Au
club du troisième âge
Au
club du troisième âge de la maison de retraite "Leny Escudero" de la rue des Épinettes, monsieur
Firmin était le Don Juan de ces dames. Toujours bien coiffé malgré
une calvitie avancée, bien cravaté sur des chemises blanches usées.
Il déambulait parmi les tasses de thé, les belotes, les jeux de
Scrabble murmurant des mots doux aux longues oreilles
« embouclées » de strass. Les bouches aux dentiers
jaunis riaient de bon cœur. Tout le monde aimait bien monsieur
Firmin car le personnage aux mains tremblotantes faisait revivre à
chacune des vieilles femmes un peu de leur jeunesse. Parfois, il
s’aventurait bien un peu trop laissant glisser une main sur un
derrière fripé ou bien au lieu de faire une bise sur la joue, sa
moustache effleurait les lèvres crevassées. Les doigts noueux lui
donnaient une tape, des petits cris fusaient mais les cœurs encore
palpitants s’accéléraient.
Dans
la salle municipale Escudero de la rue Montplaisir tout semblait
aller comme sur des roulettes, jamais d’allusions à certains
occupants légèrement hors-circuit. Un jour arriva un dénommé
Hermann, environ quatre-vingt-cinq printemps, ancien de la
Légion Étrangère, grande gueule, le verbe haut, la trogne
rubiconde, une jambe raide, souvenir d’un rude combat en Afrique.
-« C’est
tout ce qu’il me reste de raide hurlait-il » en tapant sur
les frêles épaules de monsieur Firmin.
D’emblée,
il essaya d’être le premier coq du club, rudoyant les
charmantes mémères qui n’osaient le rembarrer. Contrairement à
Firmin, aucune délicatesse, pas de mots doux, que des moqueries.
Mais surtout ce qui incommodait l’aréopage c’était
l’affreuse haleine de phoque d’Hermann qui sûrement ne savait
pas faire la différence entre une brosse à dent et un balai
de water-closet.
Terminé
le côté bon enfant, finies les papouilles de Firmin, les caresses
de popotins, les tendresses près des oreilles « embouclées »,
nous avions droit avec l’Hermann à des plaisanteries de corps de
gardes, des histoires de fesses tellement crues que même la Germaine
qui avait tapiné en « lousdé » toute sa vie, en
rougissait.
Entre
deux hymnes guerriers, chantant faux bien sûr, il faisait des
blagues d’un très mauvais goût, comme mettre du sel dans le thé
des minettes, retirer certaines cartes d’un jeu de Tarot, ôter les
lacets des chaussures des messieurs qui s’affalaient au moment de
partir, cacher le papier des toilettes. L’Hermann avait une
panoplie de gags qui n’amusait personne.
Pauvre
Firmin, il dépérissait dans son coin, n’osant plus faire son
numéro de Don Juan, craignant à tout moment une basse vengeance de
son rival.
Il
y avait bien quelques plantureuses téméraires qui le consolaient,
mais le cœur n’y était plus. Grandeur et décadence.
Ce
fut l’imposante Mathilde qui, la première, se rebella. Un après
midi, comme si de rien n’était, elle se retourna vivement. Avec
son antique parapluie qu’elle ne quittait jamais, elle asséna un
violent coup dans les parties dites intimes de l’Hermann. Il était
en train de pousser un air martial à la gloire du désert, ce fut un
bizarre blatèrement baveux de chameau que l’on entendit. Tout le
monde plié en deux, Hermann aussi.
Forte
de son audace, la Mathilde, réunit en douce la Christiane, la Maria,
la Laurette, la Josette. Après une heure de débat, une décision
fut prise, on se serait cru à un état-major secret des
forces armées en 1945.
Le
lendemain, doucereuses, avec moult gâteaux, elles invitèrent
l’Hermann à boire le thé. Sans méfiance, imbu de sa superbe, il
accepta. La
moitié d’un flacon de somnifère subrepticement passa de
la main tremblante de la Mathilde à la tasse du rustre qui, trois
minutes plus tard, ronflait comme le moteur d’un tracteur. Puis, il
faut le dire, avec grande habileté, malgré les rhumatismes des
pauvres doigts tordus, elles le déshabillèrent complètement. Ce
n’était pas un Dieu du stade l’Hermann sorti d’une salle de
culturisme. Sous d’épais buissons de poils blancs, ça
pendouillait de partout. Elles en avaient vu d’autres !
Soufflant,
ahanant, l’épais maquillage coulant le long des joues rosies par
l’effort, elles le traînèrent jusqu’au bureau de la directrice,
l’installèrent dans son immense fauteuil, les jambes bien
écartées, ne rêvez pas mes sœurs, puis pouffant comme des gamines
au sortir du catéchisme, elles allèrent tranquillement, jouer aux
petits chevaux.
Deux minutes passèrent,
hurlements, enquête de la directrice. Comme de virginales rosières
nos poulettes fripées,yeux baissés, firent les innocentes.
Courageux, les mâles, dont Firmin, s’étaient éclipsés.
Le
légionnaire, honteux, décampa comme un lapin de garenne mité.
Monsieur
Firmin reprit ses activités de Don Juan. Les coquines gardèrent le
vieux slip cracra en trophée de celui qui voulait être coq à la
place du coq. Elles l’encadrèrent et le mirent sous verre.
Maintenant,
à chaque nouvel arrivant, cadre en vu, pour préserver leur Firmin,
elles s’empressent de narrer l’histoire de l’Hermann, occasion
d’une belle rigolade, à tel point que, de temps en temps, un
dentier plonge dans une tasse de thé.
M.T
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