Sur
le bord de la route, Laurent s’était assis à côté de la jeune
fille, toujours muette. Sa pensée à nouveau s’était focalisée
sur cette séparation qu’il avait inconsciemment prévue par une
douloureuse intuition.
Il
se souvenait du jour de son mariage, lui vingt-cinq ans, elle
vingt-trois. La fête avec les copains, le rire des enfants, les
copains plus ou moins éméchés, les proches parents aux anges, mais
surtout, il se remémorait cette intense appréhension de la nuit de
noces.
En
effet, Valérie, issue d’une famille profondément catholique
n’avait pas voulu, comme on dit, consommer avant le mariage. Elle
avait eu, jeune fille, quelques gentils flirts sans que cela engage
sa virginité. Avec Laurent, son ami d’enfance, les flirts
s’affichèrent d’une manière plus osée, acceptant de sa part
des caresses très poussées, mais, sans plus.
Situation
baroque dans un siècle où, maintenant la moindre adolescente
connaît presque tout des attitudes secrètes de l’amour. Laurent,
pas croyant pour deux ronds, amoureux transis accepta cette situation
qui, du reste l’arrangeait un peu. Son désir d’avoir comme
épouse Valérie lui avait fait accepter n’importe quoi.
À
part ses parents et un vieux médecin de famille, sa malformation,
depuis tout petit, seuls ses amis, comme Georges et Valérie, la
connaissaient. Avec eux le sujet portait plus à la rigolade qu’au
côté pratique, et Valérie, pourtant intelligente, était loin de
se douter du drame à venir.
Laurent
n’était pas puceau, non, il avait souvent connu des femmes, mais
uniquement des créatures qui faisaient commerce de leurs charmes,
donc faciles, même si hélas, le résultat souvent, n’était pas à
la hauteur de ses intentions.
*
Près
de lui, la jeune fille bougea, ce qui le ramena à la réalité.
La
voiture, sur le bas côté de la route, semblait être comme un gros
scarabée sous le ciel qui commençait à se couvrir. Laurent se dit
qu’il devait rapidement la déplacer, un accident pouvant être
provoqué.
Le
petit village dormait. Une cloche sonna, un chien aboya. Quelques
gouttes tombèrent. Il se leva, apostropha la jeune fille.
-Bon,
maintenant, ça suffit, que faites vous là ? Quel est votre nom ?
La
fille qui s’était calmée, se raidit, ses mains se remirent à
trembler. Sa mâchoire se serra. Laurent s’aperçut qu’il l’avait
rudoyée inutilement. Il prit un ton plus aimable.
-Calmez
vous, je ne vous veux pas de mal.
Il
posa sa main sur sa fine main tremblante.
-Ne
me touchez pas.
C’était
comme un cri, violent, aigu, qui semblait sortir d’un étang de
douleur. Laurent stoppa vivement son geste, gêné et surpris de
cette réaction. Que faire ? Le temps lui, ne s’arrête pas. Il
fallait prendre une décision. En premier, revenir à Toulouse,
rejoindre son appartement du quai de Tounis, appartement donnant sur
la Garonne qu’il avait choisi et acheté spécialement pour
Valérie, la sachant sensible à la qualité unique de
l’environnement.
Représentant
en gros de matériels médicaux auprès d’établissements du
sud-ouest, il lui fallait impérativement mettre de l’ordre dans
ses commandes ainsi que dans différentes paperasses ennuyeuses.
Habitué
aux ruses de la négociation, Laurent opta pour une stratégie que
l’on emploie surtout pour les enfants. Il se leva.
-Au
revoir dit-il .
Puis
il se dirigea vers la voiture, s’installa, mit le contact, laissa
ronronner le moteur un moment, tout en observant dans le rétroviseur
la jeune fille.
Celle
ci porta les mains devant la bouche, regarda à droite, à gauche.
Avec
la rapidité d’une biche apeurée elle se précipita dans la
voiture. Méfiante elle se cala contre la portière. Laurent démarra
rapidement.
*
C’est
le soir, des jardins alentours s’exhalent des senteurs de romarin,
de thym. Le soleil qui intensifie ses rayons mordorés en prévision
de l’été, donne une teinte particulièrement douce à tout ce
qu’il touche. Devant une salade de tomates et un melon frais les
deux amants sirotent un verre de rosé de Provence.
-Georges.
-Oui
?
-Tu
sais, demain, je dois retourner à l’institut.
-Mon
amour, nous avons le temps, cela fait à peine quinze jours que nous
sommes ici, tu n’es pas bien, admire ce paysage, respire toutes ces
bonnes odeurs… tu es lasse de moi ?
-
Que tu es bête, non, seulement je ne peux laisser Roxane toute seule
plus longtemps.
-
Ton associée se débrouille sûrement très bien. En cette saison,
toutes les femmes commencent à se prélasser aux terrasses des cafés
dans le but de se noircir la couenne.
-Comment
tu parles.
-Ta
boutique doit marcher au ralenti.
-Au
contraire, en ce moment, le salon des U.V ne doit pas désemplir, il
faut que je rentre.
-La
belle Roxane doit être désespérée.
-Dis
donc toi, tu trouves Roxane belle ?
-Et
bien... elle a du charme.
-Attention,
Georges, je t’ai à l’œil.
-Madame
est jalouse, j’adore.
Valérie
se lève, prend un morceau de pain, tape la tête de Georges. Ils se
chamaillent, se coursent durant quelques minutes puis s’affalent
sur la pelouse. Valérie se love dans les bras puissants de Georges.
La nuit permet d’entrevoir les nombreux systèmes de l’univers.
-
Dis-moi Valérie, en parlant de Roxane ?
-Oui
?
-Tu
lui as donné les motifs exacts de ta rupture ?
-Tu
la connais, pas vraiment, j’ai juste abordé un problème grave de
santé, sans lui donner de détails, sinon, tout le quartier serait
au courant en un rien de temps
-Elle
n’a pas cherché à en savoir plus ? Étonnant.
-Non,
avec elle, ce qui compte, c’est le présent, et surtout que je sois
heureuse, le reste, elle s’en moque royalement.
-Bon,
je tiendrai ma langue.
-Pourquoi
dis-tu ça ?
-Pour
rien, pour rien.
-Georges
?
-Oui.
-Tu
es toujours d’accord ?
-Quoi
?
-Je
viens habiter chez toi, n’est ce pas ?
-Mais…
oui.
-Ouiiii…
ou vraiment oui ?
-Oui
ma jolie.
-J’ai
un peu peur de la réaction de Laurent, va t-il accepter facilement
de divorcer… et puis…
-Oui?
-...
nous allons demeurer dans la même ville, c’est gênant quand même.
-Valérie,
il y a des centaines de couples qui se séparent sans pour cela se
faire la guerre. Bien sûr, le choc pour lui est brutal, mais n’a
t-il pas une grande part de responsabilité, même si le pauvre n’en
est pas directement fautif.
-C’est
vrai, mais vis à vis de toi, tu ne crains pas sa colère?
Georges
se lève, fait quelques pas, reprend son verre de rosé qu’il
sirote lentement.
-Tu
rigoles ou quoi, Laurent est un faible, tu verras, il acceptera
rapidement les faits, nous ne sommes plus au moyen-âge quand même.
À
son tour Valérie se lève, minaude, elle vient s’appuyer contre
Georges.
-Heureusement,
je t’ai.
La
nuit maintenant recouvre la nature, des sons nouveaux font leur
apparition, des parfums nouveaux s’exhalent.
Les
draps blancs accueillent deux corps qui, rapidement, oubliant le
reste du monde, s’enlacent avec passion.
*
L’oncle
La
première fois que Tonton tout en lui offrant une poupée, lui
caressa tendrement, longuement le genou, Léa avait à peine cinq
ans. Elle l’aimait bien son Tonton, car à chaque fois qu’il
venait à la maison, il lui apportait toujours une petite surprise:
un album à colorier, un bracelet avec des perles aux couleurs vives,
une brioche bien chaude qu’elle dévorait avec une telle rapidité,
qu’elle manquait à chaque fois de s’étouffer.
Tonton
riait, elle aussi. Sa maman qui vivait seule les grondait un peu,
mais finissait par rire également.
Léa
ne connaissait pas son papa, dans son entourage on faisait silence
sur un personnage qui, paraît-il, n’en valait pas la peine. Un
personnage qui avait abandonné mère et enfant, qui, pour de petits
larcins, avait fait de la prison. Enfin... il paraît !
Inconsciemment,
sa petite âme, en quête d’affection s’était donc machinalement
reportée sur un homme extrêmement gentil, souvent présent,
Vladimir, le frère de sa maman.
Quand
on est une fillette on se meut dans un univers où les fées, les
princesses, les princes charmants, les pères Noël sont des
personnages importants. Personnages qui, souvent, se mêlent aux
images des adultes environnant. Tout est pur, aucune malice n’entrave
chaque moment de leur naïve vie.
Parfois
Liliane, sa maman, que la solitude du célibat pesait, s’absentait
le soir pour des raisons mystérieuses, inconnues. Le travail lui
disait-elle, ou bien garder une amie malade qui se trouvait dans le
besoin.
Léa,
malgré son jeune âge, constatait toujours que sa maman passait
beaucoup de temps pour se faire belle. Habituellement, quand Liliane
s’occupait des milles tâches ménagères, la tenue était
terriblement quelconque, parfois un survêtement chiffonné ou une
miteuse robe de chambre.
Ces
soirs là, après tout, Léa était fière que sa maman soit si
jolie, une princesse quoi.
Maman
partie, Tonton venait lui raconter des histoires où des fées, des
ogres, des lutins, se partageaient des territoires immenses avec des
géants, des nains, des loups et des biches. Il y avait des luttes,
des mariages souvent très curieux entre les différents
protagonistes. Léa frissonnait, elle s’endormait avec dans la tête
un carnaval d’images plus étranges les unes que les autres.
Quand
elle se réveillait secouée par un mauvais rêve, quelques heures
plus tard, son Tonton, tout près d’elle, avec amour, la
réchauffait en lui murmurant des paroles apaisantes. Léa se
rendormait. Tonton quittait le lit. Un peu moins élégante, au petit
matin, sa maman rentrait, le côté princesse légèrement écorné.
Tout
le monde prenait le petit déjeuner avec, chacun avec dans la tête
des rêves, des pensées, des souvenirs bien différents.
N’importe
quelle personne censée devant un comportement bizarre , se serait,
de suite, rendue dans un commissariat ou à la gendarmerie, mais avec
un si attentionné oncle, pas de doute.
*
En
l’installant chez lui, Laurent, trop perturbé lui-même par la
fuite de sa femme et surtout ne désirant pas brusquer la jeune
fille, se comporta avec légèreté et imprudence, ne réfléchissant
pas immédiatement aux éventuelles conséquences négatives.
Quand
même, pas totalement innocent, il surveilla la jeune fille, qui,
après s’être faite prié, prit une douche, accepta après
hésitation quelques affaires de Valérie, les siennes ayant une
odeur qui laissait à imaginer une hygiène provisoirement délaissée.
Elle grignota du bout des lèvres quelques biscottes beurrées et un
yaourt.
Ensuite,
elle se coucha. Laurent laissa la porte de sa chambre entrouverte,
prit rapidement un bain. Avant de plonger dans ses paperasses, il
vint auprès de la jeune fille.
-Bonsoir.
Surprise
la jeune fille, d’une voix timide répondit.
-Bonsoir…
merci.
Sentant
une légère détente, Laurent se présenta.
-Je
m’appelle Laurent, à demain, dormez bien mademoiselle ?
-Léa,
moi, c’est Léa.
-Bonsoir
Léa.
Il
s’approcha du lit, se pencha pour lui faire une bise. La jeune Léa
se dressa violemment, avec la rapidité d’un éclair lui griffa le
visage. Secouée de sanglots, nerveusement elle se réfugia sous les
couvertures. Confus, désagréablement surpris, Laurent, se trouva
extrêmement gêné.
-Pardon
Léa, calmez-vous, à demain.
Il
quitta prestement la chambre
–
«Que
vais-je faire?»Pensa- t- il.
La
nuit du sud-ouest enveloppa Toulouse.
*
Vers
deux heures du matin, le cerveau encombré de pensées
contradictoires, incapable de s’endormir, Valérie, sous le ciel
étoilé de la Provence, se souvenait de ses noces.
Les
noces
Tard
dans la nuit, après la longue journée de fête, après avoir pris
une douche bienfaisante, elle s’était mise au lit avec émotion.
Elle
ne s’attendait pas à une bien étrange surprise. Elle connaissait
Laurent depuis tout petit. En grandissant elle l’avait considéré
comme un garçon plein de qualités susceptibles de fonder un foyer,
celui d’une grande famille avec des valeurs chrétiennes comme
celles que lui avait inculquées ses propres parents. Avec le temps,
Laurent avait acquis une certaine maturité, il était sportif,
agréable dans les discussions, instruit.
Une
bonne situation vint couronner le personnage, ce qui ne gâchait
rien. Parfois, durant un repas, une réunion entre amis, avec son ami
Georges, il se vantait d’avoir des conquêtes, ce qui la rendait un
peu jalouse tout en la troublant.
Sans
pour cela offrir sa virginité, elle accepta avant le mariage de
flirter, parfois même en poussant les caresses au delà du
raisonnable. Seul le mariage pouvait ouvrir le sésame du fruit
défendu, on est catholique ou on ne l’est pas. En fait, c’était
déjà pas mal.
Elle
n’avait connu, disons très intimement Laurent, que gamine. Avec
Georges, les trois compères, en vacances, durant des escapades à la
campagne, innocemment nus, ils prenaient des bains dans les lacs et
rivières de la région.
Puis,
d’une manière plus osée, c’est à travers l’étoffe de ses
vêtements, qu’elle avait caressé son fiancé. Une parcelle de
bonheur, pour ainsi dire.
Une
légère appréhension lui faisait battre le cœur, car il lui
tardait de découvrir pour la première fois les joies de l’amour
physique.
Étrangement,
Laurent tardait à la rejoindre au milieu de l’immense lit
conjugal. Quand, enfin, il parut, drapé d’une large serviette de
toilette, elle ressentit une émotion pareille à celle d’une
enfant qui va découvrir le mécanisme d’un jouet nouveau.
Laurent
se glissa dans les draps sans dévoiler sa nudité, ce qui étonna
Valérie qui, prestement, riant comme une gamine, d’un geste
brusque, repoussa le drap.
Elle
resta sidérée devant le spectacle qui s’offrait à ses yeux. Bien
sûr, avec Georges, enfants puis adolescents, ils avaient quelques
fois abordé le cas de Laurent, mais jamais elle n’aurait imaginé
une telle disproportion entre les drôleries, les sarcasmes et la
terrible réalité.
Elle
poussa un gémissement comme un enfant qui découvre enfin le jouet
attendu et c’est un vilain jouet.
La
surprise passée, Laurent calma Valérie.
-Mon
amour, tu sais ce n’est qu’un léger défaut.
Avec
tendresse, elle se colla contre son jeune mari,quelques caresses,
quelques baisers, de vilain, le jouet devint hideux.
-Mais…
que t’arrive t-il Laurent ? Gémit à nouveau Valérie
-C’est
rien, c’est rien… viens.
-Mais…
-Je
t’en prie Valérie, cela ne m’empêche nullement de faire
l’amour.
C’était
presque vrai. Laurent, dans la douleur, après de nombreux efforts,
plusieurs tentatives, réussi à honorer sa jeune épouse.
Valérie,
se mordait les lèvres par le supplice imposé. Ce qu’elle avait
espéré, comme dans un film à l’eau de rose, se transformait en
un horrible scénario.
Elle
eut la pénible et lucide prémonition que son bonheur se terminerait
en une glauque impasse. Elle pleura longuement, ne parla à personne
de ce douloureux incident.
Laurent,
honteux, connaissait depuis longtemps son infirmité. Par lâcheté,
pour posséder la fille qu’il convoitait, il s’était tu.
*
Quai
de Tounis
Le
lendemain matin, Laurent dans la cuisine disposait le petit déjeuner
pendant que Léa se préparait dans la salle de bains.
En
cachette, il avait mis dans le chocolat de Léa un puissant calmant
qui la mis dans un état second.
Afin
d’éviter toute complication judiciaire, entre de longs silence et
des paroles qu’il choisit les plus apaisantes possibles, Laurent
réussit à convaincre Léa de l’accompagner à l’hôpital de
Rangueil. Durant le trajet, Léa ne posa aucune question.
De
par son métier, connaissant un médecin avec qui il était en
affaire, il lui confia Léa en lui demandant, en tant qu’ami de
longue date, d’essayer de savoir d’où elle venait et, surtout,
le pourquoi de son instabilité.
Léa,
sous l’effet des calmants, accepta sans se rebeller de rester en
observation. Dans son regard il y avait comme une soumission à une
situation sur un avenir inéluctable.
Pendant
que le médecin s’occupait de Léa, Laurent appela Valérie, mais
le téléphone portable de sa femme se trouvait toujours sur la
messagerie, tout comme le matin où il avait trouvé l’infâme mot
posé sur la table de la cuisine.
*
Conscience
À
huit ans, Léa commença à se rendre compte que son Tonton chéri,
alias Vladimir, prenait de plus en plus de plaisir à la mettre sur
ses genoux. De même, quand elle sortait de son bain, après
avoir joué avec ses canards flottants, il l’essuyait longuement,
puis la frictionnait minutieusement avec de l’eau de Cologne.
Au
début, elle trouvait plaisantes toutes ses paternelles attentions,
puis instinctivement, sa petite âme en alerte, elle commença à
repousser les genoux, les essuyages et frictions appuyés. Gênée,
elle sentait bien qu’il y avait comme une anomalie.
L’oncle
Vladimir, souvent, insistait, mettant Léa dans une colère froide.
Comme il était grand, fort et puissant, elle subissait plus qu’elle
n’acceptait.
Un
commencement d’incompréhension et de haine germa dans son corps de
fillette.
*
Laurent
rejoignit le centre ville, non sans avoir essayé à nouveau de
téléphoner à Valérie. Il laissa plusieurs messages lui spécifiant
qu’il comprenait la situation et qu’il ne s’opposerait, en
aucun cas, à une séparation à l’amiable.
Bien
entendu, ses propos n’avaient pour objectif, qu’amadouer les deux
traîtres et de préparer une éventuelle vengeance. Mais...
laquelle? Il ne se sentait pas l’âme d’un procédurier ni d’un
placide tueur à gages. Il lui faudrait trouver quelque chose de plus
tortueux, de plus mesquin. Utiliser le point faible du traître.
-Oui…
il faudrait !
Des
têtes se levèrent dans le café où il s’était installé pour
siroter un alcool.
Laurent
avait parlé tout haut, il se tassa sur la banquette, pour se donner
une contenance. Il demanda le journal du jour.
Il
parcouru d’un œil distrait les faits divers les plus farfelus afin
de s’en inspirer, aucun ne parvint à lui donner une idée.
Sa
pensée se brouilla, des images anciennes vinrent se substituer aux
faits divers du journal, le décor du café s’estompa, il ferma les
yeux.
« C’était
il y a une huitaine d’années, Valérie venait, suite à une longue
absence due aux études, de réapparaître dans sa vie. Ce n’était
plus la gamine des jeux farfelus, mais une ravissante jeune femme.
Pensant la conquérir comme épouse et donc pouvoir assumer
correctement sa fonction de mari, il prit rendez-vous avec un médecin
réputé, spécialiste en urologie, afin d’en savoir un peu plus
sur cette infirmité, qui jusqu’à présent, s’était porté plus
sur de gentilles moqueries que sur une sérieuse compréhension
fraternelle. »
Un
rendez-vous fut pris.
*
Chez
le spécialiste
Laurent
remonta son pantalon, remit en ordre chemise et cravate.
-
Asseyez-vous, monsieur Mazer.
Laurent
savait très bien que le diagnostique du spécialiste ne serait pas
des plus réjouissant. Devant un homme de science, la confiance est
nécessaire. Il appréhendait le verdict.
L’homme
en blouse blanche, s’appuya sur son bureau, respira profondément.
-Cher
monsieur, actuellement aucun traitement médical n’est vraiment
efficace, seule la chirurgie permet, et encore... d’améliorer cet
épouvantable handicap.
-La
chirurgie ?
-Oui,
c’est assez spectaculaire, mais c’est le seul moyen d’atténuer
votre souffrance physique, et aussi, j’en conviens, psychologique.
-
Avez-vous une brochure sur ces méthodes d’intervention ?
Le
médecin sortit une brochure assez épaisse, la présenta à Laurent
qui en eut le souffle coupé tellement les croquis et photographies
étaient d’une réalité difficile à supporter.
Il
déglutit.
- C’est horrible docteur .
-De
la chirurgie monsieur Mazer, de la chirurgie.
Laurent
tournait les pages de la brochure.
-On
dirait…
-Oui,
vous ne vous trompez pas, après une intervention, le patient, peut
avoir une modification importante de l’organe.
Un
long silence suivit. Laurent qui pensait pouvoir résoudre facilement
son handicap se trouva bouleversé, décontenancé.
-Que
faire docteur ?
-Je
sais que cette situation touche ce qu’il y a de plus profond dans
la virilité d’un mâle. C’est aliénant pour un homme, comme
vous, si jeune, mais, cher monsieur, il vous appartient, après
réflexion, de prendre seul, une décision. N’oubliez pas que
l’harmonie de votre futur couple en dépend. J’ai cru comprendre
que vous envisagiez de vous marier, n’est ce pas ?
-Oui…
oui...
Laurent
était sonné, faudrait-il tenter l’opération, ne rien dire, il ne
savait plus que penser.
Quelques
instants, le médecin, avec tact, laissa Laurent dans ses pensées.
Laurent
sortit de chez l’urologue complètement abattu, perturbé.
Résonnait encore dans sa tête la phrase du spécialiste:«-De la
chirurgie, monsieur Mazer, de la chirurgie.»
Arrivé
chez lui, il fonça sur son ordinateur, chercha sur Internet des
explications sur les différents aspects de son anomalie. Il
découvrit des découpes anatomiques comme on en voit quelquefois
chez des bouchers. Le front en sueur, proche de la nausée, il
éteignit l’ordinateur.
Jamais,
non jamais, il ne se laisserait charcuter dans son intimité.
*
L’escapade
des amants touchait à sa fin. Ils voulurent avant de partir,
intensifier des moments de passion, de respirer à pleins poumons
l’atmosphère de cette Provence aux parfums subtils, aux multiples
couleurs, aux sons particuliers.
Quand
Georges avait commencé gentiment à faire la cour à Valérie, il
lui donnait rendez-vous dans des jardins, à des terrasses de cafés,
tout comme de bons amis qui, au cours d’une promenade se
rencontrent au hasard des circonstances.
Sans
trop sans rendre compte, Valérie, insidieusement se laissa aller aux
confidences. Comme Georges se prêtait volontiers à ce jeu, Valérie
commença par lui confier de petites anecdotes assez banales, comme
l’irrégularité des attentions sentimentales de Laurent, puis elle
dévoila cette pénible vérité: Laurent ne pouvait plus être un
époux parfait, sa quasi-impossibilité d’assumer l’acte sexuel
que dans une souffrance physique qui, impitoyablement, les éloignait.
Georges,
sournoisement, enregistrait ces intimes confidences, certain qu’il
en profiterait à un moment donné.
Cela
la soulageait de pouvoir parler à un ami, ses parents n’ayant pas
la largesse d’esprit de comprendre sa pitoyable situation.
- J’accepte
que Laurent me caresse afin qu’il puisse trouver un peu de joie,
également pour lui faire plaisir. Pensant trouver aussi un peu
d’émotion, prenant sur moi, je le cajole, le câline. J’espérais
qu’il prenne sérieusement la décision de se faire examiner par un
spécialiste, mais il restait sourd à mes suppliques. Ces déviations
de tendresses, limite maternelles, devenaient insupportables.
-Valérie
arrête, tu me l’as déjà expliqué...
-Rapidement,
malgré ma bonne volonté, frustrée de ne pouvoir m’épanouir, je
ne pouvais plus le toucher sans que cela me procure une immense
répulsion.
-Je
te comprends.
-Alors
nous nous sommes éloignés, écartés physiquement, malgré ses
sollicitations, je fis chambre à part et pleurais toutes les nuits
-Quand
même, c’est un salaud, il aurait pu, avant votre mariage, te
prévenir.
-Me
prévenir... il m’a bien eu, je lui en veux terriblement, ma vie
est gâchée.
-Il
n’a jamais essayé de se soigner, en tous les cas, gamins, nous
n’aurions jamais imaginé que ce nous considérions comme rigolade,
soit si important, je te plains sincèrement, c’est pourtant facile
d‘aller voir un toubib.
-Voir
un médecin ? se soigner ? Rien à faire, il est têtu comme une
bourrique, je ne pense pas qu’il soit allé consulter un
spécialiste.
-C’est
dégueulasse.
Mais
dans l’esprit de Georges, la situation de Valérie l’arrangeait,
lui qui depuis toujours la désirait, lui qui s’était, comme on
dit, s’était fait souffler la mise par son ami Laurent.
Enfin
il put la consoler, une Valérie tourmentée, prête à offrir son
jeune corps frustré à d’autres bras consentants, les siens. Et
c’est ainsi que Georges et Valérie devinrent amants.
Au
début elle se senti gênée de tromper son mari avec son meilleur
ami, mais rapidement Georges lui fit comprendre que l’amour qu’il
portait ne datait pas d’hier et, qu’après tout, Laurent ayant
agi très misérablement, il ne méritait qu’un juste retour des
choses.
Valérie,
convaincue, s’abandonna et trouva dans les bras de Georges, ce dont
elle attendait de Laurent, être une femme comblée.
*
Menaces
Liliane
Péral, la maman de Léa, sortait de plus en plus souvent. Léa,
alors, livrée à elle-même, devait jouer au chat et à la souris
avec son oncle Vladimir qui, plus directement, profitait de la
moindre occasion pour lui tourner autour.
Léa,
devenue une ravissante adolescente de quinze ans suscitait le désir
parmi ses camarades de classe. Mais la convoitise la plus sulfureuse
se nichait dans les entrailles du gentil oncle.
Elle
devait à chaque fois que son oncle l’embrassait, éviter
prestement les lèvres au sale goût de tabac qui venaient se poser
insidieusement sur ses propres lèvres.
Avec
dégoût, elle avait beau tourner le tête, il arrivait toujours à
toucher avec sa langue, cet endroit si sensible que même certaines
prostituées ne veulent pas que l’on touche.
Léa
commença à se rebeller. Un jour, brusquement, elle lui donna une
violente gifle, faisant saigner les horribles lèvres prédatrices.
Vladimir,
sur le coup, voulu à son tour la gifler, mais il se retint, vexé et
décidé à le lui faire payer.
Quelques
quinze jours après, Léa, ayant bien vérifié si toutes les portes
de la maison étaient fermées, avec minutie, prenait sa douche
matinale.
Enduit
d’une crème parfumée, elle met son joli corps sous l’eau
bienfaisante. Un bruit de porte lui fit interrompre le jet pour
prêter l’oreille. Silence. Elle entend comme un bruit de vêtement
qui tombe à terre. À nouveau silence, le cœur battant, elle ouvre
le robinet pour se rincer.
Brusquement,
Vladimir, nu, pénètre avec elle sous le jet la douche.
-Léa,
ma petite Léa, attends, je vais te laver tout comme je le faisais
quand tu étais gamine.
Léa,
tétanisée, ne bougeait plus, sa mémoire, tout à coup, avec
lucidité entrevoyait des images de sa petite enfance, les gestes
précis dont jadis, elle ne comprenait pas la signification
diabolique.
-Voilà,
ma belle, c’est parfait, ne bouge plus.
Vladimir,
désir affiché, se plaque au jeune corps devenu femme et savonne
méthodiquement l’adolescente. Les doigts inquisiteurs, comme de
diaboliques minuscules serpents, mélangés à la mousse du savon,
parcourent le corps de Léa toujours immobile, pétrifiée. Cela
semble durer une éternité. Léa s’évanouit.
Quand
elle se réveille, elle se trouve allongée sur le divan du salon,
enveloppée d’une couverture.
Au-dessus
d’elle, son oncle, le regard noir, la fixe.
-Léa,
si tu parles, je te tue.
Puis
il se redresse et d’un pas lourd sort. Dans la tête de Léa un
craquement se fait. Hébétée, elle prend une éponge en maille de
fer et se frictionne durant de longues minutes. La tendre peau,
écorchée, ensanglantée, prend rapidement la couleur rouge du
commencement de la folie.
Quand
sa mère, le soir trouve Léa dans ce pitoyable état, rapidement,
elle l’hospitalise.
*
Durant
les quelques jours, où, dans un mutisme total, elle resta sous
observation, ni les médecins, ni les psychologues ne purent savoir
les motifs de ces stigmates.
Elle
sortit, réintégra le lycée, mais son comportement devint de plus
en plus incontrôlable. Quand un de ses camarades de classe, pour une
raison ou une autre l’attrapait par le cou, lui touchait la cuisse,
elle hurlait, parfois même se jetait sur le pauvre garçon qui ne
trouvait grâce que dans la fuite.
Les
professeurs, ainsi que l’infirmière de service, furent dans
l’obligation plusieurs fois de renvoyer Léa de l’établissement.
On
ne revit pas l’oncle Vladimir durant plusieurs semaines, ce qui
n’étonna qu’à moitié, la mère de Léa.
L’oncle
était habitué à s’absenter sans prévenir quiconque de son
entourage. «Les affaires», disait-il.
*
Obligée
par Georges à fréquenter des hôtels de passages, Valérie n’était
jamais venu chez lui. Elle découvrit une charmante maison en briques
roses, dite Toulousaine, située au cœur du quartier Saint Cyprien.
Elle s’installa.
Elle
attendit quelques jours pour contacter Laurent en prévision d’un
divorce à l’amiable.
Rendez-vous
fut pris dans le spacieux hall d’accueil d’un luxueux hôtel de
la place Wilson, en plein centre ville.
Ce
premier contact après qu’elle eut quitté le domicile conjugal,
fut assez courtois. Valérie, malgré la certitude que son geste ne
devait pas la culpabiliser, ne se sentait pas très à l’aise,
surtout par rapport à Georges, l’ami d’enfance de Laurent.
Elle
fut étonnée de l’attitude décontractée de Laurent qui, à aucun
moment n’aborda, ni l’ami félon, ni le problème de son
handicap, pourtant facteur de la séparation.
Avec
doigté, il lui posa quelques questions qui le renseignèrent
rapidement sur son nouveau domicile, chez Georges, bien entendu. Il
promit que, dans quelques temps, il ferait le nécessaire pour le
divorce.
-Laisse-moi
le temps de souffler, proposât-il.
Valérie
accepta, toute heureuse de voir la facilité avec laquelle Laurent
prenait avec philosophie ce déchirement.
Elle
le quitta, presque joyeuse, se dirigeât vers des magasins de
vêtements pour s’offrir une babiole quelconque.
De
son côté, Laurent, perfide, se demandait par quelle ruse, il allait
se venger.
*
Prédation
Cela
faisait un moment que Vladimir n’était apparu. Léa après un
court séjour de repos et quelques tranquillisants, commençait à
s’apaiser. Hélas, durant certaines nuits de nombreux cauchemars
venaient hanter son sommeil. Elle se réveillait en sursaut, le front
perlé d’une sueur âcre, ce qui tourmentait sa mère qui, trop
occupée à fréquenter des lieux insolites, ne se doutait pas des
véritables causes des perturbations de sa fille.
Liliane
continuait de s’absenter régulièrement.
Un
soir, presque joyeusement, chantonnant, Léa préparait le dîner,
s’affairant avec livres de recettes et casseroles. Dans la
minuscule cuisine, malgré le désordre, elle arrivait à s’y
retrouver. L’heure avancée laissait prévoir un retard de sa mère.
Un coup d’œil à la pendulette. «Comme d’habitude.. .» pensât-
telles.
Elle
entendit la porte d’entée s’ouvrir.
-C’est
toi maman ?
Pas
de réponse. Inquiète elle réitéra sa demande.
-Maman…
c’est toi ?
Deux
énormes mains, avec violence, enserrèrent sa poitrine, malaxant les
tendres globes arrondis libérés d’un inutile soutien-gorge sous
un léger chemisier. Puis, collé à son dos, elle sentit à la
hauteur de ses reins la fougue de l’homme.
Immédiatement,
l’image de son oncle déchira son esprit. Un éclair fulgura son
cerveau.
Une
odeur de vinasse.
L’homme,
ivre, rugit.
-À
moi, enfin… tu vas être à moi.
Imbibée
d’alcool, c’était bien la triste voix de Vladimir. Comme un
ouragan la violence tourbillonna dans la cuisine, le cerveau de Léa
se vida de toutes réflexions. Avec rage, elle attrapa le premier
couteau qui se trouvait sous la main, se retourna et le planta dans
le ventre de l’agresseur.
Vladimir
hurla, se courba en sang, s’écroula sur le carrelage. Léa
s’enferma dans sa chambre. Une coulée de feu dans la poitrine,
hébétée, elle s’assomma en se tapant la tête contre le mur.
Quand
Liliane arriva, le spectacle qui s’offrait à elle lui permit
d’ouvrir les yeux sur le comportement de son frère et du pourquoi
des perturbations de sa fille.
Le
SAMU emporta Vladimir à l’hôpital. Il mit plusieurs semaines à
se rétablir.
Faible,
Liliane ne porta pas plainte de peur du scandale, mais demanda
instamment à son frère de ne plus approcher Léa sous peine de
représailles judiciaires.
Léa
fut conduite dans une clinique à quelques kilomètres de Toulouse,
où, là, sous les regards bienveillants des médecins, infirmières
et éducateurs spécialisés, elle passa plusieurs mois.
Elle
pouvait aller et venir, la seule condition, c’était de signaler sa
présence sitôt qu’elle s’éloignait du centre.
Souvent
elle sombrait dans une sorte d’absence. Plus rien autour d’elle
n’existait. Le personnel, pourtant attentif, n’arrivait pas à
lui extraire un peu de joie, un peu de vie. Sous sédatifs, durant
des heures, elle dormait, puis comme si de rien n’était, elle se
levait, vaquait à des occupations diverses avec d’autres
pensionnaires. Lucidité relative, perturbations dans ses propos et
absences se succédaient.
C’est
ainsi, qu’un après-midi au moment de la sieste générale, dans
une sorte de dédoublement, la tête dans du coton, elle s’échappa
de la clinique, plongeant le personnel dans un grand désarroi.
Après
avoir erré au milieu d’épais bosquets, de taillis, près d’un
cimetière, elle déboucha sur une route, se planta au milieu de la
chaussée. Elle faillit se faire écraser par un automobiliste qui,
heureusement, freina au dernier moment. L’homme, un prêtre la
persuada de lui faire confiance. Elle finit par monter dans la
voiture.
*
Chez
le spécialiste
Sonnerie
de téléphone.
-Allô...
Laurent Mazer ?
-Oui
?
-C’est
le docteur Subarini.
-Oui…
comment allez vous ?
-Merci,
pas mal, dites-moi, quand nous livrez-vous le scanner que nous vous
avons commandé ?
-Normalement,
d’ici la fin du mois, l’équipe technique viendra vous
l’installer.
-Et
bien ce n’est pas trop tôt, nous commencions à désespérer… au
fait…
-Oui
?
-J’ai
réussi à avoir des renseignements sur la jeune personne que vous
nous avez amenée il y a quelques temps.
-
Alors ?
-Alors,
ce que je vais vous dire doit rester entre nous, vous savez que
normalement certains dossiers doivent rester, disons, confidentiels.
-Bien
sûr, je le sais, je vous promets de rester muet comme une carpe,
nous nous connaissons depuis si longtemps, faites moi confiance…
alors… docteur ?
-C’est
bien parce que c’est vous, monsieur Mazer... cette jeune fille a
été profondément traumatisée dans son enfance par des actes
incestueux graves. C’est un de ses proches parents, en l’occurrence
son oncle, qui en est l’auteur.
-C’est
terrible.
-Le
même oncle a récidivé en tentant de la violer.
-C’est
sordide .
-Comme
vous dites... elle s’est défendue en blessant grièvement l’odieux
personnage. Cela à accentué son état mental, très fragile, il
suffirait d’un rien, sous l’effet d’une émotion du même
genre, d’une attitude qui lui rappelle son oncle pour qu’elle
récidive en passant à l’acte.
-Quel
acte ?
-Celui
de se croire agressée, donc menacée. Cette jeune personne est
potentiellement dangereuse, sous son aspect angélique, elle peut se
transformer soudainement en une redoutable criminelle… Allô ! Allô
! Monsieur Mazer, vous m’entendez ?
Laurent
prenait soudain conscience du risque qu’il avait côtoyé, les
paroles du médecin le troublaient considérablement.
-Oui…
je vous écoute.
-Voilà,
cher monsieur Mazer, vous êtes prévenu. J’espère que vous n’avez
plus de contact avec elle ?
-Non,
non, je vous remercie, et comptez sur moi pour la discrétion.
-De
rien… n’oubliez pas l’installation du scanner.
-Promis,
à bientôt.
-À
bientôt.
Laurent
raccrocha, il se versa un grand verre de whisky. La tête écrasée
au dossier de son fauteuil préféré, il laissa sa pensée divaguer.
Elle
prit des méandres souterrains, jusqu’à ce que vienne poindre une
lueur infernale. C’est que… peut être ?
*
Le
séducteur
Georges
avait une véritable affection pour Valérie, mais, en bon
célibataire égoïste qu’il était, pour le moment, il n’avait
pas imaginé ce désavantage: celui d’avoir en permanence une
personne chez lui.
Malgré
ses nombreuses qualités, il avait un sacré point faible, celui,
depuis toujours, d’aimer excessivement les femmes. Une véritable
drogue. Il avait pris l’habitude d’amener dans sa jolie maison
ses conquêtes afin de satisfaire une sexualité excessive. Beau
gosse, aucune difficulté dans les victoires faciles. Son métier de
responsable d’une grande firme de produits cosmétique pour
coiffure, l’amenait aisément à rencontrer durant les visites aux
franchisés une gente féminine charmée par sa prestance, le milieu
s’y prêtant, la « pêche » était facile. Quand il
sortait en boîte, parfois, sous le regard envieux de ses amis, des
femmes sans pudeur s’enhardissaient en le sollicitant ouvertement.
Il
était déchiré entre plusieurs problèmes: son amour pour Valérie,
celui de lui être fidèle et ses pulsions intérieures qui, parfois,
l’entraînaient à rencontrer des jeunes femmes ultra-libres dans
des clubs échangistes.
Là,
dans ces lieux de débauches consenties, il pouvait laisser libre
cours à cette force infernale purement animale.
Valérie
ne s’en était pas plainte, elle qui découvrait ces plaisirs que
la chrétienté familiale avait bridée jusqu’à son catastrophique
mariage.
Georges
rendait souvent visite à Valérie à son institut. Il se faisait
faire des soins du visage, des épilations de son torse velu, des
massages avec des huiles onctueuses et essences odorantes diverses.
Il ronronnait comme un chat sous les mains expertes de Valérie.
Mais
les extrémités expertes qu’il préférait, c’étaient celles de
l’associée de Valérie, la ronde et pulpeuse Roxane à peine vêtue
sous sa blouse, qui, n’étant pas née de la dernière pluie,
prodiguait à Georges des massages limites érotiques. Limites
périodiquement dépassées d’un commun accord.
Un
avant-bras qui s’égare sur le bas ventre, un effleurement accentué
sur certaines zones sensibles, une nuque doucement enlacée par des
doigts enduits de fluides, crèmes parfumées, le tout, bercé par
une suave musique d’ambiance.
Un
tacite jeu de sensualité s’était installé entre les deux
compères dans le dos de Valérie, qui, naïve, ne se doutait de
rien.
*
Quai
de Tounis
Petit
matin, Laurent se réveille dans la douleur, son sexe tendu à
l’extrême le fait violemment souffrir.
Il
se lève pour prendre une douche glacée afin de faire tomber la
tension abominable de son corps.
Également
tension dans sa tête, car la frustration de n’avoir pu honorer sa
femme, lui donne la désagréable sensation d’être comme un
condamné à mort.
Ce
morceau de chair qui fait qu’un homme est un homme, ce morceau de
chair emblème de la virilité, hélas, pour lui, ce morceau de chair
est sa ruine, son chemin de croix, sa castration sociale.
Qui
incriminer ? Ses parents ? La nature ? Dieu ? Si un Dieu existe ?
Laurent souffre, il est désir, honte, vigueur et impuissance à la
fois.
Il
pense à Georges qu’il a toujours connu entouré de jolies filles,
à ses exploits amoureux, car le drôle, ne se gênait pas, avec
mille détails pour raconter à qui veut bien l’entendre, les
multiples gymnastiques et positions de ses ébats.
-«Le
perfide, voilà maintenant qu’il baise ma femme comme toutes ces
drôlesses avec qui il a couché.»
Comme
des scènes au cinéma qui passent en ralenti, comme dans un
brouillard, Léa soudain lui apparaît. Les recommandations du
médecin résonnent dans sa tête. D’une bouche démesurément
grande, telle une ogresse, elle lui arrache les membres à coup de
dents. Durant un instant, il se croit assister à un de ces films
d’horreur. Des images plus atroces les unes que les autres se
superposent.
Il
frémit.
-«Que
devient-elle ?»
*
Après
sa fuite du centre spécialisé et son passage dans un service
neurologique, Léa réintégra son domicile puis le lycée mais son
comportement posait de plus en plus de problèmes. Les professeurs
avaient du mal à gérer sa constante irascibilité.
Jolie
fille, pourvue d’attraits supérieurs à la moyenne de ses
camarades, de nombreux benêts boutonneux lui tournaient autour ce
qui n’adoucissait pas les relations souvent déconcertantes.
Elle
évitait de se mêler à ces groupes qui trouvaient nourriture dans
des conversations sans fin sur des amours futiles et impossibles,
tels que les vomissent certaines imbéciles émissions télévisées.
Les
garçons, habitués à être considérés comme de perpétuels Don
Juan sur des proies faciles, pensaient, à tort, que Léa devrait
faire partie du lot.
Ils
ne connaissaient pas la profonde déchirure de Léa. Régulièrement,
des visages de garçons enhardis devenaient rapidement lacérés par
des ongles pointus. Des mains baladeuses se trouvaient tordues, des
doigts cassés, des pieds écrasés.
Léa
dut quitter l’établissement scolaire au désespoir de sa mère. La
sachant traumatisée par les exactions de son frère, Liliane
tremblait pour sa fille. Elle appréhendait qu’un jour, celui-ci
récidive. Elle essaya de moins sortir le soir. Seulement, la
tentation des plaisirs de la nuit étant la plus forte, elle continua
ses escapades mystérieuses.
Sur
les conseils d’un psychologue, Léa chercha du travail. «Qu’importe
la branche» avait suggéré le praticien «L’oisiveté n’est pas
un bon facteur d’équilibre.»
Elle
s’essaya comme apprentie dans divers secteurs, mais à chaque fois,
la proximité des hommes la renvoyait dans les cordes de sa
problématique, celle de sa profonde aversion sur toute virilité
affichée et qui franchissait le cercle de son intimité.
De
nombreux échecs, des peurs, le désespoir. Léa déambulait durant
des heures entières dans les rues de Toulouse à se morfondre sur
son avenir.
Sous
les arcades de la place du Capitole, elle crut apercevoir un visage
connu.
*
L’institut
de Valérie et de son associée Roxane ne désemplissait pas.
Situé
sur une placette, près d’une grande artère, au cœur d’un
quartier chic, toutes les femmes élégantes, classe oblige,
passaient entre leurs mains expertes. Gommages, soins du visage,
épilations, massages avec des galets chauds, séances de bronzages
aux U. V, toute une panoplie d’opérations destinées à garder un
corps le plus proche de celui d’une adolescente, adolescence, hélas
perdue. Paraître, toujours paraître plus belle, plus jeune, même
si cela doit coûter cher !
Quelques
hommes fréquentaient l’institut. Georges faisait partie du lot, ce
qui commençait à agacer Valérie, car souvent, en revenant de faire
quelques achats, elle le trouvait sortant de la cabine, suivi de
Roxane.
-Je
t’ai attendu, mais comme je suis pressé, tant pis, j’ai eu
affaire à Roxane, tu es jalouse ?
-Non…
mais…
-En
plus, tu sais bien qu’en matière d’épilation, elle est plus
efficace que toi. Ma chérie, tu es tellement douce, si délicate,
que tu n’oses me faire mal, ce n’est pas vrai ?
-Oui…
-Allez,
ne mélangeons pas travail et amour, tu me fais de la peine
Il
l’enlaçait, Valérie fondait. – « Bon, il est libre de faire
ce qu’il veut», pensait-elle. Tout en pensant, quand même,
que parfois durant ses propos, il se moquait d’elle. Son agacement
fondait. Elle gobait les arguments de son amant.
Elle
préparait son divorce en compagnie d’une de ses amies avocate, ce
qui l’obligeait avec la comptabilité, les achats chez les
grossistes, à s’absenter plus souvent.
Georges
parti, Valérie se tourna vers Roxane.
-Roxane.
-Oui
?
-Nous
devrions penser à embaucher quelqu’un.
-Tu
crois.
-Oui,
par exemple, une apprentie que nous formerions, qui nous soulagerait
pour des soins moins importants.
-C’est
une bonne idée… oui, pourquoi pas.
*
C’est
comme ça, qu’après avoir abordé le sujet du divorce,
qu’incidemment, au détour d’une conversation avec Laurent, sans
s’en rendre compte, Valérie se plaignit du surcroît de travail et
de son intention de former une apprentie. Laurent nota dans le coin
de sa tête ce projet. Une perverse idée traversa son esprit, il
tenait peut-être une infantile vengeance .
*
En
fait, après son échec auprès de Léa, Vladimir n’était pas
parti très loin.
Il
s’était réfugié dans un minable hôtel près de la gare
Matabiau. Sans travail, il vivait terré, ne subsistant que de
mendicité, de petits boulots au noir et du minimum garanti.
Il
revivait sans cesse les scènes, qui depuis l’enfance de Léa, le
mettaient dans une fébrilité incontrôlable.
Jamais,
il n’avait voulu aborder son problème soit avec un médecin,
encore moins avec un psychologue.
Il
craignait depuis sa tendre enfance les femmes. Il se souvenait de
cette mère possessive qui le couvait à l’extrême, le
ridiculisant devant sa sœur et ses camarades de classe. Sa sœur
Liliane, autoritaire, courant après tous les garçons, l’obligeant
avec rudesse à faire des corvées qu’elle ne voulait pas, par
coquetterie, exécuter.
Devant
ses copines hilares, elle le déguisait en poupée, lui mettait du
rouge à lèvres, faisait semblant de lui couper le «kiki» pour
qu’il fasse plus fille, l’obligeait à jouer au papa et à la
maman en simulant un acte qu’il ne comprenait pas mais qui le
dégoûtait fortement.
Sa
singulière grand-mère qui demeurait dans une espèce de masure
moyenâgeuse, perdue dans la montagne, durant les vacances avec lui,
dans un grand baquet d’eau froide, ne se gênait pas, en se lavant,
de se montrer nue, exhibant d’énormes touffes grises luisantes qui
l’horrifiait. Georges avait développé une répulsion maladive de
la gente féminine. Sa seule consolation fut de trouver, sans qu’il
ne s’en rende vraiment compte, plaisir et désir qu’auprès de
ses petits camarades asexués.
«Personne
ne peut me comprendre…» pensait-il en se martelant la tête contre
le mur de sa chambre.
Léa
était la seule enfant qu’il avait approché, car trop lâche, il
avait peur des réactions des proies qu’il aurait bien voulu
aborder, oiseaux fragiles, innocentes, le plus souvent accompagnées
des parents, heureusement .
Parfois,
il tournait autour d’écoles, mais toujours, au dernier moment,
quand il sentait sa poitrine se serrer, son souffle devenir court,
ses mains qui tremblaient, vite il fuyait, pressentant le danger
d’une interpellation violente de la foule.
Avec
Léa, se fut plus facile, car le butin était trop proche pour que la
tentation se transforme en réalisation illicite.
Léa
grandissant, ce fut sa seule référence idéale en matière de
femme. Son instinct primitif le conduisit inexorablement à des actes
incontrôlables.
Faible,
enchaîné dans son enfer, Vladimir ne put juguler cette force
incrustée au creux de ses entrailles.
Son
seul plaisir était de suivre Léa dans tous ses déplacements. La
pauvre enfant ne se doutait pas que le prédateur rôdait, prêt à
récidiver.
*
Un
après midi, Laurent pris la direction du Jardin des Plantes. Ce
magnifique parc, propice à la réflexion, il aimait s’y promener.
Des
amoureux se bécotaient, ignorant les passants, de nombreux enfants
jouaient, riant en tournant sur des manèges, surveillés par des
mamans fières de leurs rejetons. Laurent enviait ces joies.
Être
père, cela maintenant semblait une démarche semée de difficultés.
Le cœur serré, il déambulait.
Entre
deux amères réflexions, il admirait les grands arbres, essences
variées, venues de tous les coins du monde, les parterres aux fleurs
multicolores, joliment aménagés.
Au
détour d’un chemin, il aperçut, assise sur un banc, une jeune
fille, qui, les yeux fermés, semblait dormir, il s’approcha
doucement, reconnut de suite Léa.
Quand
il fut tout près, elle ouvrit les yeux. Surprise par cette présence
inattendue, apeurée, elle eut un brusque mouvement du corps.
-Léa,
c’est moi, Laurent Mazer, tu me reconnais ?
Léa
reprit son calme, le fixa longuement.
-Oui
Laurent, bien sûr, il n’y pas longtemps je vous ai vu place du
Capitole, que faites-vous ici ?
-Quelle
question! Je fais comme toi, je profite du lieu pour réfléchir…
alors toi, que fais-tu ?
-Bah…
-Quoi
bah ? Et les études ?
-Terminées.
-Tu
travailles ?
-Hélas
non, je n’arrive pas à trouver un emploi, je suis trop jeune, pas
assez d’expérience.
Léa
se gardait bien de donner les véritables motifs des échecs
respectifs.
Laurent
évita soigneusement de lui poser des questions sur sa santé.
C’était
le moment rêvé, Laurent avança ses pions sur les cases de
l’échiquier de la vengeance.
-Léa,
aimerais-tu travailler dans un institut de beauté ?
-Oui…
cela me plairait assez…mais…je ne connais personne.
-Je
connais deux jeunes femmes qui possèdent une boutique d’esthétique.
Elles cherchent à former une jeune fille, serais-tu prête à
essayer ?
-Je
ne sais pas...
-Il
faut te décider Léa.
-Bon…
c’est d’accord.
-Écoute-moi,
je vais te donner l’adresse. Tu iras te présenter. Fais exactement
comme je te dis. Surtout ne parle pas de moi, car il faut que cela
soit spontané.
-Comment
je fais ?
-Dis
que tu es entré par hasard, que tu fais toutes les boutiques du
coin, que ce n’est pas le premier job que tu cherches, et que le
métier d’esthéticienne, depuis que tu es toute petite, t’attire.
-Et…
vous croyez que cela va marcher ?
-Léa,
qui ne tente rien n’a rien.
-C’est
vrai, mais… pourquoi ne pas dire que je viens de votre part ? Cela
serait plus simple.
-Écoute
Léa, je t’expliquerai plus tard, j’ai mes raisons, veux-tu
travailler oui ou non ?
-Oui.
-Voilà
l’adresse.
Laurent,
sur un morceau de papier, nota, en déformant son écriture,
l’adresse de l’institut de Valérie et de Roxane.
-Surtout
ne montre pas ce papier, d’accord ?
-Promis.
Il
salua la jeune fille, s’acheta une glace, se dirigea vers la
sortie.
Son
machiavélique plan commençait à se mettre en place.
Léa,
après tout, n’avait rien à perdre, elle accepta, sans trop
réfléchir, d’exécuter le plan de Laurent.
Quelques
jours plus tard, elle était embauchée comme apprentie, avec un
petit salaire à l’appui.
*
Les
premiers pas
Comme
toute apprentie, les débuts de Léa à l’institut furent
difficiles car la jeune fille avait de la difficulté à toucher le
corps des femmes. Il fallait les épiler, appliquer des masques à
l’argile, faire des massages. Tous ces frôlements, contacts, la
mettaient mal à l’aise.
Léa
avait besoin d’apprendre un métier, de gagner de l’argent,
aussi, travail oblige, elle prit sur elle d’accepter de palper ces
peaux parfois disgracieuses.
Elle
se persuada lentement que ces corps étaient comme le sien
Elle
transposa son aversion des hommes en une sorte de thérapie, pensant
que ces êtres qui venaient se faire belles, avaient sûrement un
problème caché, qu’elles étaient malheureuses et que le seul
moyen d’échapper à la réalité de la vie, c’était, durant
quelques moments, par des soins, d'oublier les rudesses du quotidien.
En
quelques semaines, douée elle avait compris et appris les
différentes techniques, ce qui permit à Valérie et à Roxane de
prendre quelques clientes supplémentaires mais également de
s’accorder des moments de répit.
Un
après-midi où Valérie vaquait chez un grossiste pour effectuer des
achats destinés à l’institut, Roxane reçut, en douce, la visite
de Georges.
Enfermés
dans une cabine, les deux compères, à leur habitude, jouaient à
qui sera le plus hypocrite. La finalité des jeux, à présent, étant
dans le silence, la passionnelle fusion des deux corps.
Soudain,
Georges se redressa, inquiet
-Mais
dis donc Roxane, il y a quelqu’un dans la cabine à côté.
-Oui,
nous avons engagé une apprentie.
-
Je ne l’ai pas vue en entrant, tu aurais pu me prévenir.
Tu
sais, elle ne semble pas très expansive, je dirais même, un peu
renfermée, mais ce qui compte, pour nous, c’est qu’elle nous
débarrasse de certaines mémères emmerdantes Elle travaille plutôt
bien, du reste
-Tiens,
tiens, elle est jolie ?
-Georges,
calme-toi, elle très jeune, tu sais.
-Hé…
un joli tendron n’est pas fait pour me déplaire.
-Arrête,
veux-tu, en plus, elle semble assez farouche.
-Cela
m’excite encore plus.
-
Salaud, je ne te suffis pas, ni Valérie ?
-Mais
si ma belle, du piment dans la dégustation n’a jamais fait de mal
à personne, quand même.
-Je
t’en prie, tu m’écœures, laisse-la.
-Mais
oui, je plaisante, ne crains rien.
Dans
l’esprit de Georges, esprit qui se trouve sous la ceinture, sans
avoir vu Léa, déjà, il imaginait les mains de cette jeune fille,
courir sur son corps exhibé, à moitié dénudé.
Quand
il quitta la cabine, en douce, il jeta un regard, par
l’entrebâillement du rideau de séparation.
Léa
qui épilait la moustache d’une mamy ne le vit pas.
-«Pas
mal, pas mal…» Pensa t-il. Il se dirigea vers la sortie.
À
ce moment Léa se pencha pour attraper de la gaze. Malgré la musique
d’ambiance, elle avait vaguement entendu quelques chuchotements
étranges et rires à côté, aussi, fut-elle surprise d’apercevoir
le dos d’un homme quitter prestement l’institut.
Un
frisson la parcourut, elle n’osa pas demander une explication à
Roxane.
*
Laurent
avait donné rendez vous à Valérie dans un des nombreux cafés de
la place Esquirol, juste au coin de l’étroite rue Saint Rome.
Il
pleuvait, l’atmosphère de la salle était plutôt bruyante, chaque
passant voulant se mettre à l’abri devant une tasse de café, un
chocolat chaud.
Le
brouhaha des conversations ne les empêcha pas de se disputer.
-Laurent,
ces papiers, quand les signons-nous ? Tu sais, je croyais que tu
avais compris.
-Ça
va, ça va... un peu de patience, je ne les ai pas encore tous
réunis, mon conseiller est en voyage, je pense que le mois prochain,
nous pourrons en finir
-Le
mois prochain ?Tu te fiches de moi. À chaque fois que nous abordons
le sujet, il y a toujours un prétexte valable.
-
Que veux-tu, c’est comme ça.
-Comme
ça, comme ça. Valérie s’emportait.
-Je
te préviens, Laurent, cela ne va pas se passer comme ça. J’ai
consulté Rachel mon avocate… tu vas voir.
Oui
je vais voir… et… que comptes-tu faire ? M’envoyer ton connard
de Georges qui ne pense qu’à sauter la première paire de fesses
offerte qui passe ?
Parfois,
par honte, touché sur un point sensible, l’être le mieux éduqué,
peut avoir une explosion incontrôlée de vulgarité. Elle cria.
-En
tout les cas, ce n’est pas avec ton engin de clown que tu peux
rivaliser avec lui.
Laurent,
poignardé au centre de sa virilité, gifla violemment Valérie.
Valérie,
la joue en feue, repoussa sa chaise qui tomba, les tasses de café
valsèrent, elle lui jeta un verre d’eau à la figure et sortit en
pleurant.
Les
consommateurs, une minute figés dans le silence, reprirent en
souriant leurs conversations. Le garçon essuya la table, releva la
chaise, ramassa les débris des tasses brisées.
Laurent,
sans se presser sortit. La pluie avait redoublée d’intensité.
-«
Attends, surprise, surprise, Valérie»
*
Georges,
obstiné, n’avait pas dit son dernier mot, il faisait partie de ces
hommes à l’appétit sexuel extrêmement puissant, prenant souvent
plaisir à jouir de l’incontrôlable.
Son
désir se trouvait décuplé par le troublant désir de la conquête,
plus particulièrement des conquêtes difficiles. Un véritable
chasseur.
Avec
cette petite esthéticienne débutante, tout était réuni, elle
était jolie, désirable, jeune, farouche d’après Roxane. Le
parfait animal à mettre dans ses filets.
Enfin,
l’interdit exigé par sa partenaire des jeux érotiques, la
tromperie envers Valérie, faisait un mélange détonateur qui
n’était pas pour lui déplaire.
Tel
un guerrier, en bon stratège, il prépara son coup. En premier, il
se planqua, observa les allées et venues de Roxane et Valérie afin
de savoir à quels moments, la jeune fille se trouvait seule.
Treize
heures semblait le moment idéal. Valérie partait chez les
grossistes, Roxane, quand il n’y avait pas trop de monde, durant
trois-quarts d’heure, prenait une pause casse-croûte au café du
coin.
Le
jour «J» était venu. D’une proche cabine téléphonique, faisant
semblant de téléphoner, il s’assura que tous les éléments
étaient réunis, pour que la jeune fille soit seule.
Il
raccrocha rapidement. Tel le chasseur sachant que son gibier se
trouve à portée de mains, il se précipita dans la boutique.
*
Depuis
quelques temps, Vladimir ne faisait pas qu’épier Léa. Il s’était
muni d’un vieil appareil photographique avec un téléobjectif
puissant.
Ne
pouvant l’approcher, le seul moyen de tenir dans ses bras l’amour
incestueux de sa vie, était de faire agrandir les clichés qu’il
avait volés. On voyait, sur des papiers glacés, Léa dans tous ses
parcours quotidiens, chaque mouvement, chaque expression étaient
volés par la pellicule.
Le
soir, il accrochait les photos sur tous les murs de sa chambre, il
s’allongeait, les contemplait amoureusement. Puis il en choisissait
une, souvent un agrandissement, la posait à côté de lui,
l’embrassait.
Tout
en caressant la photo, d’une étrange voix, il lui murmurait des
mots doux.
-Ma
petite Léa, je t’aime, je t’aime, Léa, pourquoi ne veux tu pas
de moi ?
Petit
à petit, une espèce d’aliénation morbide emmurait tous ses sens.
Il
sombrait dans des sommeils peuplés de cauchemars où Léa lui
apparaissait tantôt guerrière, castratrice, tantôt séductrice,
amante, soumise.
Il
se réveillait en sueur, certain d’avoir vécu réellement ces
délires insensés.
*
Ce
qui avait intrigué Vladimir, dans son safari pervers, c’est qu’à
plusieurs reprises, il avait vu un homme qui épiait Léa. Il l’avait
vu simuler un appel téléphonique d’une proche cabine. Par
instinct, il le photographia sans que l’individu ne s'en rende
compte.
Une
fois, en le croisant, il faillit l’aborder, par faiblesse, il
continua son chemin.
*
Treize
heures, Léa, dans un étroit cagibi, avait sorti sa gamelle.
Rêveuse, elle picorait une espèce de ratatouille préparée le
matin par sa mère.
Nous
étions en automne, la paisible chaleur du sud-ouest enveloppait
d’une douce torpeur chaque partie de son corps.
Elle
se rappela soudain qu’une cliente arriverait dans trois-quarts
d’heure pour une épilation des jambes.
Elle
se leva, comme la cire de la veille n’était pas très présentable,
elle prit un pot de cire neuf, le posa sur le petit réchaud
électrique. Elle monta le thermostat afin que le produit soit à
bonne température pour la manipulation.
Au
moment où elle tournait le bouton du thermostat, elle entendit
tousser derrière elle. Surprise, elle aperçut un homme, sourire aux
lèvres qui, tranquillement, la dévisageait.
Sidérée,
elle eut un léger mouvement de recul, tournant le bouton à son
maximum.
-Je
viens pour un massage lymphatique.
-Mais…
-Mais
quoi, vous n’en faites pas ?
-Si…
-Alors,
allons-y, voulez-vous.
-Mais…
je ne soigne que les femmes, gémit Léa.
-Quoi
? Je vais me plaindre à vos patronnes, vous savez.
Léa
tanguait sur ses jambes, ses lèvres se desséchèrent, son cœur
commença à battre très fort.
Georges,
car c’était bien lui, connaissant parfaitement les lieux, s’était
déjà installé. Nu, il attendait.
Cela
l’excitait de savoir cette jeune fille dans l’embarras. « En
un tour de main l’affaire sera conclue, et puis tant pis si elle
résiste, l’aventure n’en sera que plus exaltante», pensa
t-il.
-Alors
? Vous venez mademoiselle ?
Léa
était perdue, elle voulait garder sa place, en même temps elle
craignait cette curieuse et inattendue intrusion.
Du
plomb dans les jambes, des étincelles dans la tête, un goût acide
sur la langue, elle entra dans la cabine. La vue de l’individu
s’exhibant en tenue d’Adam l’affola.
Elle
prit une serviette, la jeta sur le bas ventre de l’homme. Georges
repoussa la serviette.
-Mademoiselle,
habituellement, vos patronnes sont beaucoup plus professionnelles,
jamais elles ne seraient autorisées une telle faute.
Léa
vit l’homme dans le paroxysme de son animal appétit. Elle recula
dans le coin de la cabine. Hypnotisée, son corps devenait pierre.
Georges,
avec rudesse, attrapa les mains de Léa, avec force il les posa sur
son torse.
-
Ça vient, oui ou non ?
Une
odeur de brûlé se répandait dans l’institut. Le thermostat
poussé a fond avait liquéfié dangereusement la cire à l’extrême.
Léa
voulut sortir pour échapper à ce spectacle insupportable qui venait
de raviver son esprit en lui rappelant de tristes souvenirs.
L’odeur
de la cire brûlante lui fit prendre conscience qu’il fallait
stopper la plaque électrique, elle voulut se ruer vers le local des
épilations.
Georges
s’était relevé. Elle glissa le long du mur faisant tomber fioles
et pots de crème. Georges s’interposa de toute sa masse, obstruant
la sortie.
Léa
le repoussa et courut vers le local des épilations. Georges la
suivit, pénétra avec elle, il l’attrapa, la poussa contre la
table de soins. La prenant par les épaules, il essaya de la
maintenir contre lui.
Hurlant,
elle attrapa le pot de cire, lui versa le liquide brûlant sur le
visage et le haut du corps.
Georges
à son tour hurla comme une bête, se recroquevilla de douleur.
Égarée
par la peur, Léa, pot en main, frappa violemment à plusieurs
reprises le crâne de l’individu.
Cire
et sang mélangés faisaient un curieux spectacle.
Léa,
tétanisée, à ce moment vit entrer un autre homme qu’elle
reconnut immédiatement.
C’était
son oncle, le terrible Vladimir, que faisait-il là ?
*
Vladimir
aux aguets, avait entendu les hurlements de Léa et de celui d’un
homme dont il se doutait que c’était celui qui, lui aussi épiait
Léa. Il l’avait vu entrer dans la boutique, cela l’avait
intrigué.
Quand
il vit le corps nu, sans vie, de l’homme il comprit la situation.
Dans un étonnant élan de compassion, il s’approcha sans intention
malfaisante.
-Léa…
qu’as-tu fait ?
Léa
avait une autre vision du triste personnage, secouée de
tremblements, la nausée au ventre, prête à vomir, pour échapper à
son bourreau d’enfance, elle laissa tomber le pot de cire taché de
sang. Angoissée, elle se précipita dans le minuscule réduit qui
servait de réfectoire.
Inconscient,
Vladimir la suivit, mal lui en prit, car à peine devant Léa, il
reçut un terrible coup de fourchette en pleine gorge.
Fou
de douleur, il voulut s’enfuir, mais Léa, animal en furie, le
rattrapa avant la sortie. Elle lui planta à nouveau la fourchette
dans le dos. Il s’affala sur le carrelage. Elle continua à le
frapper avec tout ce qui lui tombait entre les mains.
Vladimir
ne bougeait presque plus. Dans un râle, il eut le temps, avant de
tomber dans le coma de murmurer.
- Léa… je… t’aime... je... je voulais t’aider.
Léa
s’évanouit, elle n’entendit pas ce dément cri d’amour.
*
Quand
Roxane et Valérie entrèrent dans leur boutique, elles trouvèrent
une cliente au bord de la crise d’hystérie. Léa, à terre
divaguait, son esprit semblait avoir quitté sa jolie frimousse.
On
l’amena d’urgence à l’hôpital pour y être soignée.
Pour
les deux jeunes femmes, la présence de Georges, rapidement trouva
une explication.
La
police, en perquisitionnant chez Vladimir, trouva des centaines de
photos de Léa mais aussi curieusement de l’homme agressé
mortellement, Georges.
Avec
de nombreuses séquelles handicapantes, Vladimir survécut à ses
blessures.
Sa
sœur, Liliane enfin porta plainte.
*
Midi,
un soleil pâle passe à travers les branches d’immenses arbres
centenaires.
Autour
du caveau de famille du cimetière Repas, derrière l’avenue de
Muret, très peu de monde, les parents de Georges, deux vieilles
personnes complètement désorientées, trois belles jeunes femmes,
un cousin éloigné, quelques relations de travail. Valérie et
Roxane, malgré tout, avaient tenue à l’accompagner dans sa
dernière demeure.
Un
homme en gabardine, appuyé nonchalamment sur la croix d’une
antique tombe délabrée examinait tout ce beau monde.
Il
avait repéré un homme qui, caché derrière un arbre, se tenait à
bonne distance.
Cet
homme, Laurent, savourait, au moment de la mise au tombeau du
traître, la délicieuse satisfaction d’une vengeance réussie.
La
courte cérémonie terminée, Valérie et Roxane se promenèrent au
milieu de tombes rococo tellement anciennes, qu’elles s’arrêtaient,
curieuses, pour les admirer.
Pragmatiques,
elles avaient mis à plat la situation, pour mieux comprendre les
tenants et aboutissants.
-Comment
as- tu pu me faire ça Roxane ?
-Je
crois que nous pouvons être quittes, tu ne trouves pas ? De ton
côté, ma cocotte, avec Laurent, tu n’as pas été très sport.
-Peut
être, mais j’avais mes raisons.
-Ah
! Oui… lesquelles ?
N’ayant
jamais dévoilé les raisons profondes de ses actes, Valérie,
ennuyée par la question, détourna prestement la conversation.
-Ça
va Roxane... maintenant que ce cochon de Georges est sous terre, nous
n’allons pas nous disputer.
-Tu
as raison.
-Nous
avons l’institut à faire tourner.
Solidarité
féminine, intérêts en commun, Valérie et Roxane se dirigèrent
vers la sortie, saluèrent un vieux gardien indifférent, plongé
dans des mots croisés.
L’homme
à la gabardine téléphona de son mobile.
Laurent
rejoignit sa voiture.
*
La
Garonne, sous le soleil du mois d’octobre, coule tranquillement. Le
pont Neuf, par sa masse, semble couver le vieux fleuve. Le long du
magnifique quai de Tounis, près de l’appartement de Laurent,
Valérie et Laurent marchent.
-C’est
horrible ce qui est arrivé à Georges, soupire Valérie.
-Ma
pauvre, il fallait bien s’en douter, nous connaissons l’animal,
toujours en chasse, cela devait bien arriver un jour ou l’autre.
-Quand
même…
Valérie
mangeait nerveusement ses beaux ongles vernis. Ce drame l’avait
bouleversée terriblement. Elle avait rapidement téléphoné à
Laurent. Paradoxalement, c’était la seule personne qui, malgré
qu’elle l’ait abandonné, pouvait être son confident.
-Si
j’avais pu prévoir que cette petite était déséquilibrée,
franchement, je ne l’aurais pas embauchée.
-Valérie,
on ne peut pas tout prévoir dans la vie.
-«
C’est dommage » pensa Valérie, traumatisée par son triste
mariage.
-«
Sauf certaines représailles » pensa Laurent.
Il
savourait en silence le désarroi de Valérie.
Elle
se tourne vers Laurent.
-Et
les papiers du divorce Laurent ?
-Ça
vient, ça vient... décidément tu ne perds pas le nord toi. Au
fait, je vais t’annoncer une nouvelle.
Valérie
sur le qui-vive.
-Quoi
?
-J’ai
téléphoné à un spécialiste. J’ai décidé de me faire opérer.
-C’est
vrai.
-Oui,
il paraît qu’actuellement, grâce a un savoir-faire des
chirurgiens et aux qualités des opérations, il y a de bons
résultats… et…
-Et...
-Qui
sait, peut être, pourrais-je te reconquérir ?
Valérie
ne répondit pas. Elle était tourmentée par l’avenir de
l’institut. Le drame dans le microcosme féminin toulousain avait
provoqué trouble, stupeur et désarroi. Il fallait se préparer aux
mille questions de la clientèle.
Valérie
se dirigea vers le centre ville. Laurent rentre chez lui.
*
À
l’hôtel de police, l’homme à la gabardine relisait l’article
La
triste affaire de l’institut.
C’est
ainsi que «La Dépêche du Midi» avait titré la «Une» du
reportage.
On
pouvait y trouver «L’agression sauvage sur deux hommes par une
jeune apprentie désaxée.»
«L’un
était mort.»
«La
plainte contre son frère d’une mère effondrée de chagrin.»
«Un
futur procès, celui d’un oncle bizarre, handicapé à vie, et de
ses relations douteuses sur sa nièce.»
«L’étrange
attitude de l’homme décédé pris en photos par le personnage
incestueux.»
«Quelques
lignes sur une clinique spécialisée pour des jeunes en mal de
vivre.»
Un
enchevêtrement de situations qui faisait saliver des lecteurs avides
de sensations malsaines.
*
Une
enquête minutieuse fut déclenchée.
*
Le
soir tombe, dans l’appartement de Laurent, lumière tamisée, l’air
est frais.
Laurent
qui somnolait, se lève, va fermer les fenêtres.
Il
admire au loin l’imposant dôme éclairé de l’Hôtel Dieu.
Il
tourne autour de son ordinateur, hésite, se connecte sur un site
médicale.
Il
tape: Maladie de
Lapeyronie
FIN