 
Mais ce que personne ne savait, c’est que Polo vivait avec sa mère Marie-Josette, une pauvre fille de l’assistance publique au chômage et sa sœur Marinette, une handicapée paraplégique. Les parents de Polo  avaient vécu un temps  en concubinage, puis, le père, Gustave, un curieux bonhomme renfrogné, les avait abandonnés rapidement, ne supportant pas une entrave familiale.
Un an plus tard, rude destin, ce fut au tour de la mère de prendre la clef des champs.
Par mille stratagèmes, aides et filouteries en tous genres, Polo fit en sorte de faire croire à tout le quartier que ses parents étaient encore à la maison.
Il se trouva ainsi, être le chef de famille. Pour subvenir aux besoins du quotidien, mettre du beurre dans les épinards, il pratiquait quelques menus larcins peu catholiques. Un billet ou deux subtilisés dans la caisse du garage où il travaillait,  un disque ou un livre glissé entre deux revues chez les disquaires , les librairies, puis revendus aux copains. Au supermarché, quand il pesait des légumes, des fruits, après l’impression du ticket, il rajoutait prestement quelques denrées supplémentaires. Parfois il glissait ses « emplettes » sous le siège du fauteuil médical de sa sœur, au courant bien sûr. Parfois l’alarme se déclenchait. Le vigile de service, devant les regards candides, n’osait intervenir. Par contre jamais de drogue ou de produits illicites, ce n’est pas qu’il fût tenté mais sa devise était : « Je veux bien marcher à côté du chemin… mais sûrement pas dans la merde. »
Vous voyez, Polo, comme beaucoup de gens,  possédait un double personnalité, alternant pour sa sœurette arnaques et dévotions. Le dimanche il promenait sa petite  Marinette au jardin public en compagnie d’autres handicapés, souvent bien plus touchés qu’elle. 
Sacré Polo, il faisait le clown sans cesse jusqu’au jour où il se fit prendre par une caméra d’un hypermarché puis embarqué par les gendarmes. Pour le punir, magnanime, un juge lui fit choisir entre une condamnation de deux mois de prison avec sursis ou bien suivre un travail d’intérêt général auprès de personnes âgées. Il choisit le travail puis s’orienta comme éducateur, fit des études, améliorant son instruction. Roublard, il s’immisça dans du « beau monde », une  passerelle qui lui permit de fonder une famille dont la cause principale était  la famine dans le tiers monde en épousant Christine, la fille d’un riche industriel qu’il rencontra lors d’un buffet. Ils « fabriquèrent » un fils, Pierre.
Polo, « Môsieur Paul », finit à cinquante ans comme directeur d’une maison de retraite, heureux grand-père d’une mignonne Ludivine. 

***
Christine

Christine faisait partie de cette catégorie de personnes qui, au premier abord, semble insignifiante. Ni belle, ni laide, ni grande, ni petite, ni blonde, ni brune, ni vraiment intelligente, ni totalement sotte, bref, que des « ninis ». 
 Fille chérie d’un industriel aisé, les prétendants qui tournoyaient autour d’elle n’avaient qu’une obsession : la tentante dot du mariage. Extrêmement pénible alors de trouver un bon, mais surtout, désintéressé mari. Par contre, elle avait cette sérieuse qualité Christine, c’est qu’elle les voyait venir avec leurs gros sabots, mode Gucci. 
 Aussi, quand après moult détours, sinuosités, nombreuses paraboles, les jolis cœurs abordaient le délicat sujet d’une fréquentation, elle répondait en minaudant avec son petit accent du seizième arrondissement :
- Oh ! Vous savez, mon père, en ce moment, est au bord de la faillite, je crois bien que nous allons être obligés de partir à l’étranger pour échapper à la justice.
Désillusion des avides candidats. Débarrassée de ces gêneurs, elle pouvait continuer à attendre la perle rare.
Après quelques études supérieures, l’oisiveté n’étant pas son défaut, encouragée par ses parents, elle s’occupa auprès d’œuvres bienfaitrices, organisant des réceptions dans des hôtels particuliers pour obtenir des fonds humanitaires. 
C’est là, qu’elle connut un certain Paul qui  s’était introduit en douce dans une soirée au profit de la famine en Afrique. Il y avait  le gratin du spectacle, des médias, des hommes politiques, un prêtre ouvrier cheveux longs, catogan, blouson de cuir clouté. Quelques nouvelles starlettes de la chanson à la personnalité indéfinie tournoyaient dans les rutilants salons. 
Tout en parlant du Sahel et des ventres creux, Christine tendit un plateau de petits fours à Paul. Celui-ci, se confondit en remerciements puis, croyant que cette petite jeune femme insignifiante, d’à peine vingt ans, était une employée du traiteur, il entreprit de la draguer. Christine ne démentit pas l’audacieux et accepta de le revoir dès le lendemain. 
La suite heureuse fut accordailles et mariage, ce qui permit à Paul, grâce à une dot inespérée de poursuivre études et stages supplémentaires. Il accéda à une place de directeur dans une importante maison de retraite avec un immense parc. Afin d’en devenir un jour propriétaire, il y plaça, comme on dit, quelques billes pour l’avenir.
Christine, avec condescendance et humanité, agrémenta au fond du parc une jolie cabane pour sa belle-sœur Marinette, l’handicapée. Elle lui fit cadeau pour un anniversaire d’un fauteuil dernier cri avec des pneus antidérapants, puis continua à organiser quelques raouts somptueux afin de soulager la misère du monde.
Ce fut rapidement la naissance d’un petit Pierre qui s’avéra être un garçonnet particulièrement silencieux, limite sournois.  

***
Gustave 

Gustave, les yeux fermés, laissait Juliette accomplir l’énergique bonne action hebdomadaire. Bah ! Depuis longtemps le désir avait quitté son corps et les petits doigts boudinés de Juliette, malgré ses efforts, n’arrivaient pas à faire frémir le vieil oiseau. 
 Avec l’âge, sagesse aidant, il avait laissé la brave vieille effectuer le massage érotique, plus par gentillesse pour elle, que par un profond appétit sexuel. « Cela ne mange pas de pain, » se disait-il, c’était comme la crème aux œufs de Marcelle, quelques douceurs n’ont jamais tué personne… Enfin le croyait-il ! Surtout qu’un soir de fête où Juliette était un peu pompette, il avait eu connaissance de son ancienne éphémère profession. Les joues rouges, elle lui avait révélé son secret. Gustave en avait été ému, depuis il n’avait jamais divulgué à quiconque ce passé divinement sulfureux. 
Lui aussi gardait au fond de son cœur quelques mystères comme celui d’avoir changé de nom quand il avait quitté la Légion Étrangère. Labit, son véritable nom, grâce à la chancellerie de Paris, fut changé en Labat, comme quoi, juste une voyelle peut améliorer les sarcasmes du quotidien. 
Il se souvenait de temps à autre de ce passé de légionnaire où, sous la mitraille, en Algérie, il avait sauvé héroïquement plusieurs fois Roger, un de ses camarades, ajoutant à son prestigieux palmarès, une médaille supplémentaire.
Le souvenir le plus douloureux était celui où, par un matin pluvieux, il avait quitté compagne et enfants, ne pouvant plus supporter la routine familiale. Cette compagne qui sans cesse lui parlait de voyages, d’îles lointaines, de sable chaud, de palmiers. Il n’en pouvait plus, ses moyens plus que modestes le complexaient, alors, pour avoir la paix, il promettait monts et merveilles, sans jamais en réaliser un seul.
Summum de la douleur, il ne pouvait plus accepter cette fillette, Marinette qui, paraplégique, lui rappelait sa propre mère, légère handicapée mentale. 
Toute son enfance fut marquée par les grimaces de cette maman à la limite du ridicule,  les remarques désobligeantes des camarades qui avaient des mamans bien propres à la sortie des classes. Souvent, honteux il faisait semblant de ne pas la voir qui attendait sur le trottoir, vite, il fuyait en douce.
Cela le rongeait, le culpabilisait atrocement, persuadé qu’il était pour sa fille le transmetteur génétique, alors, par ce fameux matin, il s’enfuit.
Quand il revint deux ans plus tard, torturé par le remord, toute la famille, lui dit-on, avait déménagé. Lâchement, il ne fit aucun effort pour poursuivre des recherches.
- Ça te va Gustave ? demanda Juliette de sa voix fluette.
- Oui ma belle, continue.
- Puisque vous me le demandez si gentiment.
Il n’avait jamais rien demandé… Mais bon, le pli était pris ! 
Et puis chaque jour il avait cette Marcelle qui l’obligeait à ingurgiter cette crème caramel aux œufs. Entre Marcelle et Juliette la fatigue l’envahissait de plus en plus. Les doigts boudinés d’un côté, la crème de l’autre, c’était sans fin, trop c’est trop.
Une nuit, le directeur, monsieur Paul, fut averti par l’infirmière de garde qu’un dénommé Gustave avait fait un malaise, il délégua son fils Pierre pour les papiers  d’usages.
On enterra Gustave Labat quelques jours plus tard.
Juliette et Marcelle sur le chemin du cimetière eurent de sincères grosses larmes.

***
Roger

Pauvre Roger, plusieurs fois déjà, il avait tenté de ne plus vivre. Mal intérieur, insuccès auprès des femmes, enfance monotone, échecs professionnels. Désespéré, il s’était spécialisé dans les tentatives de suicide.
La première fois au Ministère de la Santé où il travaillait, croyant avoir affaire à des médicaments, il prit en douce des pilules dans le sac d’une de ses collègues de travail. Une bonne dose d’alcool là-dessus. Il s’allongea sous un bureau. Un : les pilules en question s’avérèrent être des pilules contraceptives ; deux : une femme de ménage consciencieuse, travaillant tardivement, avertit les pompiers et le Samu. Après un lavage d’estomac et un court séjour aux urgences, il reprit  un semblant de goût à la vie.
Sans se démonter, quelques temps après il voulut se pendre. Enfermé dans des toilettes, là où la réserve d’eau se trouve en hauteur, il passa la chaîne autour de son cou, sauta de la cuvette. La chaîne cassa en entraînant la réserve d’eau. Le bloc de fonte lui fit une profonde entaille sur le cuir chevelu, l’eau le noya à moitié. En glissant lourdement à terre, il se cassa la jambe. La canalisation péta,  sous la pression des eaux, l’immeuble, rapidement, ressembla à une énorme piscine. Les pompiers sauvèrent le tout, l’immeuble et Roger.
Contrarié, il décida de s’engager dans la Légion Étrangère avec la ferme détermination de se faire tuer en participant aux opérations les plus dangereuses.
C’est là qu’il rencontra Gustave dit « pot de colle ». Pourquoi ce silencieux l’avait pris en amitié ? Il ne le sut jamais. Par contre, ce qui l’agaçait au plus haut point, c’est qu’à chaque fois qu’il  offrait son torse à la bienveillante faucheuse, le Gustave s’arrangeait toujours pour le tirer, le pousser, le traîner jusqu’à l’infirmerie !  Impossible de mourir tranquillement dans la dignité.
À sa libération, il reçut médailles et félicitations de l’État, toucha une retraite correcte de l’armée plus une petite pension. Sa vision s’étant considérablement diminuée suite à des éclats de grenades au visage, il dut  porter des verres aussi épais que des tessons de bouteilles. Vivant seul, n’ayant pas de gros besoins, il chercha un petit boulot pour s’occuper.
Mais le goût de l’au-delà ne l’avait pas quitté. Une fois, il acheta un livre sulfureux intitulé « Suicide Mode d’Emploi », livre qui, pour des raisons de sécurité, rapidement, fut retiré des stocks et étagères des librairies. Roger fut incapable de comprendre les recettes diaboliques d’autant plus que la plupart des ingrédients devaient être achetés dans des officines où les ordonnances sont obligatoires. Difficiles de faire son inquiétant marché.
Il  accepta une place de gardien de square, puis devint aide-magasinier dans une usine de produits chimiques. On ne sait jamais ! Enfin il se présenta dans une maison de retraite qui recherchait un jardinier. Il fut embauché. Roger content de la place, les engrais, vous savez… ça peut toujours aider !
Un jour, étonnamment, au détour d’une allée, il lui sembla reconnaître son ancien compagnon de combat, le dénommé Gustave. Comme sa vision ressemblait plus à celle d’une taupe  qu’à  celle d’un aigle royal, il eut un doute. Aussi, quand de loin il l’apercevait, il rabaissait son chapeau de paille sur le nez, prenant rapidement un autre chemin.

***
Marinette
Tristement affublée de son handicap, Marinette était  arrivée à sa cinquante-cinquième année. Elle vivait au fond du parc de la maison de retraite dans une petite baraque en bois, aménagée avec tout le confort, il faut l’avouer. C’est sa belle-sœur Christine qui avait tenu à décorer ce coquet  coin isolé, dissimulé par quelques hauts bosquets.
 Prisonnière dans son moderne fauteuil, de sa fenêtre avec de fortes jumelles, elle pouvait suivre les allées et venues de tous les résidents. À part quelques promenades qui la fatiguaient, c’était une de ses occupations préférées. Elle finissait par connaître les habitudes de chacun des pensionnaires. Elle comptabilisait les entrées mais aussi les sorties, quand je dis sorties, cela signifiait plutôt les entrées dans un autre monde. Une ombre, souvent l’intriguait, elle ressemblait à une vieille femme qui, derrière la grille du parc, épiait, elle aussi, l’intérieur de la propriété.
Elle était amèrement perplexe, monsieur Paul, son frère, le directeur de la maison de retraite, n’avait jamais souhaité qu’elle logeât parmi  les autres pensionnaires.
- Il faut vivre ta vie d’une manière indépendante disait-il, là-bas, en montrant l’immense bâtiment. Ce n’est qu’une vaste salle d’attente vers la mort, toi Marinette, tu dois vivre.
« C’est bien beau de vivre,» pensait-elle, mais vivre sur des pneus, même de compétitions, attendre l’aide-soignante, l’aide-ménagère pour faire ses besoins ou se faire laver le derrière comme un nouveau-né, cela n’avait rien de très passionnant. 
Mais du moment que son  gentil frère l’avait décidé ainsi, elle obéissait, elle lui était tellement reconnaissante. Toute sa petite enfance il avait réussi à la nourrir, à l’amuser, surtout quand leur mère Marie-Josette s’était enfuie avec un représentant de commerce venu proposer de somptueuses encyclopédies. Le bellâtre avait promis à cette mère rêveuse, des voyages dans des îles lointaines, enchanteresses. Voyages qui eurent pour les deux exaltés, comme point de chute, un étroit gourbi à La Garenne Colombes.  
Quand elle racontait à Roger le jardinier ses frasques dans les supermarchés, sans citer son frère bien sûr, elle devenait intarissable sur le sujet. Roger ne comprenait pas tout mais il trouvait ces conversations intéressantes. Les éclats de rires enfantins de Marinette enchantaient le vieil homme.
- Comment pouvez-vous vivre comme ça Marinette ? N’avez-vous jamais pensé à vous supprimer ?
Les yeux de Marinette s’embrumaient. C’est vrai elle y avait bien pensé quelquefois, mais comment faire avec son handicap ? Pas facile. Et puis, elle n’aurait jamais osé faire de la peine à son frère, tellement occupé par ses hautes  responsabilités. Il devait mener de front son travail, sa famille, ses placements en bourse, elle-même et, depuis peu, la  fille  de  Pierre, Ludivine. 
La famille... Ah ! Jamais ou presque elle ne venait passer un moment avec elle, heureusement, il y avait ce brave Roger à qui elle pouvait se confier. 
Timidement, le vieux bigleux, un tantinet amoureux, lui tenait la main. Deux mains enlacées qui tremblaient légèrement mais qui survivaient.  

***
Marie-Josette
Il y a des êtres dans la vie qui cumulent non pas tout le poids de la misère du monde, mais au moins quelques bonnes tonnes de détresses. C’est le cas de Marie-Josette experte dans les abandons. Déjà, elle fut trouvée sur les marches de l’orphelinat Saint-Vincent de Paul à Paris. Sa mère, Francine, lingère dans un établissement public fut engrossée par un ouvrier qui abandonna mère et enfant immédiatement. Marie-Josette naquit au milieu des ballots de draps sales sous les applaudissements des rougeaudes copines.
Francine, pour ne pas subir le courroux d’une famille pourtant très modeste, un matin, déposa  le tendre bébé devant la providentielle porte d’un couvent.
Les sœurs bienfaitrices, avec dévouement, élevèrent la petite fille. Un après-midi, durant une promenade dans le beau jardin du Luxembourg, elle rencontra un jeune homme prénommé Gustave. Après quelques semaines de flirts, elle annonça ses fiançailles, quitta les sœurs ravies de cette nouvelle. Le Gustave était solide mais instable, qu’importe, ce qu’elle désirait c’était fonder une famille. Lui ne voulait pas de mariage, ils vécurent à la colle.
Le premier fruit de leurs ébats fut un garçon, Paul, que tout le monde appela Polo, puis ils eurent une fille qui, malheureusement, s’avéra gravement malade. Une anomalie génétique décréta le corps médical.
Tristesse, dans la barque du destin vint s’ajouter le départ par un matin pluvieux de son compagnon Gustave qui délaissa femme et enfants. Sans argent, ils déménagèrent souvent passant d’un logement correct à des H L M bruyants.
Que se passa-t-il quand elle rencontra le beau représentant de commerce qui proposait du rêve à travers des encyclopédies ? Il était attentionné, elle, manquait de tendresse, petit à petit elle se laissa séduire, puis l’ivresse des  rêves aidant, sous des promesses pareilles à des caresses, humant d’avance des voyages lointains, elle perdit la tête abandonnant Polo et Marinette. Les promesses, vite, eurent un goût amer, le mirage se termina dans un taudis de banlieue. Le séducteur gominé l’abandonna pour une proie différente. Marie-Josette n’osa plus revenir de peur d’être considérée comme une moins que rien.
La fibre maternelle en elle faisait comme l’œil de Caïn dans la tombe. Culpabilisée, meurtrie,  avec entêtement, elle fit des recherches durant des années pour retrouver le fruit de ses entrailles. Enfin, après de longs mois, elle finit par les retrouver. Et c’est comme cela, qu’en douce, elle observait ses enfants, évitant d’être remarquée.  Elle suivit le parcours de Polo qui, avec courage, devint directeur de cette maison de retraite. Seulement, étrange, là, dans cette vaste propriété, pas de trace de sa fille Marinette. 
Or, un après-midi qu’elle rôdait près des hautes grilles, elle fit la connaissance d’un jardinier aux verres de lunettes aussi épais que les lentilles du télescope du mont Palomar. Il lui révéla qu’une infirme vivait seule cachée dans une cabane parmi la verdure du parc. 
Elle se  procura des jumelles, se mit en quête d’observer à travers les grilles de la propriété. Soudain son cœur de quatre-vingt printemps faillit s’arrêter de battre : dans la ligne de mire de son objectif branlant, elle venait d’apercevoir Marinette dans son fauteuil : une Marinette intriguée par cette ombre qui depuis quelques jours rôdait. 
L’handicapée, elle aussi, une paire de  jumelles sur le nez,  l’observait. 


***
Ludivine 
Assise nonchalamment sur la margelle de l’imposante fontaine qui trônait au milieu du parc de la maison de retraite de son grand-père, monsieur Paul, Ludivine, quinze ans, jolie comme un bouton de rose, pensait que la vie était injuste. Ravissant minois, intelligente, elle n’arrivait jamais à avoir un petit copain. Sans cesse en compagnie de personnes âgées qui n’avaient d’autres jeux que de se moquer d’elle. Ses camarades de casse en faisaient autant du reste. Ludivine ne pouvait s’échapper, soit pour aller en boîte ou bien passer un week-end chez une amie.
Par les simples statuts de ses parents, Pierre le père, comptable aux médiocres revenus chez un concessionnaire automobile et Sophie, la mère, coiffeuse à domicile mais aussi à mi-temps pour les retraités, elle n’était pas fortunée en argent de poche. 
Par l’intermédiaire de son grand-père, elle effectuait des petits boulots dans l’établissement. Entre la débordante  Marcelle qui voulait s’occuper de tout et sa mère, « relookeuse » en chef, la concurrence  était rude.
Elle s’activait auprès des cuisinières, des infirmières, des aides-soignantes, du jardinier. Souvent elle devait ruser pour devancer sa mère qu’elle trouvait auprès d’un ou d’une pensionnaire. Quand elle entrait brusquement dans une chambre pour apporter médicaments ou nourriture, elle remarquait quelquefois le rouge aux joues d’une d’entre elles, tout comme si elle avait été prise en faute.
Ce qui la turlupinait, c’était le silence abyssal quand elle posait des questions sur la famille. Impossible de faire sortir un mot à ses parents, encore moins à ses grands-parents. 
Ludivine, en petite garce adolescente, se vengeait de ses petites misères en faisant des blagues. Sous son air angélique, comme on lui donnait le bon Dieu sans confession, personne ne se doutait de sa culpabilité.
Avec grâce, sourires, elle apportait à un pensionnaire ses médicaments, après les avoir échangés avec ceux d’un autre. Coliques, maux de têtes, arrêts cardiaques furent souvent enregistrés. En distribuant les repas, elle rajoutait du sel, du poivre, de la moutarde ou quantité d’épices provoquant nausées et vomissements incontrôlés. Un jour, en aidant une femme de ménage, elle mit tellement de cire dans un couloir que deux jambes cassées et un fémur fêlé mirent en émoi tout le personnel.
Sans compter les visites surprises faites à sa tante clouée dans son fauteuil roulant. Elle lui faisait  faire un tour à  une vitesse de rallye automobile puis, discrètement, crevait un de ses super-pneus, la laissant là, prétextant une urgence. Heureusement que Roger le jardinier, entendant les hurlements de Marinette, délaissant sécateur et râteau, venait tel le chevalier Bayard, délivrer la malheureuse victime.
 Le plus amusant fut justement le jour où elle aperçut Roger en train de préparer une gamelle. Il ajoutait curieusement dans sa purée une espèce de poudre jaunâtre qui ressemblait à si méprendre à un désherbant.
- « Tiens, il ne s’embête pas le Roger, il se régale avec des épices exotiques. »  La blague était toute trouvée, Ludivine alla chercher de la purée toute chaude  à la cuisine. Elle  rajouta  en quantité, du sel, du poivre, de l’ail pilé, de la mayonnaise, puis, profitant d’une inattention du jardinier, changea la sienne par celle de Roger. Sourire aux lèvres, elle attendit. Le pauvre Roger faillit s’étrangler, cracha la première cuillerée tellement le goût en était infect, jetant à la poubelle cette répugnante mixture.
Merveilleuse Ludivine, sans le savoir, venait de sauver Roger d’un suicide culinaire. 


***

Sophie 
Sophie, trente-cinq ans, aimait bien son métier de coiffeuse. Cela lui laissait du temps pour des occupations correspondant à d’intimes pulsions féminines : chiner dans les brocantes, farfouiller dans les bacs des grands magasins, soigner son corps qu’elle bichonnait régulièrement dans des instituts de toutes sortes depuis la naissance de sa fille Ludivine.
Comme beaucoup de jeunes adolescentes, elle avait rêvé d’être mannequin. Seulement, ne mesurant qu’un mètre cinquante-huit, les portes d’accès aux podiums ne s’étaient pas ouvertes en grand. Elle avait donc appris la coiffure et en complément, celui d’esthéticienne. Avec ses copines elles hantèrent les discothèques à la recherche d’un prince charmant. Elle en trouva un assez rapidement qui, sacré Pierre, se vanta d’être gestionnaire principal dans une grande entreprise mais qui, en fait, n’était qu’un obscur comptable dans un minable garage. Fiançailles, mariage et dans la foulée, grossesse, accouchement. Le délicat mensonge ne fut révélé qu’après les noces.
Afin de garder près d’elle son poupon, l’angélique Ludivine, elle eut l’idée de coiffer à domicile. Mais l’argent ne rentrait pas trop, elle demanda à son beau-père, monsieur Paul, directeur d’une maison de retraite,  de  s’occuper des belles chevelures, des visages ridés et des mains fatiguées des augustes pensionnaires. Accord fut donné.
Peu de temps après, l’on vit dans les couloirs et le parc se croiser des chevelures à faire vomir le plus kitch des décorateurs d’avant-garde. Parmi les plus flamboyantes, arrivèrent en tête mamie Marcelle la violette et mamie Juliette la mauve, sans compter les ongles aux teintes fluo de collégiennes boutonneuses. Quelques hommes subirent également l’audace infinie de Sophie, particulièrement dans les coupes. L’on vit par exemple, avant son décès, papy Gustave avec une houppette sur le devant, comme Tintin,  complètement rasé sur la nuque. Parfois même l’on se serait cru pendant les fêtes d’Halloween quand les visages se couvraient de rondelles de concombres et de crèmes plus ou moins  variées, faisant hurler de peur les non avertis.
Mais… attention, ce qui intéressait le plus notre Sophie c’était, grâce à sa gentillesse, de se faire doucettement adopter par les résidents. Tombaient ainsi de généreux pourboires, pourboires qui servaient à  payer ses  excentricités : soins, massages, saunas, lingeries fines. 
Elle employait certaines ruses comme n’avoir jamais de monnaie devant un gros billet. Comme les pauvres têtes angoissées confondaient anciens francs, nouveaux francs, sans compter la venue imminente des euros, la chose était aisée. 
Elle leur faisait des courses, comme par exemple acheter régulièrement des œufs, du caramel du sucre pour Marcelle, ou bien des romans à l’eau de rose pour Juliette, devançant sa fille Ludivine, elle s’arrangeait toujours pour augmenter légèrement les prix. Comme les vieux ne quittaient jamais la maison de retraite, ils ne se rendaient pas compte de l’escroquerie.
Son plus beau coup, l’enterrement de Gustave. Pour acheter des fleurs au nom de tous, elle avait fait une quête. Une heure avant la cérémonie, elle subtilisa gerbes  et couronnes sur des tombes voisines. Ce qui lui coûta le plus, ce fut le ruban au nom du défunt, c’est tout.
Elle arriva ainsi à se payer des séances supplémentaires de bronzages, des hammams dans des endroits chics, des masques, des massages à profusion .Elle roucoulât gratis sous les caresses onctueuses de son athlétique  masseur préféré. 

***
Pierre

Déjà à l’école, les camarades l’appelaient « La pierre tombale » tellement il était taciturne. Quand il émergeait de son silence, en général, c’était pour les épater avec un bon mensonge. C’est comme ça qu’il avait séduit la belle Sophie dans une boîte de nuit en lui faisant croire qu’il avait une sacrée situation comme gestionnaire dans une grosse entreprise.
Quand la pauvre Sophie apprit le véritable métier de Pierre, trop tard, c’était elle qui était grosse, le ventre garni d’une petiote Ludivine.
Gamin il avait développé menteries, secrets, sournoiseries. Certes, il obéissait à ses parents mais en cachette, sa passion était de fouiller partout, dans les tiroirs, sous les piles de draps. Il ouvrait le courrier puis, malicieusement, après l’avoir lu, recollait avec habileté les enveloppes. 
Un jour, vers dix ans, sous un document dans le fond d’un tiroir du bureau de son père Paul, il découvrit, stupéfait, quelques photos d’une jolie fille complètement nue. Stupeur ! Son père alors bien jeune à côté d’elle, lui aussi dans la tenue d’Adam, le décor plus que modeste faisait penser à une sordide chambre d’hôtel, ce qui laissait à penser que la fille commerçait de ses charmes. Derrière les photos, une écriture maladroite : « À mon petit Polo .» C’était signé Juliette.
Il garda pour lui cette découverte, mais ce fut l’étincelle qui déclencha sa curiosité.
Du temps ayant passé, monsieur Paul, qui ne s’occupait que rarement des détails d’une gestion compliquée, lui avait confié quelques nouvelles responsabilités. Il aidait durant quelques heures de la semaine le chef comptable de l’établissement, ce qui mettait du beurre dans les épinards dans les revenus du foyer. 
Un autre jour, toujours en fouinant dans les papiers, en comparant dates et  lieux où les résidents avaient vécu et en comparant les lascives photos qu’il gardait précieusement, il s’aperçut avec délectation que mamie  Juliette la mauve, était la belle jeune fille aux charmes dévoilés. Le cœur battant, il entreprit d’autres recherches en se disant qu’une trouvaille n’arrive jamais seule. Il avait raison, la pelote des destins grossissait. Stupéfaction, choc violent, en triant et recoupant les papiers de Gustave qui venait de passer de vie à trépas, il eut la brutale révélation de découvrir que cet homme au nom modifié était son grand-père.
Une autre fois, son attention fut attirée par une facture bizarre, un achat fait pour le chef cuisinier, il y avait différents produits : plusieurs packs de lait, des douzaines d’œufs, du caramel, du sucre vanillé, deux saladiers. 
Le chef, interrogé,  fut très ébahi car jamais au grand jamais il n’avait commandé de tels ingrédients,  surtout dans de telles quantités. 
L’énigme s’éclaircit en reconnaissant l’écriture de sa femme Sophie qui revendait depuis plusieurs mois à Marcelle de quoi confectionner de la crème aux œufs et… bien entendu elle lui facturait des produits payés par la collectivité s’assumant ainsi de copieux bénéfices. Il découvrit également le trafic de  denrées diverses pour d’autres pensionnaires. Le gentil mais lâche Pierre, par amour, ne dévoila rien.  
Comme c’était devenu complètement irréaliste, la pelote prenant du volume, il enquêta doublement, enfilant les costumes du commissaire Navarro et de l’inspecteur Colombo.
Son nouvel instinct de chasseur lui fit rendre  visite à Marinette sa pauvre tante. Il la trouva jumelles sur le nez, celle-ci lui fit remarquer la silhouette derrière les grilles qui l’intriguait depuis quelques temps. 
Une voix intérieure, peut-être celle de Nestor Burma ou d’Indiana Jones, le poussa à agir. Rapidement il fit le tour du parc, coinça la vieille femme qui, après s’être débattue vigoureusement, avoua en pleurs être Marie-Josette la mère de  monsieur Paul et de Marinette, enfants qu’elle avait eus avec son compagnon de jeunesse, un nommé Gustave. 
- Et moi je suis votre petit-fils, hoqueta-t-il dans un sanglot.
Ils allèrent dans un bar voisin, là, sur une banquette poussiéreuse, la malheureuse relata sa longue histoire. Lui, expliqua sa récente découverte au sujet de Gustave, sa mort mystérieuse. Ils se grisèrent  d’anecdotes, de mots, le tout entremêlé de quelques verres de vin blanc.
En sortant du bistrot, tout deux pompettes,  Pierre eut un peu de mal à entraîner Marie-Josette  jusqu’au bureau de Paul qui, magnanime, lui aussi s’écroula en pleurs dans les bras de sa mère. Ils se rendirent immédiatement auprès de Marinette qui resta plus froide. Bien sûr cela la touchait, mais elle n’oubliait quand même pas  le passé, les difficultés après les abandons respectifs de son père puis de sa mère.


*****
Nous n’étions pas loin d’un magnifique dimanche d’été. Monsieur Paul organisa une grande réception où tous les pensionnaires furent conviés.
Devant un auditoire sidéré, presque tout fut dévoilé. Juliette devint cramoisie quand monsieur Paul, ex-Polo, lui montra les photos compromettantes que Pierre lui avait en douce restituées. Il lui promit d’être très attentif durant son séjour et de la gâter un peu plus que les autres.
Le beau masseur, sous les regards langoureux de Sophie, participa lui aussi aux agapes. Roger le jardinier n’en finissait plus de décrire ses exploits de guerres avec son pote, feu Gustave, enterré il y a peu. 
Marcelle cherchait dans sa tête quelle recette elle pourrait inventer pour Juliette.
Enfin satisfaite, Ludivine eut en un seul bloc les réponses à toutes ses abyssales  interrogations, cela ne l’empêcha pas de glisser quelques coussins péteurs sous les grosses fesses de Marcelle et Juliette. Pierre, dit la pierre tombale, pour une fois, n’arrêtait pas de parler de son exploit d’enquêteur.
Marie-Josette, malgré l’euphorie des retrouvailles n’arrivait pas à se consoler intérieurement, elle accepta après de longues palabres l’offre de Paul de résider dans l’établissement. Il lui proposa même de prendre la chambre de Gustave, juste libérée.   
Le soir tomba, un soleil majestueux disparut derrière les grands arbres. Marinette, dans son fauteuil, en attendant le déménagement, regagna sa maisonnette. Roger se soûla au gros rouge et trouva durant un instant la vie belle.
Monsieur Paul, suite aux miraculeuses coïncidences des derniers jours, un tantinet secoué, prit un mois de vacances avec sa femme Christine pour méditer sur les aléas de la vie.
Comme il portait le nom de sa mère Marie-Josette,  c’est-à-dire Robin, il n’avait jamais fait de rapprochement avec Gustave, encore moins avec Juliette, le temps étant un grand transformateur de personnalités.
Généreux, au début il vint régulièrement se recueillir sur la tombe de Gustave Labit dit Labat.
Puis la vie, dans son impertinence, reprit calmement son cours.




F I N

Les Personnages 

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Marcelle : 80 ans, née en 1916
Juliette : 70 ans, née en 1926
Paul : 60 ans, né en 1936, fils de Gustave et Marie-Josette, frère de Marinette, mari de Christine, père de Pierre, grand-père de Ludivine 
Christine : 58 ans, née en 1938, femme de Paul, mère de Pierre, grand-mère de Ludivine 
Gustave : 80 ans, né en 1916, père de Paul et de Marinette, concubin de Marie-Josette, grand-père de Pierre arrière-grand-père de Ludivine
Roger : 70 ans, né en 1926, copain d’armée de Gustave 
Marinette : 55 ans, née en 1941, handicapée, fille de Gustave et Marie-Josette, sœur de Paul 
Marie-Josette : 80 ans, née en 1916, concubine de Gustave et mère de Paul et Marinette, grand-mère de Pierre, arrière-grand-mère de Ludivine 
Ludivine : 15 ans, née en 1981, fille de Pierre et Sophie, petite-fille de Paul et Christine, arrière-petite-fille de Gustave et Marie Josette 
Sophie : 35 ans, née en 1961, femme de Pierre, mère de Ludivine 
Pierre : 36 ans, né en 1960, fils de Paul et Christine, père de Ludivine petit-fils de Gustave et Marie-Josette

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Chronologie : naissances, évènements, rencontres des personnages
1916 : Naissances de Marcelle, Gustave et Marie-Josette 
1926 : Naissances de Juliette et Roger ;
1934 : Rencontre de Gustave 18 ans et de Marie-Josette 18 ans 
1936 : Naissance de Paul 
1938 : Naissance de Christine 
1941 : Naissance de Marinette. Paul a 10 ans 
1949 : Paul, 13 ans. Marinette, 8 ans. Marie-Josette, 33 ans. Gustave, 33 ans, fuit le domicile conjugal                                                                                                                                               
1946 à 1954 : Guerre d’Indochine 
1954 : Gustave 38 ans 
1950 : Paul, 14 ans. Marinette, 9 ans. Juliette, 24 ans. Marie-Josette, 34 ans, s’enfuie avec le représentant                                                                                                          
1954 : Paul, 18 ans, rencontre Juliette, 28 ans 
1956 : Roger, 30 ans, rencontre Gustave, 40 ans, durant la guerre d’Algérie 
1958 : Rencontre de Paul, 22 ans, et de Christine, 20 ans 
1959 : Mariage de Paul et de Christine 
1960 : Naissance de Pierre. Paul a 24 ans. Christine a 21 ans 
1961 : Naissance de Sophie 
1981 : Naissance de Ludivine. Paul a 45 ans. Christine 43 ans. Pierre 21 ans. Sophie 20 ans ; 
2012 : Date de la narration 

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1 commentaire:

  1. Une très belle galerie de portraits émouvants. Figure-toi, mon tiot Michel, que je viens de rentrer de la maison de retraite où est ma belle-mère. Je ne sais s'il s'en passe de "belles", elle ne m'en a rien dit :-)
    GROS BECS

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michel.turquin31@orange.fr