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La rencontre... Désespoirs...

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lundi 5 septembre 2011

Flora



FLORA

Une journée ordinaire, un samedi, début d’après-midi de mai dans une rue étroite de Toulouse, la rue Saint Rome, beaucoup de commerces, du lèche-vitrine, des adolescentes aux rires bruyants qui se poussent du coude quand  des garçons les apostrophent.
Parmi cette foule, Raphaël Malas, un jeune étudiant de vingt-cinq ans, déambule lui aussi à la recherche  d’une bonne affaire car, la période des soldes oblige, c’est le moment de renouveler sa garde-robe.
Issu d’une bonne famille il se prépare à devenir médecin, tout comme son  père et  grand-père.
L’heure avançant, la foule devient plus dense. De curieux spécimens se permettent quelques activités illicites, cela peut aller de certaines familiarités verbales ou tactiles en passant par de subtiles fouilles dans des sacs laissés entrouverts par de trop confiantes personnes.
Tout à coup, Raphaël aperçoit une main qui plonge dans le sac d’une  jeune femme en arrêt devant une vitrine. Il se précipite et promptement attrape par les épaules un jeune garçon qui, sans demander son reste, s’enfuit tout en l’insultant. La scène ne dure que quelques instants.
- Merci Monsieur.
La fille, visiblement émue, tremble.
- Je ne vais pas vous faire un sermon mais ce n’est pas prudent de tenter  des individus en oubliant de fermer votre sac.
- Vous savez, en ce moment, je n’ai pas toute ma tête.
Ils marchent côte à côte, en se dirigeant vers la place Esquirol.
Raphaël observe la fille. Elle est jolie, type scandinave, quelque peu rondelette, dans les vingt ans, de longs cheveux blonds, il est sous le charme. « On dirait un ange ».
- Qu’est-ce qui  vous tourmente ?
- Rien… rien… pour vous remercier, j’aimerai bien vous offrir un café ? Vous voulez ?
- Je suis un peu pressé.
- Allez, j’insiste.
- Bon…mais pas longtemps  alors.                                     
Se frayant un passage parmi la foule, ils arrivent tant bien que mal devant la terrasse du Père Léon, un immense café de la place Esquirol.
- On s’installe  ici ?
- D’accord.
- Je m’appelle Flora et vous?
- Raphaël.
- J’aime bien.
Déjà, la jeune fille, en confiance, semble plus décontractée.
Elle dévisage le garçon.
- Vous savez pourquoi je suis un peu tête-en-l’air ?
- Non
- J’attends un enfant.
- C’est magnifique, voilà une bonne nouvelle
- Oui… mais…
- Que vous voulez dire ? Il…
Avant que Raphaël ne termine sa phrase.
 - Si, si, il y a un père, j’ai un petit ami, Pietro, seulement …
- Seulement ?
- Seulement il est sans papiers. Moi, je suis parti depuis longtemps de chez mes parents avec lesquels je suis fâchée. On se voit quand même, mais très rarement.  Malgré les petits boulots au noir, ben... nous sommes complètement fauchés.
- Et  l’enfant ?
- Pietro ne désirait pas que je le  garde... enfin… il hésitait.
- Et… ?
- Nous nous sommes mis d’accord, nous le garderons.
Malgré cette banale rencontre d’une journée ensoleillée Raphaël sent comme  une crispation au creux de  l’estomac.  Rapidement il se reprend. Sous le charme, il continue à écouter cette jolie jeune femme.
Charitable, Raphaël lui propose de faire quelque chose. Quoi ? Il n’en sait rien.
- Tenez ! Voici un numéro, c’est celui du concierge de ma Cité Universitaire. Par prudence, il n’ose  lui donner celui de son mobile.
- Merci. Pour le moment  nous quand devons téléphoner, nous allons à la cabine à côté de la maison.
- Ce n’est pas très pratique.
- Si,si, les personnes qui veulent nous joindre… oh , il y en a peu… laissent sonner longtemps puis attendent que l’on vienne.
Dans le brouhaha de la terrasse Raphaël et Flora abordent quelques sujets  anodins.
Flora sourit.
- Et si avec Pietro un jour nous vous invitions à dîner ? Vous viendriez ?
- C’est que… allez, oui, pourquoi pas.
- Super, si vous appelez, laissez sonner longtemps, on entendra.
- D’accord
Chacun repart de son côté, Flora monte dans un bus, Raphaël songeur, se dirige vers le métro.
*
Raphaël absorbé par ses cours a oublié cette rencontre inattendue.
Dans sa chambre bien arrangée de la Cité Universitaire, où il y a tout le confort, il travaille dur car le parcours d’un futur médecin ne se fait pas en rêvassant.
Il ne sait pas s’il doit choisir une spécialité tout comme son père ou s’il prendra une autre voie comme celle de la chirurgie … enfin bon, il a le temps.
*
Vingt-trois heures. Il était penché sur un de ses cours lorsqu'on frappa à la porte, le concierge, essoufflé, lui dit :
- Venez, on vous demande en bas  à la cabine.
-Tiens, qui peut m’appeler à cette heure ?
Le concierge, rigolard :
- Hé, m’sieur Raphaël, d’après la voix ça semble être une mignonne.
Il descend rapidement, prend le combiné
- Ouii ?
- C’est moi Flora, vous vous souvenez ?
- Bien sûr, comment allez vous ?
- Ca va, Raphaël comme promis nous vous invitons.
- Ah ! C’est vrai …
- Tenez dimanche prochain, ça vous ferait plaisir ?
- Attendez, juste une seconde, je réfléchis  si je n’ai rien ce jour là….
- Alors ?
- Voyons…voyons… c’est bon.
- Alors à midi, je vous donne l’adresse, vous avez de quoi écrire ?
- Oui
- Chemin Redon à Baziège, c’est à quelques kilomètres. Vous avez une voiture ?
 - Oui.
- Après l’église, vous prendrez la route qui monte en lacet, puis c’est le troisième chemin à gauche. C’est une vielle maison isolée à cinq mètres de la cabine, vous verrez, nous avons mis une pancarte : «  C’est ici ».
- D’accord Flora, à bientôt. Je vous laisse car j’ai mes cours à réviser.
- Je vous embrasse.
Raphaël n’ose pas dire  « moi aussi ».
*
Il fait très chaud sous le soleil du printemps, Raphaël n’a aucune difficulté à trouver le chemin Redon et la maison « C’est ici ».
 Enfin, la maison !  Un grand mot, car la bâtisse sûrement une  petite annexe de ferme abandonnée ressemblant plus à la maison d’un film d’épouvante qu’à celle d’une princesse.
Flora et Pietro sur le seuil attendent.
Autant la jeune femme est ravissante, pleine, lumineuse, avec un ventre qui s’arrondit, autant son compagnon, lui,  est petit, maigre, presque efflanqué, le visage  en lame de couteau et un regard noir d’animal traqué sur le qui-vive.
Raphaël a apporté des fleurs et une bouteille de vin.
Les présentations se font  rapidement puis, autour d’un apéritif, ils papotent de la vie, des difficultés des sans-papiers, du chômage, mais surtout de leur situation financière qui deviendra encore plus difficile à l'arrivée de l’enfant.
 Le repas est simple.
Vers dix-sept heures, Raphaël prend congé et, prenant à part Flora, il lui glisse dans la main un billet de vingt euros.
Ce qui le surprit le plus, c’est la facilité avec laquelle elle accepta la somme sans trop de démonstration.
 Dans les semaines qui suivirent, Flora appela plusieurs fois sous prétexte de boire un verre.
  - Cela me fait du bien  de parler avec vous,  à part Pietro je n’ai personne à qui me confier.
Toujours au même café, patiemment Raphaël l’écoutait. À chaque fois  il lui glissait dans la main quelques billets.
*
Les mois passèrent.
Un soir vers vingt heures, le concierge  vint frapper à sa porte.
- Oui ?
- On vous demande.
Il descend rapidement les étages, prend le combiné.
- Oui, allo ?
- C’est Pietro.
La voix était haletante, l’on devine qu’il s’était précipité.
- Quelque chose  Pietro ?
- Docteur !
- Je ne suis pas encore docteur Pietro.
- Flora ….
-Bien sûr, comment va-t-elle ?
- Mal, il faut que vous veniez maintenant, elle va accoucher et on a sérieusement besoin de vous.
- Pietro c’est impossible, je n’ai pas le droit d’exercer.
- Ca ne fait rien, venez.
- Allez chercher un médecin !
- Je ne peux pas, je risquerais d’être repéré par la police.
Raphaël se trouve dans une situation embarrassante.
- Pietro ?
- Oui ?
- Bon… j’arrive, mais je ne vous promets rien.
- Dépêchez vous.
*
Par cette soirée du mois d’octobre, il fait encore clair sur le chemin de Baziège. Dans la tête de Raphaël, tout se bouscule, l’illégalité de Pietro, une situation qui risque de dégénérer et puis surtout, jamais il n’avait pratiqué le moindre acte médical.
Après tout se dit-il la nature est souvent bonne conseillère dans ce genre d’évènement. Combien de personnes, avant lui,  dans l’isolement avaient trouvé instinctivement les gestes à accomplir.
Il se raisonne,  et prend la résolution de  faire au mieux.
Dans la vieille maison, l’affolement passé, les deux tourtereaux se rassurent l’un l’autre en s’imaginant heureux parents, en train de chouchouter un bambin, garçon ou fille, puis ils évoquent les premiers pas, la première entrée en maternelle. Comme deux gamins ils font défiler le film à venir d’une famille comblée.
Pietro se lève et va fouiller dans un sac à dos.
- Qu’est ce que c’est ?
- Tiens dit-il, tu sais quoi ?
- Non ?
- J’ai emprunté cette petite caméra à un ami.
- C’est qui ?
- T’occupe…
- Mais c’est pourquoi faire ?
- Je vais l’installer dans la chambre où tu vas accoucher, cela nous fera un fameux souvenir.
Flora bat des mains.
- Oui, quelle bonne idée. Allez dépêche toi avant que Raphaël n’arrive. Vite, je ne me sens pas très bien. Elle va s’allonger sur le lit de la chambre.
Pietro, rapidement, avec un escabeau installe tant bien que mal la caméra tout en haut d‘une immense armoire.
Flora souffle, transpire abondamment.
- Mais qu’est-ce qu’il fait, hurle-t-elle. Je sens quelque chose entre mes jambes.
A ce moment, on entend le moteur d’une voiture puis une portière qui claque.
Raphaël se précipite, Pietro met en marche la caméra, range l’escabeau. Flora s’évanouit.
Revenue à elle la jeune femme n’arrive pas à garder son calme, l’enfant semble  coincé.
Raphaël perd le contrôle de la situation, angoissé, il pressent une anomalie.
On lui avait déjà parlé de ces bébés qui restent bloqués car la tête est trop grosse. Cela demande une certaine technique que seuls des spécialistes ayant une grande  expérience peuvent résoudre.
Il faut orienter les épaules d’une certaine façon puis faire une délicate rotation en évitant de toucher aux organes vitaux. Raphaël a beau tenter toutes sortes de gestes, le corps  semble soudé à l’intérieur de la maman.
Flora hurle, Pietro fulmine, tourne en rond.
- Mais faites quelque chose bon dieu !
- Que croyez-vous que je fasse, c’est vous qui m’avez appelé non ?
- Quand même, vous êtes médecin !
- Vous m’emmerdez  Pietro, plutôt que de gueuler  aidez-moi, amenez moi des serviettes chaudes
Tous s’énervent.
Raphaël s’efforce d’aller chercher la tête de l’enfant. En la manipulant, un craquement se fait entendre. L’enfant est mort.
- Vous me l’avez tué ! Hurle Flora.
Raphaël alors gifle la jeune femme.
Pietro, le regard mauvais.
 - Salaud !!!
- Taisez-vous. Il n’y a qu'une chose à faire.
- Quoi !
Je vous emmène à Hôpital de Rangueil.
- Non !
- C’est le seul moyen de sortir cet enfant. Ou vous m’écoutez, ou je vous largue tous les deux, Flora, vous voulez mourir aussi ? Et vous Pietro, si la police met son nez dans l’affaire, je ne donne pas cher de votre séjour en France … à vous de choisir.
Devant ces arguments majeurs, ils cèdent.
Les deux hommes installent Flora dans la voiture de l’étudiant.
Une bonne demi-heure après,  Flora, seule, est admise aux urgences sans que Raphaël ni  Pietro ne se fassent connaître.
-Flora, surtout faites l’innocente. Ce furent les dernières recommandations de Raphaël à la jeune femme.
*
Pendant plusieurs semaines, Raphaël fut en proie à de violents cauchemars. Ce terrible évènement avait perturbé sa tranquille vie d’étudiant. Tout s’était déroulé tellement vite et puis, l’abandon devant les urgences le culpabilisait. Mais que faire d’autre ? Il  se rassurait  connaissant l’efficacité et le professionnalisme des urgentistes .Il devait continuer ses études, dans cette histoire. Il se persuadait de sa non responsabilité ?
Il avait beau se répéter que c’était le destin, un sentiment de honte était venu  s’installer dans son cœur.
Deux mois s’étaient écoulés. Un soir, le concierge lui donna  un numéro à appeler. C’était celui donné par Flora.
D’une cabine extérieure à la citée universitaire, il appela, laissant sonner longtemps.
- Raphaël ?
- Oui ?
- C’est Flora !
Il ressent un serrement dans la poitrine.
- Oui ?
- Je peux vous voir ?
- C’est que…
- Je vous en prie, j’y tiens, ne vous inquiétez pas.
- Bon… et… comment allez vous ?
La voix de Flora semblait calme :
- Ca va, ça va, ça s’est bien passé, j’ai fais l’innocente, même un peu l’idiote comme vous me l’aviez conseillé. En fait, je n'ai pas eu trop de mal  à rester dans le mystère tellement j’étais bouleversée. Mais ne vous inquiétez pas, je n’ai  parlé à personne, ni de vous, ni  de Pietro bien sûr.
- Qu’avez-vous dit ?
- J’ai avancé avoir connu un garçon qui, un beau matin est parti sans me donner de nouvelle. Pour ne pas alerter ma famille, avec qui j’étais en froid, j'ai laissé le temps passer, désirant garder cet enfant malgré tout          
- Et… pour l’accouchement ?
- J’ai dit que dans l’affolement j’avais essayé d’accoucher seule, puis voyant que cela se passait mal, j’ai décidé de venir à l’hôpital en faisant de l’auto-stop.
- Ils vous ont cru ?
- Bien sûr, enfin je l’espère. Une assistante sociale m’a aidée sans trop me poser de questions.
- Quelle histoire !
 - On peut se voir rapidement ?
- Vous savez, j’ai beaucoup de travail…
- J’insiste Raphaël
- Bon… quand ?
- Demain à dix-huit heures, au café, chez Le Père Léon.
- D’accord à demain.
- A demain.
La communication terminée, Raphaël perplexe se pose quelques questions sur le récit de Flora et surtout sur l’empressement de ce rendez-vous.
Il eut encore une fois une nuit très agitée.
*
A l’intérieur du café, Raphaël, le regard fixé sur l’entrée, patiente depuis plus d’une demi-heure.
La porte du café s’ouvre, Flora suivie de Pietro s’installent à la table de Raphaël, étonné de les voir tous les deux.
- Vous prenez quelque chose ?
- Une orange pressée.
- Un café pour moi dit Pietro.
Silence
- Alors ?
Flora se trémousse sur la banquette.
- Voila Raphaël, avec Pietro nous nous sommes dit que …
- Oui ?
 - Comme vous nous avez mis dans une très désagréable situation…       
- Mais qu’est-ce que vous racontez ?
Soudain, le ton se fait plus agressif.
Pietro, le visage mauvais se penche
- Je ne vais pas tourner autour du pot monsieur le médecin, vous êtes responsable de la mort de notre enfant. Flora depuis ce jour, n’arrête pas de faire de mauvais rêves et moi, je trouve que vous vous en êtes bien sorti, donc...
Raphaël se raidit.
- Donc ?
- Avec Flora, nous avons décidé de vous demander un petit dédommagement.
- Quoi ?
- Oh, pas une fortune, juste de quoi nous permettre de vivre tranquillement.
- Mais ça  va pas…
- Comment ça  va pas. Voila, chaque mois, au début, car vous êtes étudiant, vous nous verserez cinq cents euros, c'est tout à fait raisonnable hein ? Après on verra… cela sera suivant l’évolution de votre carrière.
- Vous êtes  comique, vous.
- Je ne suis pas comique, monsieur Raphaël, car cette somme vous nous la verserez toute notre vie.
- Impossible, jamais je ne céderai à un tel chantage.
- Hélas, monsieur Raphaël, vous voulez réussir dans votre profession ?
Raphaël ne répond pas.
- Alors, j’ai en ma possession un petit bijou de film, pas très esthétique certes, mais qui va vous décider à accepter.
- Que voulez-vous insinuer ?
Flora qui jusqu’à présent restait impassible, se penche
- Voila, Pietro désirait garder un souvenir de l’accouchement, il avait installé une caméra en haut du buffet. Dans l’affolement général on l'avait complètement oubliée, c’est en revenant de l’hôpital que nous y avons pensé.
- Ce qui fait, dit Pietro, que dans la mesure où vous n’accepteriez pas… vous me comprenez ?
Raphaël se sent pris dans un monstrueux piège, rapidement, il envisage toutes sortes de solutions mais toutes  se retournent impitoyablement contre lui.
« Pour le moment se dit-il, je vais jouer tranquillement leur jeu ».
- C’est d’accord… mais laissez-moi pour le premier versement le temps de trouver cette somme, ayant fait quelques dépenses et… il me faut convaincre quelqu'un qui puisse me faire un prêt.
Pietro et Flora se concertent.
- Ca va, dit Pietro
- Comment je vous ferai parvenir cette somme ?
- On va y réfléchir.
- Ecoutez, pour que cela soit pratique, j’ai une idée, chaque mois, je viendrai  vous porter cet argent en liquide, cela vous va ?
- Oui, oui, pas mal dit Flora
- Comment saurai-je si vous êtes-là?
- Comme d'habitude, vous sonnez, vous attendez, on répond et si nous sommes là, vous venez.
-Entendu comme ça.
Flora et Pietro se lèvent.
D’un ton doucereux, Flora, le « bel ange blond », se penche.
- Au revoir Raphaël.
Raphaël ne répond pas.
Une fois Flora et Pietro sortis, Raphaël reste longtemps dans le café, son visage jusqu'à présent lumineux prend un aspect grisâtre, son expression se durcit, il serre les poings, « les pourris ».
Il fallait  échafauder un plan.
*
Un mois et demi passa, d'une cabine du centre ville Raphaël appelle Flora pour convenir d'une visite et leur apporter la somme demandée.
Il prend un ton naturel, presque joyeux
- Après tout, c'est vrai, j'ai une grande responsabilité, je vous aime bien Flora, il est quand même normal que je participe à l'amélioration de votre quotidien.
Flora n'en croit pas ses oreilles. Elle gobe le discours.
- Donc à samedi soir prochain vers vingt et une heures. Je ne peux pas avant, je suis de garde.
- Bon ça va.
- Attendez-moi pour dîner nous serons proche de Noël, j'amènerai ce qu'il faut. A samedi.
Le plan se mettait en place.
Dans les jours qui suivirent, avec facilité, il se  procura à l'infirmerie centrale de l'hôpital, une puissante drogue ainsi que des gants de chirurgie.
En TGV, il fit un aller-retour sur Paris dans le but de se procurer un téléphone mobile.
De nombreuses boutiques avaient fleuri dans tous les quartiers, les vendeurs n'étaient pas trop regardants sur les pièces d'identité qui étaient présentées.
Passant devant une galerie de peinture sur les Champs-Élysées, un attroupement attira son attention. C'était un pot organisé par un célèbre peintre. Rapidement, il se mêla aux invités qui, plus attirés par le buffet que par les toiles, se remplissaient d’avantage la panse que les yeux. Raphaël désirant mener à bien son idée, il n’eut aucune difficulté à plonger la main dans la sacoche d'un jeune homme passablement émoustillé  par le champagne abondamment offert et lui chipa ses papiers.
Avec facilité, dans un quartier chaud, choisissant une  boutique douteuse, il se procure un téléphone des plus ordinaires, une carte prépayée, un numéro grâce au permis de conduire en mauvais état du bel inconnu.
 Retour sur Toulouse.
Dans une grande surface, au rayon traiteur, il fit provision de quelques mets succulents, puis du vin, du champagne,  du whisky.
*
Samedi soir, vingt heures, sur la route de Baziège, Raphaël conduit lentement pour ne pas se faire remarquer par une éventuelle patrouille de police.
Il avait copieusement  mis de la boue sur ses plaques minéralogiques
Les phares avaient du mal à percer la brume de ce mois de décembre, son cœur battait au delà du rythme normal, sa décision était prise.
En vue de la maison de Flora et Pietro, il gare sa voiture entre deux bosquets puis ayant enfilé une paire de gants, il finit de maquiller complètement les plaques.
Provisions  dans les bras, la vingtaine de mètres qui le sépare de la maison est  franchie.
Coup de sonnette.
- C'est vous ? Mais on ne vous a pas entendu arriver.
- Oui, j'ai laissé ma voiture à l'entrée de l'impasse car la dernière fois j'ai eu de la difficulté à faire une marche arrière.
Flora ouvre de grands yeux devant tant de victuailles.
- Oh !... toutes ces bonnes choses, allez rentrez vite, il fait froid et comme le chauffage marche mal, inutile de laisser partir la chaleur.
Durant le repas, Raphaël essaye de rester le plus naturel possible, parfois il est même à la limite de celui qui a tous les péchés du monde et que seul un sacrifice pourrait racheter la faute.
Les quelques idées échangées se firent surtout entre Raphaël et Flora, Pietro taciturne était peu loquace
A la fin du repas, copieusement arrosé, Raphaël sort les billets du premier versement.
Pietro avec avidité les fourre dans sa poche.
Raphaël souriant :
- Champagne maintenant.
Flora sort une bouteille qui rapidement est descendue. Elle a les joues rouges et titube légèrement.
Pietro reste impassible.
- J'ai encore soif, dit Raphaël, allez la deuxième bouteille avant que je ne parte.
Pietro  de mauvaise humeur.
- Ca suffit.
- Quel rabat-joie glousse Flora, moi j'en veux. La deuxième bouteille fut débouchée.
Raphaël à ce moment se lève et faisant semblant de ne pas se tenir correctement debout, heurte Pietro qui manque de faire tomber son verre.
Prestement, Raphaël en faisant une pirouette lui prend  des mains, avec dextérité et verse une moitié du liquide de la fiole qu'il tenait dissimulée.  Rapidement, il verse le champagne dans le verre puis le lui rend.
Flora  affalée dans un vieux divan riait.
- Allez Flora, donnez-moi votre verre.
L'autre moitié de la fiole fut versée.
- On trinque.
Les trois protagonistes burent.
Trois minutes plus tard, Pietro et Flora dormaient comme des chérubins.
Raphaël enfile des gants, débarrasse la table d'un couvert qu'il lave puis le range. Avec un chiffon, il passe tout ce qui aurait pu être touché par lui. Il fait le tour des pièces pour chercher la caméra  dissimulée. Après avoir cherché longtemps, il ne trouve rien
Comme nous étions en plein hiver, il remarque avec satisfaction que les fenêtres sont bien calfeutrées ainsi que la porte d'entrée avec un gros boudin en tissu.
Il dépose le portable acheté à Paris sur la table de la cuisine.
Il récupère l'argent dans la poche de Pietro, il fouille minutieusement poches et tiroirs,  trouve un carnet qu'il subtilise et, toujours muni de ses gants, il ouvre les robinets de la cuisinière, laissant échapper abondamment le perfide gaz.
Il verse du whisky dans deux verres, en casse un,  en verse dans la bouche des  dormeurs. Il met du désordre en cassant quelques assiettes.
Vite, il sort, referme solidement mais naturellement la porte. Il court jusqu’à sa voiture,  roule jusqu'au village voisin. A ce moment la neige commence à tomber.  « Ouf, pensa t-il, à une demi-heure près j’aurai laissé des traces de pneus ». D’une cabine, toujours ganté, il attend quelques longues minutes puis compose le numéro du portable acheté à Paris, provoquant un court-circuit.
La maison de Flora et Pietro étant en hauteur, il entend une puissante déflagration .Il voit des flammes s'élever dans la nuit.
Rapidement il fonce vers l'hôpital Purpan.
Dans le silence de la grande bâtisse, au milieu des odeurs d'éther et des gémissements des malades, il rejoint une salle de repos. Elle est vide, les quelques infirmières du service occupées aux  rondes habituelles.
Avant il était passé dans la chambre douze, celle d’un vieillard grabataire. Sur la feuille de soins, il avait noté « vu à vingt et une heures, état inquiétant, à surveiller »
Il s'installe dans un fauteuil et fait semblant de dormir.
Une infirmière passe la tête.
- Eh !... Raphaël que fais-tu là?
- Tu vois,  je me repose.
- Mais tu ne devrais pas être  de garde ce soir ?
- Comment ? Nous ne sommes pas le vingt-quatre.
- Eh bien tu t'es planté mon vieux, nous sommes le vingt-cinq.
- C’est bien moi, je travaille trop, tant pis, je suis là depuis vingt et une heures, je reste, si vous avez besoin de moi n'hésitez pas.
- Sois sans crainte, on n’est jamais de trop un soir de fête.
 Raphaël rajoute.
- Dis donc, j'ai vu le 12 tout à l'heure, tu devrais jeter un œil.
- D’accord, à plus.
Raphaël se forgeait un alibi.
*
Trois années passèrent.
Raphaël avait écarté l’idée d’être chirurgien ou de choisir une spécialité Il s'était installé comme généraliste en reprenant le cabinet d'un de ses confrères foudroyé prématurément d’une crise cardiaque.
Le quartier plutôt bourgeois, drainait une clientèle âgée qui, pour le moindre petit travers n'hésitait pas à le consulter.
Il lui était difficile d'oublier cette terrible soirée de Noël où sa personnalité s'était curieusement transformée.
La journée s'était passée sans trop de cas majeurs, quelques rhumatismes, des renouvellements d'ordonnances pour des traitements de longues durées et comme nous étions en octobre, les premiers vaccins anti-grippes arrivaient. Il se réjouissait de rejoindre une collègue avec laquelle, en secret,  il échafaudait quelques projets d’avenir.
Se préparant à fermer son cabinet, dans la salle d'attente, il aperçoit une personne qui, tête baissée, semble attendre sagement.
- Excusez-moi, je ne vous avais pas vu, vous aviez rendez-vous ?
- Non.
- Venez, je vous en prie.
La personne se lève, passe devant Raphaël et va s'installer sur le siège destiné aux patients.
Raphaël reste interdit quand elle passe devant lui, il constate un visage complètement défiguré, des mains déformées, un premier coup d'œil lui fait  diagnostiquer un corps qui avait dû subir de graves brûlures.
Aussitôt un immense malaise l'envahit.
Il reste quelques instants sans bouger, son cœur s’accélère.
La  personne, dos tourné, commence à parler.
- Eh bien Docteur Raphaël, comment allez-vous ?
C’était bien la voix de Flora, plus grave, car sûrement les cordes vocales avaient dû être touchées par des soins intenses et des nécessaires intubations.
Raphaël ne sait que répondre.
- Vous ne répondez pas ? Normal ça fait un choc de voir un fantôme.
Bêtement, Raphaël a cette phrase :
- C’est…c’est vous Flora ?
- Eh oui, j’espère que vous êtes content de me voir ?
- Oui… je vous croyais…
- Morte c’est ça ? Le ton est plus brutal.
Raphaël respire un coup puis reprenant ses esprits :
- Eh bien, j’avoue que je n’ai pas compris ce qui est arrivé  quand je vous ai quitté ce beau soir de Noël.
- Ah oui ?
- Quand je vous ai quitté, tout était  normal à part que vous et Pietro, aviez tellement bu que je n’ai pas osé vous réveiller.
- Tiens donc.
- Quand j’ai croisé les pompiers, toutes sirènes hurlantes venir vers votre village, j’avoue, je n’ai pas pensé une seconde qu’ils venaient.....
- ... sur les lieux du crime mon cher Raphaël.
- Qu’est-ce que vous racontez ?
- Ce que je raconte, c’est simple, vous avez essayé de nous éliminer Pietro et moi pour ne pas payer ce que nous avions décidé !
- Mais…
- Il n’y a pas de mais, Pietro est décédé, moi je suis restée entre la vie et la mort durant de longues semaines. Par miracle, grâce à la médecine de pointe que l’on procure aux grands brûlés, me voici, Oh ! Pas très jolie mais… en  accentuant sur ces derniers mots… bien vivante
- J’en suis heureux.
- Vous heureux ? Cela m’étonnerait, surtout maintenant !
- Que voulez-vous dire ?
-  C’est simple, je vais être directe.
- Si je peux vous aider…
- Bien sûr que vous allez m’aider et vous savez comment ?
- Non.
Un long silence
- Vous allez m’épouser !
- Quoi ? Vous n’y pensez pas
- Mais bien sûr que j’y pense cher Raphaël, je n’ai plus rien, aucun homme ne voudra d’une pauvre fille au corps et au visage défigurés, alors j’ai décidé, je serai votre femme.
- Impossible, d’abord, je ne vois pas la raison de…
- Raphaël, cher Raphaël, vous vous souvenez ? La cassette avec le film ? L’accouchement ?
Raphaël se sent à nouveau pris au piège.
- Eh bien, mon Pietro en avait fait une copie et cette copie se trouve bien à l’abri dans un lieu que je suis seule à connaître.
- Vous êtes machiavélique Flora !
- Oui c’est vrai, mais pas plus et pas moins que vous. L’originale a bien été détruite dans l’incendie. Vous avez dû bien chercher avant de vous enfuir.
- Vous fantasmez Flora !
- Pensez ce que vous voulez Raphaël mais surtout n’essayez surtout pas de vouloir me supprimer à nouveau. La cassette et une enveloppe contenant certains détails ont été déposées chez une personne sûre. Régulièrement, avec une phrase code, je dois lui téléphoner  pour donner de mes nouvelles. S’il m’arrive quelque chose et si je n’en donne pas  durant un mois, cette personne remettra l’enveloppe et son contenu à la police. Surtout n’essayez pas de me suivre ou de me faire écouter par un détective privé,  immédiatement je lui donnerai l’ordre d’agir. Entendu ?
- Mais vous êtes…
- Votre femme maintenant.
Raphaël jusqu’à présent debout, s’écroule dans son magnifique fauteuil.
Flora, elle, se lève et se dirige vers la sortie.
Avant de sortir, elle se retourne :
- Ah, juste une précision, vous pourrez avoir autant de maîtresses que vous voudrez, vous n’aurez aucune obligation sexuelle vis-à-vis de moi, enfin peut être une ou deux fois de façon a de nouveau attendre un joli bébé. Ce que je veux, c’est- vivre sous le même toit que vous, être pour la société votre femme, une femme parfaitement entretenue. Je serai libre de mes occupations, tout comme vous, à part les mondanités obligatoires dues à votre métier. Voilà, Raphaël, c’est le nouveau contrat. Je vous dis à la semaine prochaine pour organiser le mariage.
Atterré, Raphaël resta longtemps dans le silence.
*
 La cérémonie du mariage se fit dans la plus stricte intimité, le maire, les parents de Raphaël et  deux témoins, camarades d’études.
Durant le modeste pot qui suivi, l’atmosphère fut tendu, personne n’osa demander aux époux ce qui avait motivé cette soudaine union.
Raphaël avait inventé une vague histoire d’amour d’enfance, laissant sceptique son entourage.
Il pleuvait sur la ville rose.
         

Fin

*


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